Le 26 décembre 2004 vers 8 heures 30, une vague géante ravage la côte ouest de la province d’Aceh, en Indonésie. En quelques minutes, le tsunami détruit plus de 180 000 maisons et tue près de 170 000 personnes. Six mois après la catastrophe, la période d’urgence humanitaire est terminée. Elle a fait place à la reconstruction. En 180 jours, qu’a fait le gouvernement indonésien ? Quel bilan peut-on tirer de l’action des organisations non gouvernementales (ONG)? Parce qu’il est difficile de parler de la reconstruction dans son ensemble, et parce que chaque situation est particulière, nous nous sommes intéressés à une communauté de pêcheurs située à 20 km au sud de Meulaboh, l’une de ces villes martyres de la province d’Aceh. Situé au bord de la mer, le village de Langkak comptait 1 650 habitants avant le tsunami ; ils sont 1 050 aujourd’hui. Six mois ont passé. Langkak n’a pas encore pansé ses plaies. Le village reste à reconstruire.
Reportage de notre envoyé spécial à Aceh, Nicolas Vescovacci
Premier regard sur Langkak, à 15 km au sud de Meulaboh. Ce jour-là, nous arrivons vers 9 heures devant la petite mosquée du village, l’une des rares constructions qui tient encore debout. Une quarantaine de gamins éparpillés sur le carrelage blanc de l’édifice finit ses travaux de commande. Un jeune volontaire du village a organisé un concours de dessins. Moukhlis ramasse une à une les copies, puis met des notes.
Les enfants sont pris en charge le matin (cours de dessin, lecture du Coran) avant de prendre le chemin de l’école en début d’après-midi. Fier de son travail, un jeune garçon nous montre sa dernière œuvre, pas tout à fait terminée : une maison et ses couleurs. C’était sa maison avant le tsunami.
Tout le monde l’appelle « Keuchi ». C’est le chef du village de Langkak : un homme respecté par lequel tout doit passer, y compris notre demande de reportage. Voilà 30 ans que Mohamed Acoup tient son rang, lui le fils d’un notable régional, ancien responsable du sous-district. «Le jour du tsunami, raconte-t-il, l’eau a d’abord jailli de la mer. C’était juste après le tremblement de terre. Et puis les vagues sont arrivées. La deuxième a été terrible. Elle a tout rasé». Six mois après la catastrophe, le « Keuchi » arpente son village avec tristesse et nostalgie. Langkak : 1 600 habitants avant, 1 050 après. «Il y a tout à refaire ici, dit-il. Avec l’aide des ONG on y arrivera».
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Les paraboles blanches sont pointées vers le ciel. Ce n’est pas un phénomène de mode post-tsunami, mais l’expression d’une réalité. Il y a encore six mois Aceh était une province fermée. La télévision par satellite était donc l’unique solution technique pour profiter des programmes indonésiens et surtout étrangers. Son prix : environ 150 dollars. Dans le village de Langkak, ces paraboles se sont pourtant multipliées après le tsunami, récupérées ou bien achetées. Les maisons ne sont pas encore reconstruites. Mais certaines demeures de fortune (comme sur la photo) disposent déjà d’un « parapluie à images ». C’est l’unique distraction. La famille et les voisins en profitent.
«Nous n’avons rien, mais au moins nous avons des informations internationales», explique un villageois dans un éclat de rire.
Le village de Langkak a toujours vécu de la pêche. Les pêcheurs représentent 80% de la population de la communauté. Les bateaux traditionnels correspondent à un mode de pêche artisanale. Peints en rouge et bleu, ces esquifs de 6 à 8 mètres de long ont toujours fait la fierté des habitants. La destruction de la quasi-totalité de la flotte villageoise (une trentaine d’embarcations) le 26 décembre 2004 a ruiné des dizaines de famille. Aujourd’hui, deux ONG dont une française ont créé à proximité du village des chantiers navals pour remplacer une partie des bateaux détruits ou endommagés. Les moteurs et les matériels de pêche seront fournis par les Nations unies. Seulement, cette perspective crée des tensions. L’importance et la qualité de l’aide promise exacerbent les rivalités au sein de la communauté.
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Six mois après le tsunami, Meulaboh ressemble, paisible, à une petite ville de province. Les rues ont été nettoyées. Les magasins sont bien achalandés et le marché regorge de produits parfumés. Un touriste égaré pourrait ignorer la catastrophe. Pourtant, Meulaboh a connu l’horreur. Son centre-ville (ici sur la photo) a été entièrement rasé. La pointe du phare, symbole de son passé portuaire et commerçant n’est qu’un amas de béton et de ferrailles entremêlés. Dans cette partie de la ville, les tentes sont très rares. Ici, il n’y a presque pas eu de survivants. Submergée par l’océan en furie, Meulaboh n’oubliera pas ses 25 000 morts ou disparus. La ville comptait deux fois plus d’habitants avant le tsunami.
Pas de chance, nous ne verrons pas la première exposition de peintures organisée après le tsunami.
«Meulaboh, dit le titre en anglais,
devenue célèbre grâce au tsunami». Le panneau publicitaire s’affiche dans la plus grande rue commerçante de la ville. La scène laisse deviner l’expression artistique : les couleurs sont vives, l’intention réaliste. Les peintres, nous explique-t-on, sont nombreux dans cette ville, capitale régionale de l’aide humanitaire. Alors, comme tous les événements à Meulaboh, celui-ci est parrainé par une ONG !
L’image n’a rien de spectaculaire. Six mois après le tsunami, elle résume pourtant de manière frappante les inégalités face à la reconstruction. Nous sommes à quelques kilomètres de Langkak, au sud de Meulaboh. Dans un périmètre de quelques dizaines de mètres carrés, nous remarquons trois types bien distincts d’habitation.
A l’arrière plan : une maison standard peinte en vert, construite dans ce quartier à trente exemplaires par l’ONG américaine Habitat. Cette organisation a la réputation de reconstruire rapidement mais de faire payer le coût des travaux (3 000 dollars américains par maison) aux futurs propriétaires, sur une période de cinq à sept ans. Au premier plan, une famille qui n’a pas eu la chance d’être sélectionné par Habitat a construit une baraque de fortune avec des planches de récupération. C’est ce type de maison que l’on trouve à Langkak. Lorsqu’une famille n’a pas les moyens de bâtir un abri de la sorte, il reste une solution : la tente, sous laquelle vivent toujours des milliers de familles à Meulaboh.
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Le centre du village de Langkak. Les gravats ont envahi l’ancien marché couvert qui n’est qu’un lointain souvenir. Les baraques de bois s’agglutinent sur des dalles de béton, vestiges d’un passé récent qui hante toujours la communauté. Six mois après le tsunami les tentes dressées dans l’urgence n’ont pas disparu. Selon la terminologie des ONG, la période d’urgence est terminée. Les besoins en matières de santé, d’eau ou de nourriture sont relativement bien couverts. Mais la période de reconstruction, à proprement parler, n’a toujours pas démarré.