Etats-Unis
Le passé raciste du Sud en procès
(Photo: AFP)
Edgar Ray Killen a été arrêté au mois de janvier chez lui, dans l’Etat du Mississippi. Accusé du meurtre de trois militants des droits civiques en 1964, ce membre du Ku Klux Klan a été libéré quelques jours plus tard sous caution. Son procès devrait finalement avoir lieu dans quelques semaines, quarante ans après les faits. Le jury chargé de le juger est en cours de sélection.
Edgar Ray Killen est accusé de l’un des crimes les plus célèbres de l’histoire de la lutte contre le racisme des noirs Américains. En 1964, trois jeunes gens travaillent comme bénévoles dans cette région de Philadelphia. Ils essayent de convaincre la population noire de s’inscrire sur les listes électorales. James Chaney, un Noir (21 ans), était originaire de cette région du Mississippi. Les deux autres étudiants, Michael Schwerner (24 ans) et Andrew Goodman (20 ans), deux Blancs, venaient de la bourgeoisie juive new-yorkaise. Comme des milliers d’autres jeunes gens, ils avaient fait le voyage dans le sud pour participer à cette campagne, le Freedom Sommer, lancé par des associations pour assister la population noire et la pousser à entrer dans la vie civique américaine.
Un guet-apens du KKK
Pour les ségrégationnistes, «c’était comme si les Soviétiques débarquaient», raconte aujourd’hui le propriétaire d’un journal local. Les trois jeunes gens furent assassinés par une bande du Ku Klux Klan le soir du 21 juin 1964. Dans l’après-midi, ils étaient allés voir les ruines d’une église incendiée par le KKK, ily en eu des dizaines à l’époque. La police les arrête. Relâchés en pleine nuit, ils tombent dans un guet-apens organisé par le Ku Klux Klan.
Dix-neuf membres de l’organisation furent interpellés dans les semaines qui suivirent, mais aucun ne fût inculpé d’assassinat. Par la suite, sept personnes ont été finalement inculpées pour violation des droits civiques des trois disparus. En 1967, elles furent finalement condamnées, par un jury composé uniquement de citoyens blancs, à des peines allant de trois à dix ans de prison. Le vieillard dont le procès va bientôt s’ouvrir fut relâché faute d’unanimité du côté des jurés, une femme notamment refusant de condamner un prêcheur.
L’affaire des trois disparus du comté de Neshoba a été rouverte en 1999 par le ministère de la Justice de l’Etat du Mississippi. Un journal local avait publié des extraits de la déposition de Sam Bowers, l’un des hommes condamnés trois ans après cette affaire. Dans cette déposition, le principal responsable du KKK au Mississippi, qui purgeait de plus une peine de prison à vie en raison du meurtre d’un autre militant noir, cet homme expliquait qu’il était heureux que l’organisateur du meurtre des trois militants des droits civiques soit resté en liberté.
Un inculpé jugé pour meurtre
Killen a toujours démenti être impliqué dans le meurtre des trois jeunes gens. Un an avant d’être inquiété par la justice, il avait cependant déclaré à la presse, que les assassins des jeunes gens «n’avaient pas eu tort, c’était un geste d’autodéfense». Pour la première fois dans cette affaire, un inculpé va donc être jugé pour meurtre. Pasteur, il a continué depuis à délivrer le même message à ses paroissiens, soutenant que la séparation des races est voulue par la Bible.
Le Ku Klux Klan est une société qui a toujours prôné la suprématie de la race blanche et du christianisme. Cette société secrète fut fondée dans les Etats du sud des Etats-Unis, au lendemain de la guerre de Sécession. L’organisation s’est tout de suite assigné comme but la lutte contre les Noirs, qui venaient d’être émancipés. Le recours à la violence, l’utilisation de déguisements pour effrayer des citoyens peu aguerris à l’égalité avec les Blancs, et la mise en place d’une hiérarchie très structurée, ont permis au Ku Klux Klan de faire régner la terreur. L’autodissolution officielle date de 1944 pour raisons financières.
Faire le ménage dans le passé
Le triple meurtre de 1964 est connu dans le monde entier grâce au film d’Alan Parker, Mississippi Burning, réalisé dans les années 80. C’est en 1989 que la justice américaine commence à se pencher sur les «négligences» des années 60. Dans plusieurs Etats du sud, réputés racistes, plusieurs dizaines de procédures sont rouvertes. Seize anciens membres du Ku Klux Klan ont été condamnés, «procession de vieillards en menottes… qui ne regrettent rien», selon le Washington Post.
Quarante ans après les faits, des témoins se sont mis à parler alors qu’ils allaient mourir. De nouveaux procureurs sont arrivés, même à Philadelphia, estimant qu’il n’était pas trop tard pour juger ces affaires. Un institut pour la réconciliation raciale est né à l’université du Mississippi, à la suite du dialogue national voulu par Bill Clinton en 1997. Comme en Afrique du Sud après l’apartheid, ou en France avec la collaboration, les Américains sont en train de faire le ménage dans leur passé pour réhabiliter une de leurs plus grandes minorités.
par Colette Thomas
Article publié le 13/06/2005 Dernière mise à jour le 13/06/2005 à 16:26 TU