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Proche-Orient

Le terrorisme juif frappe en Israël

Des milliers de personnes ont participé aux funérailles des quatre Arabes israéliens abattus la veille dans un bus par un juif extrémiste.(Photo : AFP)
Des milliers de personnes ont participé aux funérailles des quatre Arabes israéliens abattus la veille dans un bus par un juif extrémiste.
(Photo : AFP)
A dix jours exactement du début de l’évacuation des vingt et une colonies de la bande de Gaza et de quatre petites implantations du nord de la Cisjordanie, la tension est brusquement montée en Israël où un extrémiste juif à ouvert le feu sur des Arabes israéliens. Le bilan de cette attaque, que les services secrets redoutaient plus que tout, est de quatre morts et vingt-deux blessés. L’assaillant, un déserteur de dix-neuf ans, a été lynché par une foule en colère. L’attaque, unanimement condamnée, est considérée comme une tentative de saboter le plan de retrait de la bande de Gaza que le Premier ministre Ariel Sharon est plus que jamais déterminé à mener jusqu’au bout.

Le pire cauchemar du Chabak, le service de renseignement intérieur israélien, s’est réalisé jeudi soir dans la petite ville de Shfaram, dans le nord du pays. Un jeune extrémiste juif, Eden Natan Tsuberi, farouchement hostile à l’évacuation des colonies de Gaza, a ouvert le feu dans un bus sur des Arabes israéliens, tuant deux étudiantes, le chauffeur du véhicule, et un passager. L’assaillant, un soldat du contingent âgé d’à peine dix-neuf ans, avait déserté son unité il y a deux mois, refusant de participer à la construction d’un camp de cantonnement des forces de sécurité en prévision du démantèlement des colonies du Goush Katif. A en croire la police, son acte a été soigneusement prémédité. Vêtu d’un uniforme de l’armée israélienne et arborant la kippa des religieux, le fusil mitrailleur au point, Eden Natan Tsuberi est monté jeudi en fin d’après-midi à bord de l’autobus 165 qui effectue la liaison entre Haïfa et Shfaram avec l’intention de tuer. Il s’est tenu à côté du chauffeur et lorsque le véhicule s’est arrêté pour laisser descendre des passagers, il a mitraillé ses occupants. Ses tirs se sont prolongés pendant cinq longues minutes jusqu’à ce qu’il soit maîtrisé par un garde de sécurité aidé par des passants. La police dépêchée sur place en renfort n’a pu empêcher la foule en colère de lyncher le jeune assaillant.

Le drame a ébranlé la classe politique israélienne qui a multiplié les condamnations. Le Premier ministre Ariel Sharon a vilipendé «l’acte d’un terroriste juif assoiffé de sang qui a voulu porter atteinte à des citoyens innocents». Son vice-Premier ministre, le travailliste Shimon Peres, a exprimé avec vigueur son indignation sur les ondes de Radio-Israël. «Mon Dieu, que ce pays est vulnérable aux actes des assassins, des fous et des fanatiques, qui mettent en danger nos vies à tous, Juifs et Arabes, ainsi que la paix et l'espoir. Ces gens devraient être éliminés», a-t-il déclaré en émettant l’espoir que le pays va s'unir pour punir les responsables. Le chef du parti de gauche Yahad, Yossi Beilin, n’a pas hésité, pour sa part, à comparer le drame de Shfaram à celui qui avait coûté en 1994 la vie à vingt-neuf Palestiniens venus prier dans le Caveau des Patriarches à Hébron, un lieu saint vénéré à la fois par les musulmans et les juifs. Ce jour-là, Barouch Goldstein, un colon, activiste du Kach –mouvement raciste interdit depuis– avait ouvert le feu à l’arme automatique sur des Palestiniens en réaction aux accords d’autonomie d’Oslo signés un an auparavant. Pour Yossi Beilin, le radicalisme de l’extrême droite est le seul à blâmer. Les députés arabes Ahmed Baraké et Ahmed Tibi ont, de leur côté, enfoncé le clou, mettant l’attaque de jeudi sur le compte du «racisme» et de «l’incitation à la haine» véhiculés par les milieux ultra-nationalistes.

L’armée et la police en état d’alerte

Acculés et soucieux de ne pas être stigmatisés, les représentants des colons, officiellement partisans d’une résistance pacifique au projet de retrait de Gaza, ont condamné l’attaque de Shfaram. «Semblables incidents n’ont pas leur place dans le cadre du combat démocratique en Israël», a notamment déclaré Benzi Lieberman qui a toutefois accusé parallèlement le plan de désengagement d’Ariel Sharon de pousser «des individus à perdre la tête». Car si jusqu’à présent les opposants au projet du Premier ministre se sont contentés de manifester, de perturber la circulation ou encore de provoquer de fausses alertes à la bombe, le drame de Shfaram a une portée autrement plus inquiétante. La crainte des autorités que ce cas ne soit pas isolé est d’ailleurs très grande. Le chef des unités terrestres de l’armée israélienne, le général Iftah Ron Tal, a même estimé vendredi qu’«une répétition» de cette attaque est à redouter. Dans le cadre de son enquête, la police israélienne a arrêté dans la nuit de jeudi à vendredi trois adolescents âgés de 15 à 17 ans qui sont soupçonnés d’avoir été tenus au courant des préparatifs de l’attaque de Shfaram et de complicité éventuelle. Ces jeunes habitaient la colonie de Kfar Tapouach en Cisjordanie, réputée extrémiste, dans laquelle le responsable du drame de jeudi venait de s’installer il y a quelques semaines à peine.

La communauté arabe israélienne, dont les représentants ont décrété une grève générale, était encore sous le choc vendredi. Les autorités, qui craignent qu’en ce jour de prière pour les musulmans, les funérailles des victimes du drame de Shfaram ne tournent à l’émeute, ont déployé d’importants renforts dans le nord du pays et à Jérusalem-Est. Des milliers d’hommes ont ainsi pris position sur les routes de Galilée, une région ou vit une importante population arabe et druze, et tout le nord du pays a été placé en état d’alerte. Quelque vingt mille Arabes israéliens ont participé à Shrafam –où la police s’est faite très discrète– aux funérailles des quatre victimes. Des drapeaux noirs et des drapeaux palestiniens flottaient au-dessus de la foule qui scandait des appels à l'unité nationale en criant : «le racisme ça suffit», «les agitateurs anti-arabe en prison». Les soeurs Hazar et Dina Turki, deux étudiantes musulmanes respectivement âgées de 23 et 21 ans, ont été inhumées en premier au cimetière musulman. Les deux autres victimes, deux chrétiens, le chauffeur du bus Michel Bahous, 56 ans, et Nadir Hayak, 55 ans, devaient être inhumés ensuite au cimetière chrétien de cette ville de 35 000 habitants.

Quant à Eden Natan Tsuberi, le responsable de ce drame, son inhumation posait vendredi un casse-tête aux autorités israéliennes. Le ministre de la Défense israélien Shaoul Mofaz «a interdit que le soldat déserteur soit inhumé dans un carré militaire car il ne mérite pas de reposer aux côtés des soldats israéliens tombés au combat». Le maire de la ville où le jeune extrémiste a grandi s'est de son côté formellement opposé à ce qu'il soit enterré dans un cimetière de la localité, vu qu'il était dernièrement domicilié dans une colonie du nord de la Cisjordanie qu'il avait ralliée après sa désertion. Or le secrétariat de cette implantation a formellement démenti que le soldat ait jamais habité sur place. Excédée, la famille d’Eden Natan Tsuberi a menacé de saisir la Cour suprême d'Israël.


par Mounia  Daoudi

Article publié le 05/08/2005 Dernière mise à jour le 10/08/2005 à 13:20 TU