Sénégal
Idrissa Seck, la disgrâce
(photo : AFP)
Jeudi 14 juillet 2005. Idrissa Seck – qui ne s'était pas publiquement exprimé depuis son limogeage de son poste de Premier ministre en avril 2004 – parle. Il parle longuement et évoque de nombreux sujets, en particulier de ses relations avec Wade. «Ce qui reste de nos relations, c'est ce qui reste entre le secrétaire général d'un parti et un militant-responsable du même parti (...), le souvenir qu'après avoir fait de moi le numéro 2 du PDS, il m'a promu, à la faveur de la dualité, deuxième numéro 1 de ce parti», déclare-t-il, lors de la rencontre avec la presse organisée à son domicile, dans le quartier résidentiel du Point E, à Dakar. Samedi matin, celle-ci faisait l'objet d'une perquisition. Mais depuis plusieurs mois, il n'y a plus d'amour entre Seck et Wade. Reste la reconnaissance éternelle due par l'élève au maître, le cadet à l'aîné. «Cet homme a joué un rôle décisif dans ma formation, je lui rends un grand hommage pour cet apport. J'ai été dans son voisinage pendant plus de trente ans, de manière ininterrompue», explique l'ex-Premier ministre, «Idy», actuel maire de sa ville natale, Thiès (à 70 kilomètres à l'est de Dakar), pomme de la discorde financière invoquée par le président Wade.
«Donner corps à la vision de Wade»Homme d'affaires, spécialisé en finances et stratégies de développement, ce quadragénaire de teint noir, de petite taille et à l'air fier – «arrogant», disent ses détracteurs – Idrissa Seck a été nommé chef de gouvernement pour la première fois en novembre 2002. Il se fixe alors mission de «donner corps à la vision du président Wade», dont il était jusqu'alors directeur de cabinet, avec rang de ministre d'Etat. Certains voient en cette nomination la récompense «naturelle» d'un militant qui a rejoint le PDS à l'âge de 15 ans et qui, depuis, y a fait du chemin, jusqu'à sa «découverte» par le large public, en 1988, comme directeur de campagne d'Abdoulaye Wade, candidat à la présidentielle remportée par celui du pouvoir d'alors, Abdou Diouf.
Ascension politique «naturelle» ? Certains, parmi lesquels des «camarades» politiques, l'accusent d'avoir manœuvré pour écarter ses adversaires. Et cela, par goût du pouvoir et de l'argent, précisent-ils. Ils décrivent Idrissa Seck en Iznogoud, ce personnage de bande dessinée intrigant pour «devenir calife à la place du calife». Dans le contexte sénégalais, l'occasion choisie serait celle des prochaines élections, les législatives en 2006 et la présidentielle en 2007. «Au PDS, je ne compte que des amis parmi les responsables les plus élevés, et je compte un groupe d'adversaires très réduit», se défend Idrissa Seckl, en tentant d'expliquer «l'acharnement de certains frères libéraux» à le faire passer pour machiavélique.
«Acharnement» crypto-personnel ou divergence exacerbée d'opinions ? L'ambiance n'était en tout cas plus au beau fixe entre les camps d'Abdoulaye Wade et d'Idrissa Seck depuis la parution, en été 2003, d'un livre très critique sur le président. Intitulé «Wade, un opposant au pouvoir - L'alternance piégée ?», cet ouvrage du journaliste Abdou Latif Coulibaly, a été perçu comme un pavé lancé dans la mare du chef de l'Etat par celui qui était alors Premier ministre.
Les «chantiers de Thiès»Depuis, les incidents se sont multipliés au sein du PDS entre «pro-Wade» et «pro-Idy», et ils ont pris une hauteur nauséabonde le 11 mai dernier, lorsque plusieurs individus ont lancé, contre le domicile d'Idrissa Seck, des oeufs pourris, des excréments d'animaux et du sang, en représailles à des huées attribuées à ses sympathisants et visant un ministre ouvertement «anti-Idy». Ces projectiles malodorants n'ont pas tiré Idrissa Seck de son mutisme. Le visage souvent barré d'un sourire moqueur, l’ex-Premier ministre donne alors l'impression que cette agitation l’amuse, qu’il la regarde de haut.Jusqu'au 13 juillet. Près de quinze mois après l'avoir limogé, le «père» Wade lâche en effet le «fils» Seck, à l’occasion d'un meeting de ralliement de quelques milliers de militants ex-socialistes venus de Thiès, son fief. Il l'accuse d'avoir effectué dans cette ville des travaux pour un coût dépassant le montant qu'il avait autorisé: 46 milliards de francs CFA, au lieu de 25 (plus de 70 millions d'euros au lieu de 38).
«Vous dites à quelqu'un de prendre de l'argent et de vous acheter telle chose pour 2 000 francs à la boutique. Il revient vous dire qu'il a pris 10 000 francs, vous êtes en droit de lui demander ce qu'il a fait des 8 000 francs. Voilà tout ce qu'il y a entre Idrissa Seck et moi», explique Abdoulaye Wade, en précisant que le dossier a été transmis à la justice. Un dossier que la presse intitule «l’affaire des chantiers de Thiès» et qu' Idrissa Seck affirme vide, en assurant d'un ton calme: «Pas un seul centime de détourné ne pourra m'être reproché».
par Coumba Sylla
Article publié le 16/07/2005 Dernière mise à jour le 16/07/2005 à 13:43 TU