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Albanie

Elections test pour la démocratie

Campagne d'affichage dans les rues de Tirana.(Photo: AFP)
Campagne d'affichage dans les rues de Tirana.
(Photo: AFP)
Depuis le début de la campagne pour les élections du 3 juillet, l’Albanie semble avoir de nouveau plongé dans une atmosphère de quasi-guerre civile. Candidats menacés, militants battus, tous les partis d’opposition dénoncent une atmosphère qui n’a rien de démocratique.
De notre envoyé spécial à Tirana

Selon Endi Fuga, responsable d’une ONG locale d’observation, les deux principaux partis, les socialistes de l’actuel Premier ministre Fatos Nano et les démocrates de l’ancien Président Sali Berisha, auraient largement recours à des gros bras au casier judiciaire chargé pour intimider les militants du camp adverse.

«On ne peut pas parler de campagne libre et démocratique, quand il n’y a aucune règle qui tienne et que les candidats sont menacés», déplore Sokol Dervishi, un représentant de la troisième force en lice pour ces élections, le Mouvement socialiste pour l’intégration, créé par l’ancien Premier ministre Ilir Meta. Ce dissident du Parti socialiste, voudrait faire sortir l’Albanie du face-à-face entre les deux «dinosaures» Nano et Berisha, mais il a peu de chances d’effectuer une percée significative.

Berisha rêve d’un scénario «révolutionnaire»

La partie s’annonce très ouverte. Sali Berisha est bien décidé à prendre sa revanche sur Fatos Nano, arrivé au pouvoir après les émeutes de 1997. Le chef de l’opposition de droite dénonce la corruption et les connexions mafieuses des socialistes. Depuis des mois, il répète que seule une fraude massive pourrait assurer le succès des socialistes, et il annonce à l’avance des manifestations pour faire respecter la volonté présumée des électeurs.

Sali Berisha rêve tout haut d’un scénario «révolutionnaire», sur le modèle serbe ou ukrainien, et des violences durant le scrutin ou à l’issue de celui-ci ne sont pas impossibles. La Fondation américaine Freedom House, fortement impliquée dans le financement des mouvements «révolutionnaires» de l’ancienne URSS, a publié le 15 juin un rapport très inquiétant, soulignant les risques de déstabilisation du pays. La plupart des Etats européens font cependant le pari d’une nouvelle victoire de Fatos Nano, préféré à l’imprévisible Berisha, qui avait plongé l’Albanie dans la crise de 1997, et qui est capable de tenir des propos d’un nationalisme virulent sur des dossiers comme le Kosovo.

L’émigration annule le solde d’une forte natalité

Pour la première fois, des sondages préélectoraux ont été organisés, prédisant une avance conséquente à Sali Berisha, mais leur fiabilité demeure douteuse. En réalité, beaucoup d’électeurs demeurent incertains, et l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), qui observe le scrutin, met le doigt sur un problème majeur : les listes électorales sont elles-mêmes très contestables.

Depuis la chute du communisme, l’Albanie a été affectée par d’incessants mouvements de population. Alors que des centaines de milliers d’Albanais ont quitté leur pays, le plus souvent clandestinement, l’exode rural a jeté des centaines de milliers de personnes dans les périphéries des deux principaux centres urbains, Tirana et le port de Durrës. D’après le recensement de 2003, la population totale du pays stagne autour de 3 millions d’habitants, l’émigration annulant le solde d’une forte natalité, tandis que les zones montagneuses du sud et surtout du nord du pays se sont vidées de leur population.

Un timide frémissement

En Albanie, ce qui restait du communisme ne s’est effondré qu’en 1992, et le pays demeure le plus pauvre d’Europe. L’Albanie offre toujours au voyageur un paysage de gigantesques combinats industriels ruinés. Cependant, depuis quelques années, un timide frémissement se fait sentir. Des financements européens ont permis de reconstruire des infrastructures essentielles, comme le port de Durrës. De petites entreprises sont apparues, mais elles sont incapables d’offrir des perspectives d’emploi aux jeunes Albanais, qui continuent donc de prendre le chemin de l’exil.

Dans le sud du pays, quasiment tous les villages se vident durant l’été : les jeunes hommes vont travailler en Grèce. Ils ont l’habitude d’être régulièrement expulsés, en fonction des fluctuations du marché de la main d’œuvre hellénique. Les Jeux olympiques de 2004 ont ainsi représenté une opportunité exceptionnelle pour les milliers d’Albanais employés dans le secteur de la construction.

Le bulletin de vote ou la kalachnikov

En plus de ce brassage incessant de population, le pays demeure sous-administré, et bien malin qui pourrait garantir la fiabilité des listes électorales. Si les résultats ne correspondent pas à ses attentes, Sali Berisha aura donc beau jeu d’accuser le gouvernement d’avoir déformé la composition du corps électoral.

Quel que soit le vainqueur, les élections de dimanche représenteront de toute façon un test majeur sur la capacité de l’Albanie à rompre avec ses vieux démons et à construire une véritable démocratie. «Toute la question est de savoir si les bulletins de vote suffiront à déterminer le vainqueur ou bien si les kalachnikovs devront encore une fois départager Fatos Nano et Sali Berisha», conclut le journaliste Besnik Hoxha.


par Jean-Arnault  Dérens

Article publié le 02/07/2005 Dernière mise à jour le 03/07/2005 à 09:26 TU