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Brésil

Liberté pour les esclaves du charbon (suite)

(Photo: Anne Corpet/RFI)
(Photo: Anne Corpet/RFI)

Des piles de dossiers à éplucher

Dix sept heures. Dans la journée, les inspecteurs ont visité quatre sites de production et consigné les noms de plus d’une centaine d’employés, certains malades ou blessés, d’autres mineurs, tous exploités, affamés, logés dans des bouges infâmes. Le convoi s’engage dans la rue principale de Goianese et s’arrête devant une maison protégée par des gardes de sécurité. Les policiers fédéraux les écartent, entrent, et appellent Clovis sur le talkie-walkie «Espace dégagé, vous pouvez y aller.» Les inspecteurs font leur entrée dans un bureau climatisé.

Un policier fédéral inspecte le site et le sécurise avant l'arrivée des inspecteurs du travail.
(Photo: Anne Corpet/RFI)

«Bonjour, nous sommes inspecteurs du travail, mandatés par le ministère. Où est le livre des employés ?»
La secrétaire se tasse derrière son ordinateur. «Il n’est pas ici. Il doit se trouver au siège de la compagnie, à Maraba.» Clovis hausse le sourcil. «Chaque bureau doit posséder ce document. Comment vous appelez vous ?», «Michèle» «Michèle, apportez-moi toute la paperasse dont vous disposez.» Assis autour d’une table, les inspecteurs épluchent page par page une épaisse pile de dossiers, entrent des données sur leurs ordinateurs portables. Clovis tape frénétiquement sur sa calculette, barre les registres au feutre rouge. Michèle sert le café. «Ce que je veux vous faire comprendre, Michèle, et je vais en parler avec votre patron, c’est que votre entreprise est dans l’illégalité. Ces documents en attestent, et nous l’avons constaté sur le terrain. La situation est critique pour les employés. C’est mauvais, très mauvais. Vous allez appelez votre patron, et lui dire d’être ici demain matin à huit heures. C’est compris ?»

Sur un signe de Clovis, les inspecteurs lèvent le camp, emportant tous les dossiers. Le convoi repart, toujours sous la protection des policiers armés. La nuit est déjà tombée, et la route est encore longue jusqu’à l’hôtel. «Nous évitons de nous installer trop près des sites contrôlés. Question de sécurité.» lâche Clovis. A l’arrière, Inez s’est déjà endormie.

«Vous allez devoir payer, et l’addition sera salée !»

A l’hôtel, Clovis partage sa chambre avec Otacio, un de ses adjoints. «Nos frais de missions sont ridicules. On ne peut pas se payer une chambre par personne.» témoigne ce dernier. Et avec un sourire il déplore «Notre travail n’est qu’une goutte d’eau dans un océan de misère. Nous avons besoin de plus de moyens, et de plus de personnel pour être réellement efficaces.» Clovis tempère «9 000 travailleurs ont  été libérés par nos équipes au cours des deux dernières années. Ce n’est pas rien !»

Otacio Sousa Freitas, inspecteur du travail, recueille le témoignage d'un ouvrier qui n'a pas été payé.
(Photo: Anne Corpet/RFI)

Le lendemain matin, tout le monde se retrouve à l’aube devant l’établissement. L’ambiance est détendue. «Je parie que le patron pèse plus de cent kilos !» lance un policier. A huit heures pile, l’équipe fait son entrée dans le bureau de l’entreprise. Des dizaines d’employés, absents hier, attendent les inspecteurs pour être enregistrés. «On nous a dit de venir pour être payés. C’est la vérité ?» interroge un incrédule. Inez les rassure, sort ses questionnaires et reprend sa litanie de questions.

Le patron est là, avec ses deux avocats. Ed Silver, le procureur, en short, tongues et gilet pare balles, prend sa déposition. L’homme transpire malgré la climatisation. Derrière lui, sur une étagère, des masques de protection contre la poussière, des paires de gants, de bottes sont rangés dans de grandes boites en cartons. «Nous les proposons aux travailleurs, mais ils n’en veulent pas !» assure le patron. Ed éclate d’un rire sonore. «Bien sûr ! Et ils refusent aussi d’être payés ?»

Rares sont les ouvriers qui sont équipés de masques de protection contre les poussières de charbon.
(Photo: Anne Corpet/RFI)

Clovis prend la relève : «Sur vos  171 travailleurs, seuls 21 sont employés dans la légalité. Aucun ne touche le salaire minimum légal. Ne compliquez pas votre situation, parce que si on se met à fouiller vraiment dans les dossiers de votre entreprise, on  dénichera sûrement beaucoup d’autres irrégularités. Les conditions de travail sont dégradantes, je l’ai vu de mes propres yeux. Notre groupe a tous les témoignages nécessaires, nous avons pris des photos. Des adolescents sont employés, et c’est sévèrement réprimé par la loi. Les locaux sont insalubres. Vous allez devoir payer, et l’addition va être salée. Cela va vous coûter au moins 700 euros par employé, donc un total de plus de cent mille euros. Et vous avez deux jours pour payer tout le monde. Sinon, vous irez en justice. Le dossier d’instruction est prêt. Vous risquez plusieurs années de prison. Je suis bien clair ?». Le patron consulte ses avocats, acquiesce et appelle son banquier. La séance est levée.

Dehors, une foule d’hommes en guenilles, les yeux cernés de charbon, applaudit la sortie de Clovis et de ses équipiers.

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par Anne  Corpet

Article publié le 20/08/2005 Dernière mise à jour le 23/08/2005 à 12:01 TU

Réalisation multimédia : Claire WIssing