Congo
Disparus du Beach : un procès chasse l’autre
(photo : AFP)
Seize personnes sont appelées à comparaître à Brazzaville où s’ouvre, le 19 juillet, le procès des «disparus du Beach», le port fluvial de la capitale où des réfugiés de la guerre civile congolaise ont été enlevés, à leur retour d’exil de la République démocratique du Congo (RDC) voisine, en mai 1999. Selon les familles et les organisations des droits de l’Homme, au cours du «rapatriement» cautionné par le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), 353 «disparus», parmi lesquels une majorité de jeunes hommes, auraient été exécutés par le régime de Denis Sassou Nguesso, qui venait de reprendre le pouvoir. Les autorités admettent seulement de possibles «bavures» et protestent de leur bonne foi au regard de la brochette de galonnés appelés à comparaître. Les plaignants voient en revanche dans le procès de Brazzaville un «leurre», destiné à empêcher la réouverture de la procédure lancée en France en décembre 2001 et annulée en novembre 2004, à l’issue d’un feuilleton judiciaire politico-diplomatique.
Quatre généraux, quatre colonels, tous en fonction, la plupart des seize accusés sont des officiers supérieurs des forces de sécurité congolaises, des têtes d’affiches qui ont déjà défrayé la chronique judiciaire française. Le général Norbert Dabira, par exemple, inspecteur général des armées et de la gendarmerie, grand ordonnateur des milices Cobra contre les Ninja du camp adverse, pendant la guerre civile, mais aussi propriétaire d’une résidence à Meaux, en Seine-et-marne, dans la région parisienne. Le 5 décembre 2001, la saisine du tribunal de Meaux par des organisations de droits de l’Homme avait ouvert le bal judiciaire. La plainte pour «crimes contre l'humanité, pratique massive et systématique d'enlèvements de personnes suivis de leurs disparitions, tortures, actes inhumains pour des motifs idéologiques et en exécution d'un plan concerté contre un groupe de population civile» visait en même temps le président Nguesso et deux de ses fidèles, le ministre de l’Intérieur Pierre Oba et le commandant de la Garde présidentielle, le général Blaise Adoua qui commande actuellement la zone militaire de Brazzaville et doit, lui aussi comparaître.
L'autorité de la chose jugée
Depuis 2001, le général Dabira a joué à cache-cache avec les juges français. Les président Nguesso et Chirac se sont expliqué en tête-à-tête, le premier refusant son témoignage écrit aux juges français en septembre 2002. Le directeur de la police congolaise, le colonel Jean-François Ndenguet a passé quelques heures dans la prison française de la Santé, la nuit du 2 au 3 avril 2004, avant d’être élargi sur ordre du procureur de la République française, faisant valoir l’immunité diplomatique pour le dignitaire accusé de crimes contre l’Humanité. Bref, le feuilleton n’a cessé de rebondir jusqu’à ce que le 23 novembre 2004, la première chambre de la Cour d’appel de Paris annule le «réquisitoire introductif et l’ensemble des pièces de la procédure», au grand désarroi de l’avocat des parties civiles, l’ancien président de la Fédération internationale des droits de l’Homme, Me Patrick Baudoin. «C’est une décision choquante et décevante pour les victimes congolaises qui croyaient en l’impartialité et l’indépendance de la justice française et qui ont pris d’immenses risques en témoignant», avait-il alors déclaré, avant de déposer un pourvoi en cassation. La date de l’examen du pourvoi n’a toujours pas été communiqué ce qui laisse le temps à Brazzaville de jouer la carte de l’autorité de la chose jugée pour éteindre tout danger de procédure judiciaire en France.
Après l’alerte de Meaux fin 2001, la justice congolaise s’est résolue à ouvrir une information judiciaire sur le dossier du Beach. Cela servira d’argument, en septembre 2002, aux autorités congolaises qui refusent la comparution de l’officier supérieur Dabira devant la justice étrangère, en l’occurrence française. Au passage, Brazzaville dénonce une «manipulation politicienne» de l’affaire du Beach contre un régime pétrolier étroitement lié à Paris. En avril 2003, les autorités congolaises ont même demandé à la Cour internationale de justice (CIJ) de geler de la procédure française. La demande rejetée par La Haye, en juin 2004, le président Nguesso s’est choisi un nouveau leitmotiv, appelant désormais de ses vœux un «procès public, libre et transparent». Le procès sera retransmis en direct à la radio et à la télévision congolaises. Mais, selon les avocats des plaignants, le juge d'instruction de Brazzaville «n'a pas mené d'enquête», se contentant d’opposer les déclarations des parties adverses.
«Nous sommes sceptiques, nous savons que ce procès est organisé pour condamner les lampistes et acquitter les véritables commanditaires», explique le responsable du Comité des familles, Vincent Niamankessi. «Nous avions fondé tous nos espoirs sur la justice française …Nous avons, malgré nous, accepté la procédure congolaise», poursuit-il avant de conclure «c'est un défi pour la justice de notre pays. Les magistrats doivent montrer leur savoir-faire et leur professionnalisme parce que c'est la première fois qu'ils vont juger une affaire d'une grande monstruosité». Ce procès pourrait en effet constituer une première au Congo, à supposer qu’il n’ait pas pour unique objet de fermer le ban judiciaire des «disparus du Beach».
par Monique Mas
Article publié le 19/07/2005 Dernière mise à jour le 19/07/2005 à 10:10 TU