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Justice internationale

La France pourrait juger des suspects rwandais du génocide

Mark Malloch Brown, chef de cabinet de Kofi Annan, a indiqué l'intention de l'ONU de demander à la France d’ouvrir des procédures judiciaires contre un ancien employé du PNUD au Rwanda installé en France.(Photo : AFP)
Mark Malloch Brown, chef de cabinet de Kofi Annan, a indiqué l'intention de l'ONU de demander à la France d’ouvrir des procédures judiciaires contre un ancien employé du PNUD au Rwanda installé en France.
(Photo : AFP)
Paris devra se prononcer sur deux demandes émanant pour l’une des Nations unies et pour l’autre du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR). Les deux institutions souhaitent que la France accepte de poursuivre des Rwandais suspectés de participation au génocide de 1994 et qui se sont établis sur son sol.

De notre correspondant à Arusha

C’est une question des plus délicates, à laquelle Paris devra répondre par deux fois plutôt qu’une : la France accepte-t-elle de juger des suspects rwandais du génocide des Tutsis de 1994 ? Les Nations unies s’apprêtent en tout cas à faire une demande inhabituelle aux autorités françaises : que ces dernières engagent une procédure judiciaire contre un ancien employé de l’organisation, soupçonné de participation au génocide. De son côté, le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), basé à Arusha en Tanzanie, espère quant à lui que Paris accepte dans un futur proche, d’hériter de quelques-uns de ses dossiers, ce qui rendrait possible le jugement en sol français de quelques suspects rwandais du génocide, réfugiés dans l’Hexagone. Des demandes qui ne devraient pas susciter l’enthousiasme d’une justice française peu encline depuis dix ans à se pencher sur les événements rwandais de 1994.

Or ces deux demandes se fondent sur des arguments d’une convaincante simplicité. Pour les Nations unies, au-delà d’une question de justice, il y a une délicate question d’honneur à résoudre. Elle concerne un ancien employé rwandais du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD). Entre 1992 et 1994, Calixte Mbarushimana a travaillé pour le bureau du PNUD à Kigali, avant de quitter son pays au lendemain du génocide. Un génocide auquel il aurait activement trempé, en livrant à la mort une trentaine de ses collègues rwandais, employés également par l’ONU. C’est du moins ce qui ressort de dépositions recueillies quelques années après les faits, par les enquêteurs du TPIR notamment.

L’ONU a épuisé tous les recours

Ces dépositions ont entraîné le non-renouvellement de son contrat par la Mission des Nations unies au Kosovo où il était employé au moment des révélations en 2001. Niant les faits, Calixte Mbarushimana a engagé des poursuites contre les Nations unies et a obtenu gain de cause. Conséquence : l’organisation dont il est censé avoir trahi l’éthique est aujourd’hui obligée de lui verser une forte indemnité, pour l’avoir maltraité. Dans cette affaire, les autorités rwandaises, de même que le TPIR, ont choisi de ne pas dépasser l’étape d’une enquête. «Faute de preuves suffisantes», dit-on à Arusha. «Nous avons épuisé tous les recours, nous allons donc demander à la France d’ouvrir des procédures judiciaires contre lui», indique Mark Malloch Brown, l’ancien patron du PNUD et désormais proche collaborateur de Kofi Annan, le secrétaire général de l’ONU.

Au TPIR d’Arusha, la course contre la montre imposée par le Conseil de sécurité de l’ONU et dont le terme est l’horizon 2010, date de la fermeture du tribunal créé en novembre 1994, fonde la demande adressée à Paris. Afin de respecter les courts délais qui lui sont désormais impartis, après avoir jugés 25 personnes et alors qu’il devra en juger une quarantaine d’autres au cours des prochains mois, l’institution n’a pas d’autre choix que de céder une partie de ses dossiers à des juridictions nationales. Exercice difficile puisque «à l’exception du Rwanda, aucun pays ne s’enthousiasme à l’idée de juger sur son sol des suspects du génocide rwandais», indique une source au TPIR.

Pour la France, dont la coopération avec le TPIR a été, au mieux, réticente, une telle demande doit embarrasser. Au contraire de Bruxelles, Paris rechigne à permettre à ses anciens représentants au Rwanda de venir déposer à Arusha. Il y a quelques mois, il a même fallu que des juges du TPIR rendent une décision demandant aux autorités françaises de faciliter une rencontre entre ces «anciens» du Rwanda et des avocats du TPIR. Echaudé par de nombreuses mises en cause – celle d’avoir apporté un soutien coupable au régime du président Habyarimana responsable du génocide – Paris fait preuve d’une grande frilosité dans le dossier rwandais. Nul doute qu’il y a la peur de voir des procès de suspects du génocide rwandais organisés sur son sol se transformer en procès de l’implication de la France au Rwanda. C’est oublier pourtant que la Belgique s’est livrée au même exercice sans que son honneur en sorte bafoué.


par André-Michel  Essoungou

Article publié le 28/06/2005 Dernière mise à jour le 28/06/2005 à 15:58 TU