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Maroc

Le procès de la République ajourné

Nadia Yassine est la porte-parole du principal mouvement islamiste marocain «Justice et spiritualité».(Photo: AFP)
Nadia Yassine est la porte-parole du principal mouvement islamiste marocain «Justice et spiritualité».
(Photo: AFP)

Le 28 juin, la chambre criminelle de première instance de Rabat a reporté sine die le procès pour lequel venaient comparaître la porte-parole du principal mouvement islamiste marocain «Justice et spiritualité», Nadia Yassine, et le directeur du journal Al Ousbouaayâ Al Jadida. Plusieurs centaines de manifestants islamistes s’étaient rassemblés devant le tribunal où les accusés devaient répondre du crime de lèse-monarchie pour un entretien, diffusé début juin, dans lequel Nadia Yassine affichait des convictions républicaines et prophétisait la chute imminente de la «maison» royale. Ces propos ont soulevé une tempête de critiques dans l’intelligentsia marocaine, toutes tendances confondues. Mais l’ajournement du procès arrange très certainement un pouvoir dont les indicateurs économiques et politiques sont à la baisse.


La fille du cheikh Abdessalam Yassine, guide spirituel du mouvement illégal mais toléré, «Justice et spiritualité», Nadia Yassine risque de trois à cinq ans de prison et une amende de 900 à 9 000 euros. Elle fait quasiment l’unanimité contre elle dans le cercle des partis politiques autorisés et dans la presse. A l’instar du pouvoir, ces derniers lui reprochent d’avoir osé dire que «la monarchie est inadaptée au Maroc». Ils invoquent la Constitution, «bonne pour les poubelles de l’Histoire», selon Nadia Yassine, pour lui contester toute liberté de penser à une République – islamique, ou plutôt islamiste, qui plus est. Pour sa part, Nadia Yassine n’a jamais douté que ces attachements monarchistes, plus ou moins contraints ou intéressés, interdisent «tout ce qui peut sortir le Maroc de son sommeil sacré», fut-ce ce qu’elle décrit comme «une approche académique, qui sort de la norme tracée». En l’occurrence, il s’agit de sa réflexion «intellectuelle» sur les avantages d’une République qui ne serait pas un trompe-l’œil tout aussi héréditaire que la monarchie, comme c’est le cas, écrit-elle, en Syrie par exemple.

Nadia Yassine «persiste et signe»

«Je persiste et signe, disait-elle hier au quotidien français Le Monde : le régime républicain peut-être plus efficace qu’une monarchie archaïque pour sortir un pays du sous-développement». Mais l’épouvantail vert fonctionne aussi très bien auprès de ceux que la monarchie indiffère ou rebute. Nadia Yassine est venue au tribunal la bouche fermée par un sparadrap. La presse marocaine n’a pas tari de critiques à son encontre depuis le déclenchement de «l’affaire». Elle a toutefois reçu un message de «solidarité» du cousin du roi Mohammed VI, le «prince rouge», Moulay Hicham, peu suspect de vouloir «la fin du régime», même s’il est mal en cour. Tout en exprimant son «désaccord fondamental» sur les charmes républicains, le prince désapprouve le procès en délit d’opinion fait à Nadia Yassine. Lui-même appelle de ses vœux une monarchie parlementaire. Il s’intéresse aussi de très près aux expériences d’intégration politique des mouvances islamistes par les pouvoirs arabo-musulmans.

Interdit de politique, le mouvement des Yassine est autorisé à faire du caritatif, en tant qu’association. Il est très implanté dans les universités et dans les quartiers populaires. Face à sa forte capacité de mobilisation, le pouvoir compte sur l’islamisme légal du Parti pour la justice et le développement (PJD), une formation politique «affreusement instrumentalisée» par l’administration royale selon Nadia Yassine. «Justice et spiritualité» prône la non-violence, rejette la clandestinité et refuse toute aide extérieure. Jusqu’à présent, Rabat se suffisait de le combattre à fleurets mouchetés. Mais la crise économique alimente ce mouvement déjà très influent. Et, au moment où sa souveraineté est battue en brèche par un regain d’indépendantisme au Sahara occidental, le pouvoir peut craindre de laisser égratigner davantage le tabou de la monarchie. Les deux sujets ne sont pas éloignés. Il n’est qu’à se souvenir de la «Marche verte» et de toutes les péripéties martiales ou diplomatiques qui ont marqué la symbolique saharienne de l’autorité monarchique ces trente dernières années.

Le 28 juin, la chambre criminelle de la Cour d'appel d’al-Ayoune a sanctionné de 15 à 20 ans de prison ferme «trois personnes impliquées dans les actes de vandalisme qu'a connus récemment la ville d’al-Ayoune». D’autres procès vont suivre contre les «vandales» sahraouis qui refusent le drapeau marocain. L’autorité royale peine à s’imposer dans les sables du Sahara, malgré les coûteux investissements qui font la jalousie des provinces marocaines voisines. La croissance n’est pas au rendez-vous. La majorité rurale désespère dans la sécheresse qui mange chaque année sa part de récolte. La minorité des salariés pleurent ses emplois avalés par la boulimie textile chinoise. Le baromètre de la popularité royale suit le cours de cet âpre quotidien. En d’autres circonstances, un procès en sorcellerie républicaine aurait pu faire diversion. Mais avec la charismatique Nadia Yassine, il risque d’empoisonner un peu plus l’atmosphère.

Certes, Nadia Yassine n'a pas «appelé les gens à se mobiliser pour la république», se contentant, dit-elle, d’indiquer sa «préférence». Cela a suffit à tétaniser presse et partis du gouvernement. Pour le Parti du progrès et du socialisme, par exemple, le quotidien Al Bayane demande des sanctions. «La liberté d'expression ne signifie nullement prendre des libertés avec les éléments constitutifs de la nation», écrit-il. La monarchie n’admet pas la critique, elle la redoute.


par Monique  Mas

Article publié le 29/06/2005 Dernière mise à jour le 29/06/2005 à 16:35 TU