Brésil
Lula empêtré dans une affaire de corruption
(Photo: AFP)
Le décors est campé : créée le 26 mai à l’initiative du Congrès, la Commission parlementaire d’enquête (CPI) est désormais opérationnelle avec la nomination le 15 juin du sénateur Delcidio Amaral, du Parti des travailleurs (au pouvoir), à sa tête. Et, d’expérience, le personnel politique brésilien sait que les investigations de la CPI peuvent avoir des conséquences dévastatrices sur son activité. Il se rappelle notamment que c’est le travail d’une de ces commissions sur la corruption qui avait, en 1992, entraîné la chute du président Fernando Collor. Celle créée mercredi est composée de 32 membres, dont 19 appartiennent à la coalition gouvernementale et 13 à l’opposition.
L’affaire est grave et de nature à compromettre un pacte de confiance déjà passablement éprouvé entre la nation et ses représentants. C’est, dit-on, la plus grave crise à laquelle doit faire face le président, élu sur des critères de bonne gouvernance, depuis son arrivée au pouvoir, en janvier 2003. D’où l’urgente nécessité d’agir afin de circonscrire l’incendie avant qu’il ne dévaste toute la maison politique et consacre un divorce lourd de menaces entre le peuple et les élus. Les soupçons qui pèsent sur certains d’entre eux, ainsi que des hauts fonctionnaires, sont en effet de la plus haute gravité : depuis la mi-mai, circule en effet de lourdes accusations de corruption qui, outre les responsables politiques, touchent également les Postes brésiliennes et l’un des responsables du Parti des travailleurs (PT) du président Lula, accusé d’avoir acheté le vote de plusieurs députés en faveur du PT.
Un député pour 10 000 euros
L’affaire se déroule en deux temps. Acte I : le 18 mai l’hebdomadaire Veja publie un document vidéo montrant Mauricio Marinho, un cadre de l’Entreprise du courrier et des télégraphes (ECT), négociant un pot-de-vin d’un millier d’euros dont il explique l’origine en mettant en cause le député Roberto Jefferson, le président du Parti travailliste brésilien (PTB), membre de la coalition gouvernementale. Selon le cadre d’ECT, un vaste système de pots-de-vin a ainsi été mis en place par l’administration présidentielle dans d’autres entreprises publiques. Et ce travail aurait été confié au PTB. Soucieux de ne pas se mettre à dos l’un des membres de sa fragile coalition, dans un premier temps Luiz Inacio Lula da Silva soutient Roberto Jefferson. Cette attitude, plutôt que de lever les ambiguïtés, accentue la confusion. Finalement, le député décide de contre-attaquer. L’acte II survient le 6 juin, lorsque Roberto Jefferson dénonce à son tour dans les colonnes du journal Folha de Sao Paulo, un système d’achat de votes des députés, mis en place par le parti du président.
M. Jefferson cite des exemples précis, des noms sont rapportés, des sommes sont avancées. Il indique que le prix du vote d’un député brésilien corrompu s’élève à 10 000 euros par mois. Les précisions du député Jefferson éclaboussent l’entourage présidentiel, et en particulier le principal ministre du gouvernement José Dirceu, chef du cabinet présidentiel, qu’il décrit comme le Raspoutine brésilien. «José Dirceu, si vous ne sortez pas de là, vous allez faire d’un homme bon un accusé», lance le dénonciateur. Car en réitérant le 14 juin ses accusations devant la Commission d’éthique de la Chambre des députés, il épargne le président Lula. Il affirme même que c’est le chef de l’Etat qui a mis un terme à ces pratiques, au début de l’année, lorsqu’il lui a révélé la réalité. «Ce fut comme s’il avait reçu un coup de couteau. Le président a pleuré, m’a donné l’accolade et m’a donné congé (…) J’ai vu un homme de bien, simple, correct, qui s’est senti trahi».
L’habileté de Jefferson
La contre-attaque de Roberto Jefferson est étayée par plusieurs témoignages et déclarations, notamment celles d’une députée qui affirme avoir reçu une offre financière pour changer de parti et passer dans le camp de la coalition gouvernementale. Celle-ci a annoncé qu’elle réservait son témoignage à la Commission d’enquête. Le secrétaire général du Parti populaire (PP) a par ailleurs confirmé au journal Estado de Sao Paulo l’existence d’aides financières, sous formes de dessous-de-table, en faveur de sa formation. Enfin une ex-secrétaire d’une agence de publicité décrit «des valises d’argent» sortant de la Banco Rural sur ordre de son patron, Marcos Valerio de Souza, à des fins de paiement douteux du personnel politique. M. de Souza est accusé par le député Jefferson d’être le porteur de valise (de billets) du trésorier du Parti des travailleurs, Delubio Sores.
A 16 mois des élections générales, la charge du député Roberto Jefferson frappe là où ça fait mal. En dénonçant un scandale de corruption qui entache la haute administration, il sape l’un des principaux piliers qui fondent la légitimité politique de Lula. Mais il fait également preuve d’une habileté prodigieuse en passant, en quelques semaines, du banc des accusés, à celui du procureur, en dessinant un faisceau d’indices, mais sans apporter de preuves formelles. La coalition gouvernementale risque évidemment de sortir fragilisée de cette aventure. Quand au président, on s’interroge sur sa capacité à contrôler son administration.
La semaine dernière, les services fédéraux brésiliens ont annoncé l’arrestation de quatre personnes, deux militaires et deux civils pour leur participation présumée aux versements des pots de vin à l’un des directeurs du services des Postes. Les personnes interpellées seraient les auteurs du film vidéo à l’origine du scandale.
par Georges Abou (avec AFP)
Article publié le 16/06/2005 Dernière mise à jour le 17/06/2005 à 16:38 TU