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Rwanda

Le génocide en procès à Bruxelles

Le procès devant la Cour d'Assises de Bruxelles de quatre Rwandais accusés d'avoir participé au génocide qui fit quelques 800 000 victimes tutsies et hutues modérées d'avril à juillet 1994, est exceptionnel à plus d'un titre.
De notre correspondante à Bruxelles

Sous les marbres et les dorures de la salle d'audience, à gauche de l'estrade où siège la Cour, les quatre accusés sont installés dans un box aux parois de verre situé derrière leurs avocats. La rangée précédente est occupée par les avocats des parties civiles.

Face à eux, à droite de la Cour, les douze jurés belges et leurs douze suppléants ont été désignés par tirage au sort. Ce sont eux qui auront à se prononcer sur la culpabilité ou l'innocence des accusés pour des faits qui se sont déroulés à 6 000 km de la Belgique. C'est la première fois que des génocidaires présumés sont jugés par un jury populaire. La justice belge n'a pas lésiné sur les moyens pour mener à bien ce procès qui devrait durer au moins six semaines.

Quelques 170 témoins seront entendus. Certains vivent en Belgique, d'autres viendront d'Allemagne et de Suisse, une cinquantaine du Rwanda et quelques uns du Burundi. Ils seront transportés en Belgique par des vols de la compagnie nationale belge Sabena. Leurs frais de déplacement et d'hébergement sont pris en charge par l'Etat belge.

Ce procès a lieu parce que la Belgique s'est dotée dès juin 1993, bien avant l'évocation d'une Cour pénale internationale, d'une loi habiltant ses tribunaux à juger les auteurs de crimes de droit international quelle que soit leur nationalité et le lieu du crime. D'où les plaintes en cascade déposées auprès de la justice belge contre le Chilien Augusto Pinochet, l'ancien président congolais Laurent-Désiré Kabila et son ministre des Affaires étrangères Abdoulaye Yerodia, contre des responsables khmers rouges, l'ex-président iranien Rafsandjani, le Rwandais Paul Kagame ou le Tchadien Hissène Habré...

Le procès des quatre Rwandais est la première application de cette loi de 1993. Il est l'aboutissement d'une longue procédure qui a démarré dès le mois d'août 1994 lorsque les premières plaintes furent déposées par des parties civiles rwandaises résidant en Belgique, rejointes plus tard par des victimes au Rwanda.

La justice belge agit en complémentarité avec le Tribunal pénal international pour le Rwanda d'Arusha (Tanzanie) où officient des magistrats professionnels qui jugent essentiellement les plus hauts responsables politiques et militaires du génocide et avec les tribunaux rwandais qui doivent encore juger 115 000 accusés en attente de procès.

Les quatre accusés de Butaré

Les quatre présumés génocidaires poursuivis en Belgique ne sont pas de grosses pointures au niveau national rwandais mais ils avaient des responsabilités importantes au niveau de la prefécture de Butare. Seule préfecture du pays à être à l'époque dirigée par unTutsi, la région fut dans un premier temps relativement épargnée par les massacres qui se déroulaient à Kigali et ailleurs. Le 17 avril le préfet est démis de ses fonctions avant d'être arrêté et exécuté. Toute la région sombrera alors dans une folie meurtrière.

Vincent Ntezimana, 39 ans, professeur de physique à l'Université nationale du Rwanda à Butare est accusé d'avoir dressé des listes de professeurs et de membres du personnel tutsis de son établissement pour faciliter leur execution. Il aurait personnellement participé à l'assassinat de plusieurs personnes.

Alphonse Higaniro, 51 ans, était un proche du président Habyarimana dont il fut durant dix mois le ministre des Transports avant d'être envoyé à Butare comme directeur général de la Socièté rwandaise des allumettes. Son beau-père fut tué dans l'attentat du 6 avril 1994 en même temps que le chef de l'Etat dont il était le médecin personnel.

Selon l'accusation, Alphonse Higaniro, extrémiste hutu, aurait par ses écrits incité à la haine ethnique et aux tueries.Il est accusé d'avoir engagé dans son usine de nombreux membres des Interahamwe qui se rendront coupables de massacres de Tutsis.

Les deux religieuses Consolata Mukagango (soeur Gertrude), 42 ans, et Julienne Mukabutera (soeur Marie Kisito), 36 ans, étaient respectivement mère supérieure et intendante au couvent des Bénédictines de Sovu. Elles sont accusées d'avoir livré aux miliciens hutus plusieurs milliers de Tutsis qui s'étaient réfugiés dans leur couvent. Elles auraient personnellement, en apportant de l'essence, aidé à mettre le feu à un bâtiment où s'étaient retranché plusieurs centaines de réfugiés. Les quatre accusés nient les faits qui leur sont reprochés dans les 41 pages de l'acte d'accusation.Ils comparaissent libres.

Le rôle de l'Eglise

Pour les parties civiles rwandaises, le fait même que ce procès ait lieu est déjà en soi un immense soulagement. Elles rendent hommage à la détermination du juge d'instruction Damien Vandermeersch qui aura permis de conduire l'instruction à son terme malgré les obstacles et certaines tentatives pour essayer de freiner le cours de la justice. L'instruction a révélé notamment que des pressions avaient été exercées par les instances religieuses sur certains témoins pour qu'ils reviennent sur leurs déclarations accablantes à l'encontre des deux soeurs.

Les quatre accusés vivent depuis 1994 en Belgique. Un pays qui ne leur est pas étranger et où ils bénéficieraient de certaines protections. Les deux hommes ont étudié à l'Université catholique de Louvain. Les deux soeurs résident actuellement au couvent de Maredret au sud de Bruxelles. Il faut dire que dans le dossier rwandais, les suspicions n'ont pas manqué quant au rôle de certains milieux catholiques belges dans l'aide au régime Habyarimana. L'amitié entre le roi Baudoin et l'ancien président rwandais était bien connue, beaucoup de catholiques belges, rappelle le quotidien catholique La Libre Belgique, voyaient dans le Rwanda de l'époque un «royaume chrétien inspiré par la doctrine sociale de l'Eglise».

La polémique réside, une fois l'horreur de la tragédie connue, dans l'éventuel soutien apporté aux représentants et militants du régime qui auraient encouragé ou participé au génocide. «Malgré les difficultés, nous n'avons jamais désespéré» confie un membre du collectif des parties civiles rwandaises qui estime que le changement de gouvernement en Belgique (la coalition dirigée par les sociaux-chrétiens a cédé la place en 1999 à une coalition dirigée par les libéraux) a contribué à faire avancer le dossier des quatre Rwandais de Butare.

Après cinq ans d'intruction le procès qui vient de s'ouvrir aujourd'hui devant les Assises de Bruxelles est celui d'une nouvelle justice qui ne connait pas de frontières.



par Anne-Marie  Mouradian

Article publié le 19/04/2001