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Centrafrique

Quatre millions d’euros pour encourager Bozizé

Paris apportera une aide supplémentaire de quatre millions d'euros à Bangui, a annoncé Jacques Chirac à son homologue centrafricain François Bozizé, qu'il recevait à l'Elysée.(Photo : AFP)
Paris apportera une aide supplémentaire de quatre millions d'euros à Bangui, a annoncé Jacques Chirac à son homologue centrafricain François Bozizé, qu'il recevait à l'Elysée.
(Photo : AFP)
Lundi en fin de matinée, à l’issue d’un entretien avec son homologue centrafricain, François Bozizé, le président français Jacques Chirac a promis une rallonge de quatre millions d’euros à la Centrafrique. Bangui avait en effet déjà reçu une aide française exceptionnelle d’un million d’euros, début juillet. Il s’agissait alors de combler une partie des arriérés de salaires des fonctionnaires civils et militaires. Paris remet la main à la poche «pour appuyer les mesures de redressement en cours et les réformes notamment en matière de finances publiques et de bonne gouvernance».

Pour sa première visite officielle à Paris, depuis son coup d’Etat en 2003 et son élection le 8 mai dernier, le président Bozizé ne pouvait guère espérer mieux que ce bon point diplomatique sonnant et trébuchant. Le message qui l’accompagne est d’ailleurs un encouragement, une manière discrète de saluer des «mesures de redressement» qui ont aux yeux de Paris le mérite d’exister, même s’il est prématuré d’en espérer un résultat probant et surtout rapide. La Centrafrique souffre en effet d’une banqueroute chronique. Début juillet, une fois de plus, son ministre des Finances et du Budget, Théodore Dabanga, prophétisait des temps «extrêmement difficiles, les six prochains mois, peut-être les douze prochains mois».

«Nous avons des besoins de l'ordre de 5 à 6 milliards de francs CFA [près de 9 millions d'euros] par mois mais nous n'avons des recettes que de l'ordre de 3 milliards [4,5 millions d'euros], indiquait Théodore Dabanga, en expliquant à l’Agence France Presse que «les impôts ne rentrent que pendant le premier semestre. A partir du deuxième semestre, ce sont les efforts douaniers qui nous permettent de tenir». Ces derniers sont très incertains. Théodore Dabanga a donc promis de prendre des «mesures courageuses» pour redresser les finances publiques. Quelques jours avant son intervention radio-télévisée, le Trésor public avait dû fermer ses portes sine die alors que les syndicats de fonctionnaires réclamaient plus vigoureusement que jamais le paiement des arriérés de salaires.

La bataille des arriérés de salaires

La dernière paie effective des 24 000 agents de la fonction publique, celle d’avril 2005, représente leur salaire d’octobre 2004. La situation des retraités est encore plus dramatique puisqu’ils cumulent quatre trimestres d’arriérés. En juin, l’annonce d’une aide d’urgence française d’un million d’euros, pour amortir un peu les retards de paiement, avait encouragé nombre d’entre eux à prendre la route de Bangui, la capitale, où ils viennent toucher leur pension. En vain. Et cela quelques semaines à peine après la légitimation du général François Bozize par les urnes. Depuis lors, les syndicats ont poursuivi la bataille des arriérés de salaires, les enseignants de l'Université de Bangui relançant leur mouvement le 1er août, après une suspension de deux mois.

Le calcul est vite fait. Sur la base des chiffres avancés par le ministre des Finances, avec quelque 4, 5 millions d’euros de recettes pour 9 millions de dépenses incompressibles, les 4 millions d’euros supplémentaires alloués par la France permettent tout au plus de boucler une mensualité budgétaire. Or déjà, les enseignants grévistes reprochent au gouvernement de ne pas avoir affecté comme prévu «250 millions de francs CFA alloués par la France [soit une fraction du million d’euros accordé début juillet] pour le paiement des arriérés d'indemnités et des heures supplémentaires». A la mi-avril, ils s’étaient mis en grève pour obtenir le règlement de 600 millions de francs CFA d’arriérés [environ 900 000 euros], interrompant leur mouvement mi-juin après le versement de 120 millions de francs CFA. Ils sont toujours loin du compte. Jusqu’à présent, pas plus que la Fédération syndicale des enseignants de Centrafrique (FSEC), l'Union syndicale des travailleurs de Centrafrique (USTC) n’est parvenue à «trouver avec le gouvernement un programme d'apurement des arriérés». La fin de la transition imposée par le coup d’Etat de 2003 ramène la lutte salariale au premier plan.

La corruption, un problème majeur

Le 20 juillet dernier, en gage de bonne volonté, mais aussi en réponse aux injonctions de la Banque mondiale qui considère la corruption comme «un problème majeur» en Centrafrique, un décret présidentiel a créé, «au sein du Tribunal de grande instance de Bangui, une section spéciale chargée d'engager toute action et de suivre des affaires de détournement des deniers publics, de corruption, de concussion, de trafic d'influence, de prise d'intérêt, de blanchiment d'argent et de déficit non signalé, commis au préjudice de l'Etat», en particulier dans ses régies financières et dans les lucratifs secteurs du bois et des diamants. Mais les bonnes résolutions ne suffiront pas, à elles seules, à convaincre longtemps les bailleurs de fonds, même si les Nations unies considèrent la situation humanitaire de la Centrafrique comme l’une des cinq crises les plus inquiétantes, mais aussi les plus oubliées, du monde.

C’est du côté des recettes publiques que les bailleurs de fonds seront le plus vigilants, comme l’expliquent les rapporteurs du Fonds monétaire international (FMI) qui vient de renouer avec la Centrafrique et qui promet un programme d’assistance post-conflit de quelque 8 millions de dollars. C’est aussi l’avis de la France qui «appuie» l’entrée de la Centrafrique dans la procédure des Pays pauvres très endettés (PPTE). Paris entretient également quelque 200 soldats, en renfort de la Force multinationale de la Communauté économique des Etats de l'Afrique centrale en Centrafrique (Fomuc). Mais la stabilisation est loin d’être acquise. La Commission nationale centrafricaine de désarmement, démobilisation et réinsertion (CNDDR) a recensé 6 000 anciens combattants issus des multiples conflits politico-militaires qui ont défrayé la chronique de cette dernière décennie : mutins de toutes obédiences, miliciens du président déchu Ange-Félix Patassé ou anciens compagnons de rébellion de François Bozizé.

La CNDDR estime à près de 100 000 les armes individuelles actuellement en circulation aux quatre coins du territoire. Beaucoup d’anciens combattants se sont déjà reconvertis dans un banditisme qui leur assure visiblement de meilleures soldes. François Bozizé aura du mal à les convaincre de déposer les armes en échange de promesses…d’arriérés de salaires. De son côté, le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) pilote un Projet de réinsertion des ex-combattants et d'appui aux communautés (Prac). Mais c’est d’un véritable «plan Marshall» dont les Centrafricains auraient besoin pour sortir du piège de la misère et des conflits qu’elle génère.

La crise humanitaire

Selon l’Organisation de coordination de l’aide humanitaire des Nations unies (OCHA), la survie de 800 000 habitants des provinces du Nord dépend d’une aide d’urgence qui n’arrive pas. 35% seulement des 181 millions de dollars nécessaires ont été effectivement promis par les donateurs. La malnutrition est si sévère que le taux de mortalité des enfants atteint le sinistre record de 194 pour 1000. Et le taux de prévalence du Sida est l’un des plus élevé d’Afrique centrale. La guerre civile a fait des ravages entre 2002 et 2003. 71% de la population survit aujourd’hui sous le seuil de pauvreté, contre 49% auparavant. En 2002, le revenu par tête était estimé à 260 dollars par an. Le taux de croissance aurait régressé à -7,2% en 2003 pour se relever à 0,5% l’année dernière.

Le département d’Etat américain, par exemple, indique que Washington a prohibé toute aide au gouvernement centrafricain issu du coup d’Etat de 2003, tolérant seulement un soutien humanitaire au gouvernement centrafricain et un appui à sa «démocratisation». L’aide internationale est en panne depuis 2003. Elle reprend au compte-gouttes. «La France est un partenaire privilégié de toujours. Elle est à nos côtés depuis toujours. Et depuis la transition consensuelle, elle ne nous abandonnera pas», déclarait François Bozizé à sa sortie de l’Elysée. Reste que la France ne saurait, à elle seule, remplir le tonneau des Danaïdes centrafricain. François Bozize devra garder son bâton de pèlerin longtemps encore.


par Monique  Mas

Article publié le 02/08/2005 Dernière mise à jour le 02/08/2005 à 16:55 TU