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Libéria

L’argent sale de Taylor menace la paix

La présence de la Minul n'empêche pas la poursuite des trafics.(Photo AFP)
La présence de la Minul n'empêche pas la poursuite des trafics.
(Photo AFP)
Deux ans n’ont pas suffit pour venir à bout des trafics qui ont fait la fortune de l’ancien seigneur de la guerre, Charles Taylor. En dépit de son exil forcé au Nigéria, en août 2003, le président déchu n’est pas neutralisé. Le procureur du Tribunal spécial pour la Sierra-Leone, où Taylor est accusé de complicité de crimes de guerre, l’Américain David Crane assure même que ses enquêteurs détiennent la preuve que l’ancien président du Libéria reste en relations avec des terroristes internationaux liés à Al-Qaïda. Il aurait commencé à acheter certains candidats à la présidentielle du 11 octobre 2005, avec l’argent sale des trafics qui gangrènent l’Afrique de l’Ouest. Le 21 juin, le Conseil de sécurité de l’Onu a donc décidé de reconduire pour six mois l’embargo sur les armes et sur les importations de diamants et de bois libériens, mais aussi les interdictions de circuler frappant certains dignitaires de l’ancien régime Taylor.

Le Conseil de sécurité se déclare «gravement préoccupé par la multiplication des activités d'exploitation minière sans licence et d'exportations illégales de diamants au Libéria». Il redoute surtout de voir les trafiquants d’hier «utiliser des fonds et des biens qu'ils ont détournés pour faire obstacle au rétablissement de la paix et de la stabilité au Libéria et dans la sous-région». Depuis Calabar, au sud-est du Nigéria où il n’est que très virtuellement assigné à résidence, Charles Taylor est la principale araignée visée par la nouvelle résolution (1607 du 21 juin) au centre d’une toile de trafics. Ce réseau conduit jusqu’à Al-Qaïda, en passant par tout ce que la planète compte d’aigrefins et de chiens de guerre, de diverses nationalités, avec ou sans pignon sur rue. Au-delà des mers, en bout de chaîne, les ultimes destinataires des ressources naturelles du Libéria sont en général patentés dans leurs Etats respectifs. Souvent aveugles, ces derniers restent également sourds aux appels de fonds destinés à la réinsertion dans la vie civile de quelque 65 000 anciens combattants du Libéria. C’est pourtant l’une des conditions sine qua non de la stabilisation du pays et de la sous-région. Mais c’est peut-être justement là que les centres d’intérêts divergent.

Le 6 juin, dans son dernier rapport sur le Libéria, le secrétaire général de l’Onu, Kofi Annan notait que, selon le président du Gouvernement de transition du Libéria, Gyude Bryant, «il faut 16,4 millions de dollars pour rendre à la vie civile les membres des ex-Forces armées du Libéria». Il soulignait le danger que représente la montée de «l’exaspération des ex-combattants». Nombre d’entre eux sont d’ailleurs déjà partis vendre leurs services ailleurs, ou même se servir tous seuls, en Côte d’Ivoire en particulier. Soldats de fortune, ils sont à l’écart de la restructuration des forces armées libériennes que Gyude Bryant envisage d’entreprendre en septembre. Pour y parvenir, il va recevoir le concours de la société privée DynCorp «engagée par les Etats-Unis pour aider le Gouvernement national de transition» à recruter et instruire les nouvelles recrues. La privatisation du genre militaire aidant, le vocable mercenaire est pudiquement abandonné au profit de celui de soldat professionnel pour la troupe de DynCorp.

Corruption et trafics

Comme le souligne Kofi Annan, de nombreuses hypothèques pèsent sur la stabilité précaire du Libéria, la défiance populaire par exemple. Elle n’est pas sans raisons car «plusieurs membres du Gouvernement national de transition ont cherché à entraver les audits de la banque centrale et de cinq institutions étatiques financés par la Commission européenne ainsi que les activités de l’équipe de la Cedeao chargée d’enquêter sur les allégations de corruption». Des preuves de prévarication ont d’ailleurs déjà provoqué la suspension du président et du vice-président de l’Assemblée et celle de plusieurs autres notables de la transition, le 14 mars dernier. Au total, Kofi Annan doute grandement de la mise en application des mesures internationales concernant les diamants et le bois. Dans ce dernier secteur, il s’étonne en particulier de lu monopole réservé à une nouvelle société d’exploitation. A propos des diamants, il note l’impuissance internationale à percer à jour ce qui se passe dans les zones d’extraction. Déjà surmenée par ses tâches policières et la surveillance des ports et frontières, de vraies passoires, la Mission des Nations unies au Libéria (Minul) est en peine, faute de «mandat de coercition et d’effectifs suffisants».

Sous les obscures frondaisons du Libéria, les trafiquants continuent de vaquer à leurs affaires d’autant plus juteuses que la main-d’œuvre à bon marché, sinon forcée, reste abondante. Sur ce point aussi, le Gouvernement de transition s’avère impuissant, sinon indifférent, à veiller à l’intérêt collectif en apurant la gestion des ressources nationales. En outre, indique Kofi Annan, «divers trublions ont cherché à faire dérailler le processus de paix, notamment des partisans de l’ex-président Charles Taylor». Ce dernier serait d’ailleurs «régulièrement en contact avec ses anciens partenaires commerciaux et acolytes militaires et politiques au Libéria et il est soupçonné de parrainer divers candidats à la présidence pour faire en sorte que le prochain gouvernement libérien compte ses sympathisants». Ces informations proviennent de Freetown où David Crane indique qu’en «février dernier, Charles Taylor s’est rendu en avion à Ouagadougou, au Burkina Faso, où il a rencontré un homme du nom de Francis Kalawalo, qui a par la suite annoncé sa candidature à l’élection présidentielle au Libéria».

Toujours selon le procureur du tribunal de Sierra-Leone, David Crane, un certain Mohamed Mustafa Fadhil a retiré à Dubaï l’argent destiné à la campagne de l’homme de paille Kalawalo. Il l’a remis en mains propres à Taylor, à Calabar, en avril dernier. Mustafa Fadhil est recherché par le FBI américain, qui offre 5 millions de dollars pour sa capture et diffuse son portrait sur son site internet. Fadhil, l’un de ses multiples noms d’emprunt, est accusé d’avoir participé aux attentats du 7 août 1998 contre les ambassades américaines de Dar Es-Salaam (Tanzanie) et de Nairobi (Kenya). Selon David Crane, Taylor lui a offert l’asile à cette époque. D’autres trafiquants ou terroristes liés à Al Qaïda seraient toujours installés au Libéria. Le réseau se serait même élargi à la Côte d’Ivoire au début de la décennie. Le défunt général Gueï, entre autres, était un ami efficace de Charles Taylor. Le chaos régional reste le terreau propice à la survie et au développement de cette hydre mafieuse. A Freetown, l’enquêteur principal du tribunal spécial, Al White, est même persuadé que Taylor cherche désormais à déstabiliser la Guinée, pour quitter définitivement le Nigéria et s’y «s’installer, si ce pays devait effectivement tomber».


par Monique  Mas

Article publié le 22/06/2005 Dernière mise à jour le 22/06/2005 à 17:16 TU