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Kenya

La guerre des clans entre Borana et Gabra

Turbi, théâtre des massacres du 12 juillet 2005.(Carte : RFI)
Turbi, théâtre des massacres du 12 juillet 2005.
(Carte : RFI)
Mardi, vers 7 heures du matin, quelque 200 Borana, équipés de fusils, de lances et de machettes, ont fait irruption dans le village gabra de Turbi, dans le district de Marsabit, sur le plateau arable des confins désertiques du Nord-Est frontalier de l’Ethiopie. En chemin, ils ont croisé des écoliers. Ils en ont tué 22. A Turbi, les Borana ont surtout trouvé des mères de famille en train de préparer le petit déjeuner de leur progéniture. Ils ont frappé et tiré sans relâche, faisant une quarantaine de morts supplémentaires, selon les premières estimations de la police. Un policier a pu entasser douze blessés dans sa Toyota pour les conduire à l’hôpital de Marsabit distant de 130 kilomètres. Il a dû sélectionner ceux qui pouvaient survivre au voyage de deux ou trois heures. De très nombreux blessés attendaient toujours à Turbi mardi soir. D’autres attaques étaient signalées dans la région. Une guerre des clans a commencé pour le contrôle des terres arables.

Selon la presse kényane, les assaillants borana de Turbi seraient passés par le Sud Ethiopien, une région oromo, à une cinquantaine de kilomètres de là. Coup de machette au cou pour les plus jeunes, tirs à bout portant pour les femmes, ce massacre témoigne d’une volonté d’extermination du clan semi nomade des Gabra, éleveurs de chèvres et de chameaux, par leurs cousins Borana, des anciens nomades oromo sédentarisés de longue date sur les mêmes parcelles de terres arables. Les deux communautés parlent en effet la même langue, partagent les mêmes patronymes et s’épousent mutuellement. Et mardi, il ne s’agissait pas de voler du bétail ou de vider quelque querelle de points d’eau ou de pâturages. La pression sur les rares terres arables du plateau de Marsabit et des collines environnantes a produit une tuerie. Dans le village décimé, «la majorité des morts sont des mères et des enfants», expliquent les autorités. Le bain de sang augure de lendemains belliqueux.

Premières représailles

Selon un prêtre catholique italien joint par l’Agence France Presse (AFP) à Marsabit, des représailles ont eu lieu dès mardi, en milieu de journée. Des Gabra ont arrêté le véhicule qu’il conduisait et tué, à coup de pierres, ses dix passagers borana, «six adultes et quatre enfants». L’attaque s’est produite aux alentours de la ville de Sololo, à une trentaine de kilomètres nord de Turbi. Mardi, des militaires du camp de Moyale ont été chargé de poursuivre les auteurs du raid sur Turbi. «Les forces de sécurité m'ont dit qu'elles étaient à la poursuite des attaquants qui n'ont pas encore atteint la frontière éthiopienne», indiquait mardi soir à l’AFP un député de la place, Bodanya Godana. Aucun résultat de cette course poursuite n’était encore rendu public mercredi mais la presse kényane du matin reprochait au gouvernement d’avoir dépêché seulement seize policiers à Turbi.

«Les Borana veulent pousser dehors les Gabra. Au fond c'est un programme d'expansion», pour élargir leur contrôle sur les points d’eau et les pâturages, explique un notable. «L'animosité entre les populations s'est construite autours de ces problèmes», ajoute le porte-parole de la Croix-Rouge kényane, Tony Mwangui, qui compte sur la police pour contrôler une situation qui «est toujours très tendue». De son côté, la presse kényane reproche au gouvernement d’avoir laissé des précédents impunis. L’éditorialiste du Kenyan Times estime quant à lui que «les politiciens ont leur part de responsabilité dans la montée de cette intolérance ethnique à cause de leurs propres outrances» en la matière. Début juin, un politicien borana avait en effet ameuté sa communauté, en la pressant de prendre le sentier de la guerre contre les Gabra. Il n’a pas eu besoin de le répéter car depuis le début de l’année, un vent de panique souffle sur les champs de mais et de haricots borana, en particulier dans les collines Huri où se sont implantés ces anciens nomades. Peu avant, pour complaire aux Gabra, les autorités locales avaient déclaré dans une réunion publique que le gouvernement allait expulser les «immigrants illégaux venus d’Ethiopie». Or nombre de Borana sont sans papiers depuis des lustres.

Jusqu’à récemment, Borana et Gabra était alliés, ces derniers étant de longue date en conflit pastoral avec une autre communauté locale, celle des Rendile. L’année dernière a toutefois été marquée par des escarmouches violentes entre les trois communautés, le tout se compliquant avec l’entrée en scène de plus en plus fréquente d’Oromo éthiopiens venus chasser l’éléphant dans la forêt de Marsabit pour des raisons plus traditionnelles qu’économiques, mais avec des fusils. Ces «bandits» oromo ont parfois fait cause commune avec les Borana inquiets pour leur avenir dans les collines de Huri depuis que les Gabra les accusent d’avoir fait venir des parents éthiopiens. Les Borana auraient atteint aujourd’hui la majorité démographique. Cette querelle autour de l’espace vital aurait fait une quarantaine de morts entre janvier et juin. Elle contribue à gangrener le nord-est du Kenya très lourdement marqué par d’autres conflits pastoraux transfrontaliers.

Conflits transfrontaliers

En mars dernier, des Murule somaliens avaient franchi la frontière pour s’abattre sur un village du clan rival des Garre où ils avaient, là aussi, passé par les armes une trentaine de femmes et d’enfants. A cheval sur des frontières passoires, les communautés des confins nord du Kenya se disputent au couteau les moyens de survie précaire que leur concède une nature guère généreuse. Régler le problème supposerait un développement intégré transfrontalier. Addis-Abéba et Nairobi ont apparemment d’autres priorités. Et l’Etat somalien attend toujours sa renaissance. Les pasteurs du Nord kényan restent confinés dans leur élevage de subsistance, à l’écart des infrastructures et sur des terres de plus en plus arides. La seule aide qu’ils reçoivent provient de l’extérieur, avec par exemple des projets de développement et d’accès à l’eau conduits par la coopération allemande dans le région de Marsabit.

Les populations agro-pastorales du Nord kényan ont de tous temps livré un âpre combat à la nature. Aujourd’hui, la concurrence humaine est plus forte et les armes à feu décuplent la force de persuasion de leurs détenteurs. Ce qu’ils frappent en premier, c’est la capacité de reproduction de l’adversaire, les femmes et les enfants d’abord, méthode d’éleveurs peut-être. En tout cas, Marsabit est désormais l’épicentre d’une guerre des clans en forme d’épuration ethnique.


par Monique  Mas

Article publié le 13/07/2005 Dernière mise à jour le 13/07/2005 à 16:27 TU