Santé
Sida: pour une approche plus globale
(Photo: AFP)
«Les aspects nutritionnels du virus VIH/sida ont longtemps été ignorés. L’attention s’est toujours centrée sur les médicaments. Le message a toujours été: «Prendre deux comprimés après les repas». Mais on oublie de parler des repas». La citation est du directeur de la division de l’Alimentation et de la Nutrition de la FAO, Kraisid Tontisirin. On peut la lire sur le site de l’OMS, dans un article intitulé «Alimenter l’espoir: rôle clé de la nutrition pour contrer le VIH/sida», publié à l’occasion de la parution de l’excellent guide Vivre au mieux avec le VIH/sida, co-édité par la FAO et l’OMS (1). Le Pr Luc Montagnier insiste aujourd’hui, lui aussi, sur l’importance du facteur alimentaire. Le co-découvreur du virus, président de la fondation mondiale, Recherche et prévention sida (associée à l’Unesco), affirme: «La nutrition est importante pour remonter le système immunitaire en cas de sida, notamment en Afrique. Il faudrait des recherches dans ce domaine».
Pourquoi l’Afrique en particulier ?
C’est que les carences et les sub-carences en nutriments et en micronutriments essentiels (vitamines, minéraux, enzymes, etc.) peuvent y être répandues et graves, donc lourdes de conséquences pour la santé et la résistance aux infections. Les déficits sont courants en protéines, vitamine A, vitamines du groupe B, fer, iode, sélénium, zinc, tous éléments jouant un rôle dans l’immunité. Deuxième handicap qui fragilise les populations africaines: les parasitoses intestinales. «On s’aperçoit, explique le Pr Montagnier, que le virus attaque de façon préférentielle les lymphocytes qui sont autour de l’intestin (60% du total de nos lymphocytes) et qui, normalement, devraient empêcher les micro-organismes de passer dans le sang. Et cela dès le début de l’infection. En Afrique, où les parasitoses sont courantes, il y a donc une stimulation encore supérieure. C’est sans doute une des raisons pour lesquelles le virus du sida s’y propage beaucoup plus facilement dans la population dite hétérosexuelle que dans les pays du Nord». Troisième facteur de fragilisation, les infections intercurrentes: paludisme, tuberculose, etc.
Lutter plus efficacement
Plusieurs types de déficits nutritionnels existent en Afrique: situations extrêmes de famine ou de pénurie régimes traditionnels provoquant des carences, comme dans certaines régions sahéliennes où la nourriture est essentiellement à base de céréales; périphéries pauvres des métropoles et, partout en ville, alimentation industrielle de qualité appauvrie (on retrouve ce dernier facteur de baisse immunitaire dans les pays du Nord). Toutes ces populations ont d’abord besoin d’une nutrition équilibrée et saine, c’est-à-dire riche en eau pure, en légumes et fruits frais, en graines et huiles vierges de première pression à froid, en protéines animales et végétales (légumes secs, algues, etc.), en céréales peu ou pas raffinées. De plus, le Pr Montagnier rappelle qu’un certain nombre de compléments alimentaires, dont certains sont bien connus et d’autres en cours d’expérimentation, devraient être proposés aux malades, mais aussi aux séropositifs, car ils pourraient, tout comme l’alimentation, aider l’immunité dès le début de l’infection. Plusieurs études l’ont montré. Parmi les nutriments bénéfiques possibles: la spiruline (algue du lac Tchad), la papaye fermentée, ainsi que «des antioxydants d’une nouvelle génération (glutathion, SOD…) que beaucoup de médecins négligent par manque de formation». D’autant, dit-il, que les antirétroviraux ne sont en principe administrés qu’à des patients à un certain stade de la maladie. «Que donne-t-on aux autres ? Rien !»
Et si on améliorait la stratégie
Une nutrition correcte pourrait d’abord, souligne-t-il, permettre de mieux résister à l’infection, et chez les séropositifs, retarder l’éventuelle apparition de la maladie ; à ce stade, associée à une complémentation, elle augmenterait l’efficacité des antirétroviraux. Au patient, elle permettrait de mieux supporter les effets (importants après deux ou trois ans) de ces molécules chimiques, et de voir ses défenses renforcées: «Dans une maladie infectieuse on ne voit que l’agent infectieux, or toutes les expériences montrent qu’une maladie ne peut pas être guérie seulement par l’action sur l’agent infectieux. Le travail doit être fini par le système immunitaire de l’organisme. C’est vrai aussi dans le cas du sida».
A l’heure où un rapport du secrétaire général de l’ONU Koffi Annan appelle à «une riposte mondiale accrue (…), à un élargissement rapide des programmes de prévention, de soins», et où l’OMS recommande à côté du traitement «une nutrition saine et équilibrée», le Pr Montagnier insiste sur l’importance et l’urgence d’une approche encore plus globale, qui nécessiterait une implication accrue des médecins, des organismes internationaux, des associations, des gouvernements, ainsi qu’une évolution des mentalités.
par Henriette SARRASECA
Article publié le 19/06/2005 Dernière mise à jour le 19/06/2005 à 12:43 TU