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Etats-Unis

La justice rattrape un dirigeant du Ku Klux Klan

Edgar Ray Killen (photo) a accueilli son verdict de culpabilité sans la moindre émotion.(Photo : AFP)
Edgar Ray Killen (photo) a accueilli son verdict de culpabilité sans la moindre émotion.
(Photo : AFP)
Edgar Ray Killen, un ancien dirigeant du Ku Klux Klan âgé de 80 ans a été reconnu coupable d’homicide sans préméditation pour la mort de trois jeunes hommes assassinés en 1964 alors qu’ils militaient pour les droits civiques des noirs américains. L'affaire avait été rendue célèbre par le film «Mississipi Burning» d'Alan Parker.

De notre correspondant à New York

Le vieil homme n’a pas sourcillé. Crâne luisant, épaisses montures de plastique, chemise blanche et blazer sombre, Edgar Ray Killen a accueilli son verdict de culpabilité sans la moindre émotion. Vissé à son fauteuil roulant, un tube à oxygène passant sous son nez, il a à peine tourné la tête pour écouter quelques mots de réconfort de son épouse. Quarante-et-un ans jour pour jour après le meurtre de trois jeunes défenseurs des droits civiques des noirs américains, la justice a fait un pas en avant. Edgar Ray Killen a été immédiatement emprisonné et risque jusqu’à 20 ans de prison pour chacun des trois homicides sans préméditation. Sa peine sera fixée jeudi.

Le 21 juin 1964, James Chaney, 20 ans, un Noir du Mississipi, Andrew Goodman, 21 ans et Michael Schwerner, 24 ans, deux Blancs venus de New York avaient été roués de coups et battus par des hommes du Ku Klux Klan. Leurs corps n’avaient été retrouvés que 44 jours plus tard, faisant d’eux des martyrs de « l'été de la liberté » de 1964 au cours duquel des milliers de jeunes s'étaient rendus dans le Sud ségrégationniste pour aider les Noirs à s'inscrire sur les listes électorales. L’affaire avait choqué le pays tout entier, attirant l’attention sur la violence du racisme contre les noirs dans les États du Sud et permettant de faire avancer la lutte pour les droits civiques.

Les procureurs entendaient prouver qu’Edgar Ray Killen était coupable de meurtre avec préméditation. Rien ne prouvait sa présence sur les lieux du crime, mais c’est, selon eux, Killen qui avait organisé toute l’opération, en donnant notamment pour ordre aux assassins de porter des gants en caoutchouc et en leur demandant d’enterrer les corps avec un bulldozer. Killen, à l’époque ouvrier dans une scierie et pasteur à mi-temps, dirigeait une nouvelle branche du Klan. Selon les procureurs, c’est lui qui avait rassemblé des volontaires pour brûler une église fréquentée par des Noirs. Les trois jeunes militants avaient commencé à enquêter sur ces faits lorsqu’ils ont été tués.

Au cours de l’année qui avait suivi le triple meurtre, 7 hommes avaient été condamnés à des peines de 3 à 10 ans de prison, mais aucun pour meurtre. Aucun n’avait purgé plus de 6 ans de prison. Edgar Ray Killen avait été laissé libre parce que le jury, entièrement blanc, n’était pas parvenu à atteindre un verdict unanime : 11 des jurés voulaient le condamner, mais le douzième, une femme, avait refusé en expliquant qu’elle ne pouvait pas condamner un pasteur. Killen vivait depuis paisiblement à quelques kilomètres du lieu de son crime, sans être inquiété et sans avoir jamais manifesté le moindre remord. L’affaire avait connu un regain d’intérêt en 1988 avec la sortie du film Mississipi Burning d’Alan Parker.

« Mieux vaut tard que jamais »

Le procureur Mark Duncan, qui a obtenu cette condamnation, fait partie d’une nouvelle génération de procureurs originaires d’États du Sud et qui sont déterminés à juger les crimes les plus abjects de ceux qui refusaient la fin de la ségrégation. « J’espère que cette condamnation aidera à faire toute la lumière sur ce qui s’est passé dans cet État », a déclaré Rita Bender, 63 ans, la veuve de Michael Schwerner. « Je vois cela comme un important premier pas », a-t-elle ajouté. La condamnation pour homicide sans préméditation est toutefois insuffisante pour certains. En 1967, un jury fédéral avait conclu que le Ku Klux Klan était derrière le triple meurtre. Pour la première fois au cours du procès qui vient de se dérouler, les avocats de Killen ont reconnu qu’il appartenait à l’organisation raciste. Au premier jour des délibérations lundi, le jury, 9 Blancs et 3 Noirs, était divisé en deux sur une éventuelle condamnation pour meurtre avec préméditation, qui aurait pu aboutir à un peine de prison à vie. En l’absence de témoins vivants, les procureurs ont voulu leur laisser la possibilité de condamner Killen pour homicide sans préméditation, une charge qui ne nécessite pas de prouver l’intention de tuer.

 « Il passera le reste de sa vie en prison », a déclaré Derrick Johnson, président de l’Association pour la promotion des gens de couleur (NAACP) du Mississipi pour qui il s’agit d’une « victoire ». « Justice retardée, justice niée dit-on d’habitude, mais en l’occurrence, mieux vaut tard que jamais », a pour sa part déclaré le ténor démocrate Edward Kennedy. « Rien ne compensera le coût terrible pour les familles des victimes et le pays, mais au moins nous avons montré que nous n’oublierons pas ce qui s’est passé », a-t-il ajouté. Estimant que le jury s’était satisfait d’une solution de compromis face au manque de preuves pour condamner son client pour meurtre avec préméditation, l’avocat de Killen a annoncé son intention de faire appel de cette décision.


par Philippe  Bolopion

Article publié le 22/06/2005 Dernière mise à jour le 22/06/2005 à 10:18 TU