Centrafrique
Elie Doté, un agronome Premier ministre
(Carte: SB/RFI)
Légitimé haut la main par la présidentielle de mars, après deux années de «transition» imposée par son coup d’Etat du 15 mars 2003, François Bozizé s’est choisi un Premier ministre, Elie Doté, qui ne s’est guère montré sur les rives du marigot politico-militaire centrafricain ces dernières décennies. «C'est un technocrate qui pourra s'atteler à la mise en oeuvre du programme sur la base duquel François Bozizé a été élu président de la République», indique Alain-George Ngatoua, le conseiller en communication de François Bozizé. Ce programme, le président «m'en a fait part et je me suis senti intéressé, c'est pourquoi j'ai accepté ce poste», explique Elie Doté. «C'est une tâche immense à commencer par la formation du nouveau gouvernement, et vu les problèmes auxquels est confronté le pays, notamment la sécurité, l'économie et le social, particulièrement la santé et l'éducation», souligne le conseiller présidentiel.
Pour François Bozizé, l’ordinaire du quinquennat qui s’ouvre sera, comme pour ses prédécesseurs, celui d’un Etat aux caisses désespérément vides, obéré par une dette extérieure de quelque 1,3 milliard de dollars (en 2003) et coutumier des arriérés de salaires insondables. Bref, tous les ingrédients restent réunis pour gripper une administration civile impuissante à alphabétiser plus de la moitié des Centrafricains où à soigner les enfants dont 11,5% meurent avant l’âge de cinq ans. Côté militaire, tout reste à faire aussi malgré l’entreprise de réconciliation tentée depuis l’an 2000 par le Bureau d’observation des Nations unies (Bonuca). Cela n’a pas empêché le putsch de Bozizé. Ces quinze dernières années, la désagrégation des forces armées (2 550 hommes dont 1 000 gendarmes) s’est poursuivie, de mutineries en coups d’Etat ratés ou réussis.
Déliquescence économique et militaire
Les affrontements qui chassent actuellement des centaines de Centrafricains au Tchad sont indissociables de la déliquescence économique et militaire du pays. Mais sans doute le général Bozizé se réserve-t-il ce dernier champ d’intervention. En revanche, les compétences agro-économiques de son nouveau Premier ministre ne seront pas de trop pour relancer l’agriculture, qui occupe plus de 80% de la population active. Encore faudra-t-il que l’insécurité cesse de bousculer les paysans et qu’un minimum de tranquillité et d’assistance leur permettent de passer à un stade supérieur à celui l’agriculture de subsistance.
Samedi dernier, comme le veut l’usage, Célestin Leroy Gaombalet a donné sa démission de chef de gouvernement et celle de son cabinet. Quelques jours plus tôt, il avait été élu président de l’Assemblée nationale. Il le restera, du moins un certain temps, la vox populi l’ayant donné à tort partant pour une deuxième manche comme Premier ministre. Le directeur général de la Commercial Bank of Central Africa (CBCA) Theodore Dabanga, figurait lui-aussi sur la liste des nominés. Animateur important de la Convergence politique qui a fait campagne pour Bozizé, Dabanga paraît devoir rester banquier, à la CBCA ou ailleurs. Certains journaux centrafricains croient savoir que c’est lui qui est allé dénicher Elie Doté à Tunis, une déception sans doute pour l’ancien Premier ministre (1996-1997) Jean-Paul Ngoupandé qui avait pourtant mis ses voix de présidentiable malheureux dans la corbeille de Bozizé.
De la BAD à Bangui, Elie Doté va devoir mettre en pratique les traditionnelles recommandations de bonne gestion et de rigueur. Et cela dans un pays riche de bois et de diamant dont les recettes ont fortement tendance à s’évaporer dans les allées du pouvoir lorsqu’elles ne jouent pas à saute-frontières. Le pays est exsangue et la restauration de son image par les urnes ne suffira pas à le tirer du gouffre. Dans son discours d’investiture, François Bozizé à promis de «traduire dans la réalité la nouvelle renaissance de la République centrafricaine». L’insécurité qui perdure, en particulier dans sa propre région du Nord, est un défi majeur. Le 4 juin dernier, selon le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), «quelque 5 000 Centrafricains ont franchi la frontière tchadienne à cause d'affrontements survenus dans la localité de Matakounda et se sont réfugiés à Goré», au Tchad, à environ 600 kilomètres au sud de N'Djamena. Huit jours plus tard, 900 nouveaux réfugiés affluaient à Goré.
Bangui explique ces mouvements de population par des affrontements entre l’armée centrafricaine et des «bandes armées non encore identifiées». Bandits de grand chemin -«coupeurs de route», comme on dit en Afrique-, soldats perdus, factions politico-militaires ? Le pouvoir n’est pas très bavard sur ce fléau qui pousse à nouveau des cohortes de Centrafricains de l’autre côté de la frontière où s’agglutinent toujours plus de 15 000 réfugiés. Ces derniers avaient été chassés de la même région, en 2003, par les combats entre l’armée loyale au président de l’époque, Ange-Félix Patassé, et les rebelles conduits par son tombeur, François Bozizé. Dans son futur programme de gouvernement, le nouveau Premier ministre pourra difficilement faire l’impasse sur cette question brûlante. Dans le meilleur des cas, il lui faudra songer à la réinstallation des réfugiés et des déplacés centrafricains. Mais le président Bozizé ne manquera sans doute pas de garder la haute main sur les questions de sécurité, en attendant la restauration d’un semblant d’ordre sinon de sécurité dans l’ensemble du territoire et, en particulier, dans les zones troublées par le passé récent.
par Monique Mas
Article publié le 14/06/2005 Dernière mise à jour le 14/06/2005 à 16:24 TU