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Semaine mondiale de l’eau

Ces îles qui font vivre le lac Tchad

Marché aux poissons sur les bords du lac Tchad. En trente ans, Kinaserom est devenue un carrefour commercial sans équivalent dans le pays.(Photo: Stéphanie Braquehais/RFI)
Marché aux poissons sur les bords du lac Tchad. En trente ans, Kinaserom est devenue un carrefour commercial sans équivalent dans le pays.
(Photo: Stéphanie Braquehais/RFI)
La réduction des eaux a créé des espaces insulaires où l’activité est florissante et les cultures de décrue actives. Reportage sur l’île de Kinaserom où les habitants se montrent très hostiles à un projet de renflouement des eaux du lac.

De notre envoyée spéciale au lac Tchad

«Hello my friend ! I go here to do my business !». Dans un anglais «fluent» quoique pas très «british», Celestin, Nigérian, explique qu’il est venu il y a 3 ans au Tchad pour aider son frère à faire des affaires à Kinaserom. A eux deux, ils détiennent désormais le plus grand commerce de l’île qui compte 7 000 habitants. Piles, radios, assiettes, shampooings, vêtements, tous leurs produits proviennent du Nigeria et sont vendus souvent moins chers que les produits locaux. C’est surtout le mardi, jour de grand marché aux poissons, qu’ils écoulent cette marchandise introuvable ailleurs au Tchad, y compris dans la capitale, N’Djamena.

«Ici, la langue véhiculaire n’est quasiment plus l’arabe tchadien, explique Abdoulaye, un militaire retraité reconverti dans la pêche depuis 10 ans. Il faut apprendre l’anglais ou le haoussa (langue du Nigeria), pour communiquer. Il y a toute l’Afrique ici: Maliens, Nigériens, Nigérians, Ghanéens !». En trente ans, Kinaserom est devenue un carrefour commercial sans équivalent dans le pays. Issa, vieux pêcheur Massa (une ethnie venue du sud du Tchad) a 82 ans. Il est l’un des premiers à avoir habité cette île. Au début, il ne venait pêcher que quelques mois par an. Le reste du temps, la totalité des terres était submergée par les eaux. Avec l’assèchement progressif du lac, l’île est devenue permanente. Il a d’abord fait construire une maison en secko (paille), puis en terre pour loger ses deux épouses et ses douze enfants. Issa apprécie la visite des étrangers sur son île, car il leur réserve toujours une surprise.

Secoué par un petit rire, il nous entraîne dans la cour de sa concession, vers une petite cage cerclée de barbelés. «Approchez-vous, sourit-il découvrant une bouche édentée. C’est mon animal domestique !», s’écrie-t-il en désignant un petit caïman qui s’agite dans l’étroite geôle.

«Qu’allons nous devenir si le lac remonte ?»

Le garder ici est une manière pour lui de participer à la protection des espèces en voie de disparition, mais également de promouvoir le tourisme sur son île. «Le marché aux poissons est une curiosité pour beaucoup de gens, signale-t-il. Et puis on trouve de tout ici grâce aux cultures: du manioc, du maïs, des tomates, des patates. On a même fait pousser des manguiers depuis des dizaines d’années !». Un discours qui laisse percevoir des inquiétudes concernant l’avenir. Il y a trois mois, les habitants ont entendu parler du projet de transfert des eaux de l’Oubangui-Chari vers le lac Tchad par la Commission du bassin du lac tchad (CBLT).

«Il faut nous défendre !», prévient Abakar Adoum Bodou Mbami, représentant du sultanat de Bol à Kinaserom. Assis sur une chaise, entouré par ses «sujets» allongés sur une grande natte bleue en train de boire du thé vert, il désigne les cases en terre séchée devant lui. «Voyez toutes ces familles qui se sont installées ici, qui ont donné naissance à des enfants, des maisons qui se sont construites en dur, des centaines d’hectares de culture tout autour du village qui ne cesse de se peupler. Qu’allons nous devenir si le lac remonte ?», interroge-t-il. Les experts de la CBLT n’ont pas de doute. Le conflit insulaires-continentaux autour de la question des ressources en eau doit devenir un sujet de réflexion avant d’envisager concrètement une opération d’envergure de transfert des eaux depuis le bassin du Congo.


par Stéphanie  Braquehais

Article publié le 23/08/2005 Dernière mise à jour le 22/08/2005 à 12:54 TU