Proche-Orient
Les Arabes israéliens furieux contre leur justice
(Photo: AFP)
Le département des investigations policières du ministère israélien de la Justice, chargé de déterminer les responsabilités dans la mort de treize Arabes israéliens tués lors des violentes manifestations d’octobre 2000, a conclu qu’il ne disposait pas «d’éléments suffisants pour justifier des inculpations» dans cette affaire. Dans son rapport de 80 pages présenté dimanche, il affirme notamment avoir été dans l’incapacité d’identifier les policiers responsables de ces tirs meurtriers. Et dans certains cas, il a même justifié «des tirs contre les jambes des manifestants» qui ont participé à ces émeutes qui avaient éclaté quelques semaines après le déclenchement de la seconde Intifada, en solidarité avec les Palestiniens. Le général Alik Ron, qui dirigeait la police dans la région Nord où se sont déroulées ces violences, et le commandant de police Moshe Waldam, tous deux accusés d’avoir ordonné à des snipers de tirer sur la foule, ont ainsi été blanchis. Et l’affaire a tout simplement été classée.
Présentant son rapport, le directeur du département, Herzl Shviro, a par ailleurs dénoncé le manque de coopération des familles des victimes qui ont notamment refusé d’autoriser des autopsies sur les corps de leurs proches ou de donner leur version des faits. Il a également rappelé que le comportement des manifestants avait été particulièrement violent. Des sources proches de l’enquête ont de leur côté imputé à d’autres facteurs cette décision du ministère de la Justice, très violemment critiquée par la communauté arabe israélienne. En raison des violences, les enquêteurs n’ont en effet pas pu se rendre immédiatement sur les lieux pour collecter des preuves qui ont été soit détruites soit effacées avant leur arrivée. Ils n’ont pas pu, non plus, interroger les policiers présents sur les lieux au moment des faits, ces derniers ayant été mutés à de nombreuses reprises dans le cadre de leur service. Enfin, le travail du département des investigations policière a été repoussé de trois ans après que l’ancien procureur de l’Etat, Edna Arbel, ait pris la décision de n’engager aucune poursuite à l’encontre des policiers qui témoignerait devant la commission Or.
Cette commission, présidée par le juge Theodore Or, avait, après deux ans et demi de travaux, infligé un blâme sévère à la police, sans toutefois réclamer de poursuites judiciaires. Elle avait ouvertement lié les violences d’octobre 2000 à «l’incapacité des différents gouvernements israéliens à traiter de façon équitable la minorité arabe». «L’Etat n’a pas fait assez pour mettre fin à la discrimination subie par cette population pour lui donner des droits égaux ni pour imposer en son sein la loi et l’ordre», soulignait notamment la commission qui a également accusé, dans son rapport, la police d’avoir eu une attitude «a priori hostile» envers cette communauté et d’avoir caché aux responsables politiques le fait qu’elle avait tiré à balles réelles pour réprimer les émeutes.
«Une décision inique»
La décision du ministère de la Justice d’abandonner toute poursuite n’en est donc que plus incompréhensible pour la communauté arabe israélienne. Les représentants de cette minorité se sont déclarés dimanche indignés de l’immunité accordée par l’Etat aux responsables de la mort de leurs proches. Brandissant des portraits des victimes, ils ont juré de «continuer la lutte jusqu’à ce que les policiers impliqués soit punis». «C’est une décision inique que nous ne sommes pas prêts à accepter. Nous ne sommes pas disposés à passer l'éponge et à permettre aux policiers coupables de ne pas être inquiétés et s'il le faut nous nous adresserons à des instances internationales», a ainsi déclaré Shawki Khatib, le président d'un comité représentatif de cette communauté. Des avocats du Centre juridique de défense des droits de la minorité arabe –Adalah– ont d’ores et déjà annoncé qu'ils présenteraient un recours devant la Cour suprême israélienne et, si cela ne suffit pas, devant des instances internationales. «Il y a des pays comme le Canada, l'Australie, les Etats-Unis et certains pays européens qui pourraient poursuivre les auteurs de ces crimes», a déclaré le directeur de ce centre, Me Hassan Djabarin.
Plusieurs députés de la minorité arabe sont également montés au créneau pour dénoncer une politique de deux poids deux mesures. «On ne peut pas ainsi faire fi du sang de nos fils. C’est une affaire ultrasensible et potentiellement explosive», a prévenu Azmi Bishara. «Depuis le début, il était clair que la police des polices couvrirait les auteurs de ces crimes plutôt que de les poursuivre», a-t-il ajouté. Ahmed Tibi, également membre de la Knesset, a pour sa part estimé que «le meurtre de citoyens était un crime et quand il y a crime, il y a des criminels». Or, «les criminels ont été blanchis et les victimes blâmées». Plus virulent encore, le député Mohammed Barake a, de son côté, accusé «l’Etat d’Israël d’avoir assassiné de ses propres mains ses citoyens». «Si les citoyens arabes ne parviennent pas à obtenir justice en Israël, ils l’obtiendront ailleurs devant des cours internationales», a-t-il prévenu.
Soutenant ses collègues arabes, la député israélienne de gauche, Zaava Galon, a elle aussi dénoncé une décision qui «constitue un mépris de la vie humaine et contredit les recommandations de la commission Or». Selon elle, «il est injustifiable que des citoyens aient été tués et que personne n’en réponde devant la justice». «Il faut croire que le racisme s’est insinué dans notre système judiciaire, rien d’autre ne peut expliquer qu’il n’y ait pas eu de poursuite», a renchéri Ran Cohen, également membre du parti de gauche Meretz, insinuant que la réaction de la police n’aurait pas été la même face à des manifestants juifs.par Mounia Daoudi
Article publié le 19/09/2005 Dernière mise à jour le 19/09/2005 à 18:10 TU