Proche-Orient
A Gaza, l’approche du retrait ne fait pas rêver
De notre envoyé spécial à Gaza
Dans quelques semaines, la bande de Gaza entamera une nouvelle vie. Quand le retrait israélien censé débuter le 17 août sera terminé, le visage de ce confetti de terre où s’entassent 1,3 millions d’habitants, sera bouleversé. Youssef Balawi, un habitant du village d’Al Mughraqa, âgé de 65 ans, attend ce moment avec impatience. Assis dans la cour de sa maison, entouré de trois de ses cinq fils, il désigne des toits de tuile rouge qui émergent derrière un rideau d’arbres, à cinq cent mètres environ de ses fenêtres. C’est Netzarim, une minuscule colonie, qui héberge une poignée de familles ultra nationalistes. Pendant les années d’Oslo, beaucoup de ses voisins ont travaillé la bas. Cinquante shekels (environ 10 euros) la journée dans les champs de tomates. Un salaire trop faible pour fermer les yeux sur le confort ostentatoire des colons, leur jardin, leur piscine et leur restaurant. L’Intifada a mis un terme à cette relation inégale.
Entre les villas de Netzarim et la maisonnette de Youssef, là où poussaient auparavant des rangées de vignes et de pommiers, il y a désormais des tourelles de béton percées de meurtrières, des tranchées et des rouleaux de barbelés. Au début des affrontements, le quartier où habite Youssef, en lisière d’Al Mughraqa, s’est transformé en champs de bataille. Rafales en continu, descente impromptu des soldats. « Ils nous regroupaient tous dans une pièce et s’installaient sur le toit pour surveiller les environs durant la nuit », raconte Youssef. En 2001, sa famille évite le pire. « Des combattants avaient fait sauter un char à proximité de Netzarim. En représailles, l’armée devait raser une série de maisons. La notre était sur la liste. Des ingénieurs avaient tracé des marques sur les murs pour la signaler aux bulldozers. »
La présence obsédante de Netzarim
Finalement, pour une raison inexpliquée, l’habitation de Youssef a échappé à la démolition. Puis au fil des mois, les combats se sont éloignés vers d’autres zones de la bande de Gaza, comme Khan Younès ou Rafah. Al Mughraqa a retrouvé un calme précaire. Mais les toits de tuile rouge sont toujours là, comme une menace lancinante, une provocation sourde. « La terre de Netzarim appartient à mes cousins, dit Youssef. Ils possédaient 25 hectares de champs d’orangers qui étaient fameux dans toute la bande de Gaza. Pour construire leur colonie, les juifs ont tout rasé. On n’avait même plus de petit bois pour faire bouillir le thé ». Fouad, un jeune voisin de Youssef Balawi qui travailla un temps pour les colons, résume l’avis général. « Il faut qu’ils partent pour que le sang cesse de couler ».
Et après ? En l’absence d’accord de paix, la bande de Gaza pourra-t-elle sortir de l’engrenage de la misère et de la violence ? C’est sûr, la disparition de ses 17 colonies et des 8 000 colons qui occupaient 15% de son territoire élargira l’horizon de ses habitants. Mais cela suffira-t-il à leur redonner un avenir ? À quelques kilomètres de la maison de Youssef, dans un immeuble flambant neuf du centre de Gaza, Mohamed Samhouri peine à dissimuler ses doutes. Il est le secrétaire général du comité technique mis en place par la commission interministérielle en charge du désengagement. C’est lui qui planche sur tous les aspects concrets de l’après retrait. L’Autorité palestinienne aura-t-elle le contrôle de ses frontières ? Pourra-t-elle gérer seule ses ressources en eau ? Réouvrir son aéroport ? Construire un port ? Aménager des zones industrielles ? A toutes ces questions cruciales, Mohamed Samhouri ne dispose d’aucune réponse sûre. « Le gouvernement israélien se plait à répéter à la communauté internationale qu’il coordonne son retrait de Gaza avec nous mais dans les faits, il n’est quasiment rien sorti de toutes les réunions que nous avons eues avec eux ».
Début juin, les experts de son comité ont cru enfin recevoir un document vital : l’inventaire des infrastructures économiques installées dans les colonies. « Mais le dossier qu’ils nous ont remis contenait des documents dépassés remontant à la période d’Oslo, des cartes disponibles dans toutes les stations d’essence israélienne et des photos des crèches et des terrains de sport des colonies. En quelques minutes sur Google, n’importe qui aurait pu constituer ce dossier. Le plus navrant, c’est qu’il était accompagné d’une lettre du Général Giora Eiland, le conseiller à la sécurité nationale de Sharon, qui nous menaçait de sanctions si ces documents arrivaient dans les mains du Hamas ».
La coordination à tout petit pas
Depuis, avec la venue de Condoleeza Rice dans la région et les pressions de James Wolfensohn, l’ancien président de la Banque Mondiale, dépêché par le Quartet (Etats-Unis, Union Européenne, Russie et Nations Unies) pour veiller au bon déroulement du retrait, la coordination entre les deux parties s’est un peu améliorée. Le gouvernement israélien a notamment accepté l’idée d’un corridor spécial entre la bande de Gaza et la Cisjordanie. Divers projets sont en cours de discussion, notamment celui d’une route enterrée dans une tranchée et encadrée de clôtures de façon à garantir la sécurité d’Israël tout en permettant une circulation fluide. Par l’entremise de Wolfensohn, Ariel Sharon a aussi fait savoir aux Palestiniens qu’il n’était pas opposé à ce qu’ils entament, après le retrait, la réfection de la piste de l’aéroport détruite par les bulldozers de l’armée en 2001.
Mais ces garanties de principe n’impressionnent guère Mohamed Samhouri. « Notre souci principal, c’est la liberté d’accès, donc la liberté de commercer. Actuellement, du fait des restrictions de sécurité, seule une quarantaine de camions de marchandises arrivent à sortir chaque jour de la bande de Gaza alors que deux cent camions israéliens y rentrent. Les plans israéliens pour l’après retrait ne sont pas encourageants. Ils insistent pour maintenir le même niveau d’inspection et le système de ‘back to back’ (déchargement et rechargement d’un camion à l’autre) qui tue notre économie ». Et il ajoute : « Évacuer les colons et les soldats c’est une chose. Permettre à l’économie de repartir, c’est une autre ».
Mohamed Samhouri ne se décourage pas. Son équipe, constituée de la fine fleur des employés de l’Autorité palestinienne, enchaîne les colloques et les séminaires. Mais il ne reste fondamentalement sceptique. « Je ne suis pas sûr que Sharon ait très envie de résoudre le conflit. Son bras droit, Dov Weisglass, n’a-t-il pas dit [dans une interview donnée au quotidien israélien Ha’aretz, ndlr] que le désengagement était une manœuvre destinée à enterrer le processus de paix ? »
par Benjamin Barthe
Article publié le 22/07/2005 Dernière mise à jour le 10/08/2005 à 13:22 TU