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Justice internationale

Course contre la montre au TPIR

(Logo: un.org)
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Longtemps critiqué pour sa lenteur et son inefficacité, le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), basé à Arusha en Tanzanie, tente de passer à la vitesse supérieure, pressé par des délais imposés par le Conseil de sécurité des Nations unies. Plus de dix ans après sa mise en place, il n'a en effet jugé que vingt-trois des responsables présumés du génocide de 1994. D'ici 2010, date de sa fermeture programmée, il devra en juger le triple.

De notre correspondant à Arusha

Les juges du Tribunal pénal international pour le Rwanda doivent passer à la vitesse supérieure.
(Photo: AFP)
C'est un signe qui ne trompe pas : il y a quelques semaines, la publication du calendrier judiciaire des six premiers mois de l'année 2005 au TPIR a donné le ton. Pas moins de huit procès programmés, et pour certains sur la totalité du semestre. Un fait peu banal dans un tribunal où les procès sont souvent entrecoupés de longues pauses. C’est notamment le cas du procès dit des «six de Butare», dans le cadre duquel comparait Pauline Nyiramasuhuko, l’ancienne ministre de la Famille, accusée notamment d'avoir incité aux viols des femmes tutsies. Ouvert en juin 2001, plusieurs fois interrompu –dont une fois pendant plus d'une année–, ce procès fleuve justifie à lui seul les sévères critiques formulées contre le TPIR. Depuis la fin du mois de janvier dernier, il se déroule sans interruption majeure et la première pause notable ne devrait pas intervenir avant juillet prochain. «L'enjeu est d'aller vite, comme jamais», confirme un avocat de la défense. Dans cette optique, le TPIR s'est doté fin février de sa quatrième salle d'audience même si elle n’est que sommairement dotée. «Elle ne dispose pas, comme les trois autres, de l'équipement télé qui a pourtant souvent servi dans les procès ici», a notamment protesté Reti Amuli, le secrétaire général de l'association des avocats de la défense (ADAD).

Preuve supplémentaire du changement de cap en cours au sein de la juridiction internationale, le transfert tout récent par le procureur du TPIR à la justice rwandaise de quinze dossiers de personnes poursuivies pour leurs responsabilités dans le génocide des Tutsis. Des personnes à ce jour encore en fuite. Ce transfert inédit a l’avantage évident de débarrasser la juridiction d’une charge de travail de plus en plus difficile à assumer. Car plus d'une décennie après le génocide rwandais, seules vingt-trois des soixante-huit personnes traduites devant cette institution ont été jugées. Un bilan comptable négatif, estiment plusieurs observateurs. Surtout lorsqu'on considère qu'après des débuts chaotiques, le TPIR bénéficie depuis au moins cinq ans d'un soutien financier conséquent (son budget annuel avoisine en effet les cent millions de dollars pour plus d'un millier d'employés). Ce bilan vaut à l'institution de traîner une réputation peu enviable de lenteur et d'inefficacité.

Incertitudes dans les procès phare

Ces critiques n’ont pas été étrangères à la décision prise fin 2003 de fixer des délais pour la fin des travaux du tribunal. Une fin de travaux progressive qui a été marquée fin 2004 par la fermeture officielle des enquêtes menées par le bureau du procureur. La prochaine étape consistera à faire aboutir d’ici 2008 les procès en première instance, le terme définitif de la mission du TPIR étant fixé à 2010. Contrainte de respecter ces délais, l'institution vient véritablement, après quelques mois d'atermoiements à cause notamment du retard dans le versement des contributions à son budget, de passer à l'étape de la mise en place de «sa stratégie de fin de mandat» : rythme plus soutenu des procès, transfert de dossiers à des juridictions nationales, embauche de nouveaux personnels en sont autant de preuves. Mais d'ores et déjà, ces plans, à peine mis en marche, sont contrariés à divers niveaux.

L'incertitude domine en effet dans certains procès phare du TPIR, ceux de dignitaires de l'ancien régime rwandais. L'affaire Jean Degli –du nom de l'avocat togolais accusé d'avoir escroqué 300 000 dollars au tribunal– empoisonne le procès de Theoneste Bagosora, le «cerveau présumé» du génocide rwandais, et de ses trois coaccusés. De sorties médiatiques en batailles juridiques, le procès s'est enlisé. Sa reprise, initialement programmée en janvier, a été reportée au 7 avril et il est permis de douter que cette date soit respectée. Après de laborieux débuts fin 2003, le procès de quatre anciens ministres s'est par ailleurs achevé en queue de poisson en juin 2004. Mais fait inédit : les trois juges qui dirigeaient les débats ont été désavoués par leurs pairs. La reprise de ce procès est cependant toujours attendue. Enfin, trois ans après son ouverture, le procès dit des «six de Butare», est dans sa deuxième phase, celle de la présentation des moyens de preuves à décharge. Une phase qui s'annonce longue et animée. Complices a priori, les accusés s'opposent en réalité les uns aux autres, ce qui promet, de l'aveu même des équipes de défense, «une longue cacophonie».

C'est dans ce contexte pourtant que le TPIR se doit de respecter les échéances qui lui ont été fixées, mais également de remplir son mandat. La tâche s'annonce difficile, mais réalisable en ce qui concerne le respect du calendrier. Les procès où comparait un accusé ont connu ces derniers mois une notable accélération. Certains se sont tenus en l'espace de trente jours d'audience reparties sur trois mois. Mais en ce qui concerne l'accomplissement de son mandat, le TPIR est confronté à l'épineuse question des poursuites contre les membres de l'ancienne rébellion du Front Patriotique Rwandais (FPR), aujourd'hui au pouvoir à Kigali. Créé pour poursuivre à la fois les responsables présumés du génocide, mais également «tous les citoyens rwandais qui se sont rendus coupables de violations graves des droits de l'Homme entre le 1er et le 31 janvier 1994», l'institution n'a poursuivi jusqu'à présent que la première catégorie d'individus. Les membres du FPR, visés à mots à peines couverts par la résolution qui crée le tribunal, ont pourtant fait l'objet d'enquêtes du bureau du procureur, à l'époque où Carla Del Ponte en était responsable. Une démarche qui a provoqué l'ire de Kigali et qui aurait valu son poste à la responsable.

Sujet sensible pour les autorités rwandaises, il l'est tout autant pour le TPIR, accusé de «faire la justice des vainqueurs». Cette accusation est d’ailleurs alimentée par l'attitude indécise de Hassan Boubacar Jallow, procureur de cette juridiction depuis septembre 2003. «Nous évaluons les éléments dont nous disposons. Nous verrons à la fin de cette étape ce dont nous disposons pour inculper ou non des gens», n’a-t-il de cesse de répéter à longueur d'interviews. L'enjeu il est vrai est hautement politique. Déjà confronté à diverses mini crises dont la gestion s'avère compliquée, le TPIR prendra-t-il le risque d'une confrontation inéluctable avec Kigali que provoquerait l'ouverture de procès contre des membres du FPR ? Il est permis d'en douter. D'autant plus qu'au sein de cette instance, on travaille désormais l’œil rivé sur la montre.


par André-Michel  Essoungou

Article publié le 12/03/2005 Dernière mise à jour le 13/03/2005 à 11:21 TU