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Justice internationale

Rwanda: l’accord de la discorde

Les juges du Tribunal pénal international pour le Rwanda à Arusha. Le TPIR fait face à une nouvelle crise. 

		(Photo: AFP)
Les juges du Tribunal pénal international pour le Rwanda à Arusha. Le TPIR fait face à une nouvelle crise.
(Photo: AFP)
Une délégation d’officiels rwandais est à Arusha pour signer un accord devant permettre le transfert de certains détenus du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) vers Kigali. Un projet contre lequel ces détenus protestent. Ils menacent d’entamer un mouvement de grève de la faim ce jeudi.

De notre correspondant à Arusha

Dix ans après le génocide des Tutsis, entre le pouvoir rwandais et le TPIR, le temps des crises a répétition semble révolu. Mais va-t-il laisser place à l’affrontement entre le tribunal et ses détenus ? À la faveur de la signature annoncée d’un accord relatif au transfert de certains détenus de l’institution internationale vers le Rwanda –afin qu’ils y soient jugés et/ou incarcérés pour purger leurs peine – c’est une page de l’histoire des rapports entre Kigali et Arusha qui va être tournée. La normalisation de ses rapports avec Kigali place pourtant le TPIR face à une autre crise.

Certes, pour la juridiction internationale et le pouvoir rwandais, l’accord de transfert ne présente que des avantages. En plus de contribuer à de meilleurs rapports entre Arusha et Kigali, il permet au TPIR de désengorger sa prison et donc de terminer ses travaux en 2010 comme exigé par le Conseil de sécurité de l’ONU. Au rythme des procès, difficile en effet d’envisager qu’on aura jugé la cinquantaine de prévenus restant au TPIR en moins de six ans alors qu’on en a jugé laborieusement une vingtaine en dix ans. Quant au pouvoir rwandais, détenir et juger quelques uns des hauts responsables présumés du génocide comporte des avantages politiques évidents, et l’on songe forcément aux répercussions en Israël du procès du criminel nazi Eichmann jugé en 1962 à Jérusalem.

Grève de la faim dans 72 heures

Or il y a quelques semaines déjà les détenus du TPIR estimaient dans un communiqué qu’un transfert au Rwanda «équivaut à un arrêt de mort». Le pouvoir actuel de Kigali étant à leurs yeux «responsable de l’hécatombe qu’a vécu le Rwanda en 1994», ce serait, écrivaient-ils, les livrer à leur «bourreau» que de permettre leur transfert au Rwanda. Dans un autre communiqué publié ce lundi a Arusha, suite à l’annonce de la présence dans la ville tanzanienne de la délégation rwandaise venue parapher l’accord de transfert, les détenus ont franchi un cap. Ils promettent désormais de lancer un mouvement de grève de la faim dans 72 heures. D’ici la, ils ont boycotté les audiences de lundi et devraient être absents lors de celles de mardi et mercredi. Les pressions ainsi exercées visent manifestement à paralyser le déroulement des procès si l’accord devait être signé. Deux procès (dont celui du père Athanase Seromba, premier prêtre catholique jugé devant le TPIR pour génocide) se sont ouverts ce lundi en l’absence des accusés et rien n’indique qu’ils se poursuivront. La règle étant de ne pas juger les prévenus en leur absence devant ce tribunal.

L’accord de transferts de détenus vers le Rwanda est pourtant prévu par le statut du TPIR. Son article 26 stipule que ces détenus peuvent être transférés au Rwanda, mais dans tout autre pays également, afin d’y purger leurs peines. Jusqu'à présent, le TPIR avait choisi divers pays (dont le Mali notamment), mais jamais le Rwanda. Et c’est le pouvoir de Kigali qui, fin 2003, a fait le vœu de «voir respecter» le statut du TPIR, arguant au passage du fait que les prisonniers de la juridiction internationale sont rwandais et qu’il est normal qu’ils soient jugés et/ou purgent leurs peines dans leur pays.

Le tribunal a dû, dès lors, accomplir les missions habituelles de vérification afin de déterminer la possibilité d’accomplir ces opérations. Et Kigali s’est empressé de promettre que les procès des transférés obéiraient aux exigences internationales. Ils ne pourront par exemple pas être condamnés à la peine de mort, comme c’est le cas pour les autres prévenus rwandais. La peine de mort n’étant pas appliquée au TPIR. A défaut d’être entièrement satisfait par les garanties présentées par Kigali (notamment en matière d’infrastructures pénitentiaire), il est prévu que le tribunal aide le Rwanda à se conformer aux normes internationales en la matière. Mais aux yeux des détenus du TPIR, aucune garantie n’est sans doute suffisante pour accepter de retourner dans un pays auquel, il y a dix ans, ils vouaient pourtant un amour fou. Ce qui promet une crise difficile à résoudre. Pour le TPIR, qui court après la montre, il faudra rapidement en trouver l’issue.



par André-Michel  Essoungou

Article publié le 21/09/2004 Dernière mise à jour le 21/09/2004 à 09:31 TU