Algérie
La réconciliation nationale passe par la Kabylie
(Photo: AFP)
Abdelaziz Bouteflika a tout lieu de se féliciter de la Loi sur la Concorde civile qu’il a promue à son arrivée au pouvoir et qui exonérait de toute poursuite ceux qui déposaient volontairement les armes. Dans la foulée, en janvier 2000, un décret présidentiel a déjà amnistié collectivement les combattants de l’Armée islamique du salut (AIS) et ceux de la Ligue islamique pour le Da’wa et le djihad (LIDD) qui ont accepté de désarmer. Selon les autorités, 5 500 islamistes auraient ainsi quitté les maquis. Selon les spécialistes, entre 300 et 1 000 resteraient opérationnels, en particulier dans la mouvance du Groupe salafiste pour la prédication et le combat, un terrorisme «résiduel» qui ne constitue pas la préoccupation centrale de la Charte.
La Charte vise en particulier à dédouaner l’armée, et même à rendre un «hommage vibrant» à son interventionisme, depuis 1992 et la victoire électorale avortée du Front islamique du salut (FIS). Ce faisant, il s’agit notamment de passer la question des disparus à la trappe. A nouveau légitimé par les urnes en avril 2004, avec l’incontournable blanc-seing militaire, Abdelaziz Bouteflika se doit visiblement de tourner ces pages noires. Cela lui permettra de se conforter durablement dans un fauteuil présidentiel brièvement menacé par une «dissidence» au sein de l’historique front de libération nationale (FLN). Ces batailles emportées, le héraut du Rassemblement national démocratique (RND), Abdelaziz Bouteflika se porte sur le créneau kabyle, terreau contestataire des aârch que se disputent aussi le Front des forces socialistes (FFS) ou le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD).
«Nous sommes tous des Berbères»
«J'appelle tous ceux qui ne sont pas impliqués dans des massacres, des viols et des poses d'explosifs dans des lieux publics, à revenir. Ils seront accueillis avec le lait et les dattes, le lait et le miel», a lancé Abdelaziz Bouteflika à Tizi Ouzou, devant un parterre plus ou moins réceptif à ses appels à une réconciliation «avec soi-même et avec les autres». «Nous sommes tous des Berbères mais le Coran nous uni», a-t-il tenté, suggérant à mots couverts que la Charte couvre aussi le «printemps noir» avant de proclamer qu’il serait bien évidemment le premier à «voter oui» le 29 septembre. D’ailleurs, a-t-il insisté, «il n'y a pas de solution de rechange» à la piqûre de rappel qu’il compte administre aux Algériens, après le «vaccin nécessaire et suffisant» de la Loi sur la Concorde civile.
La campagne pour le oui à la Charte bat son plein. Dimanche dernier, elle avait Alger pour théâtre et une victime du terrorisme donnant l’accolade à une veuve de terroristecomme scenario. Dans le rôle du souffleur, le ministre de l'Emploi et de la Solidarité nationale, Djamel Ould Abbes, a expliqué à nouveau que l’Etat s’est engagé à «prendre en charge toutes les victimes de la tragédie nationale, sans faire de distinction entre les victimes du terrorisme et les proches des terroristes». Concrètement, quelque 1 650 logements devraient sortir de terre d’ici l’année prochaine, ce qui n’est pas indifférent aux mal-logées de la saynète d’Alger et à leurs très nombreuses sœurs, condamnées à s’entasser avec leur progéniture dans d’infâmes gourbis. Mais pour le ministre Ould Abbes, d’ici là, il «est impératif de mobiliser quelque 16 millions d'électeurs le 29 septembre».
«Cesser de faire porter le chapeau à l’Etat»
Dans la remuante cité kabyle de Tizi Ouzou, le même ministre de la Solidarité avait préparé le terrain présidentiel, laissant espérer des indemnisations aux familles des victimes du «printemps noir» de 2001 et présentant la visite d’Abdelaziz Bouteflika, «le président de tous les Algériens», comme la marque d’une volonté de «réconciliation» avec des populations qui «ont souffert d’un déficit du dialogue». Au passage, il a demandé aux parents des disparus de «cesser de faire porter le chapeau à l’Etat» et prophétisé un regain socio-économique après une décennie lourdes en pertes humaines et matérielles, plus de 100 milliards de dollars, selon lui.
Reste qu’en Kabylie comme ailleurs, l’impunité promise par la Charte profitera surtout aux «agents de l’Etat» et aux groupes islamistes concernés. Dans un long développement consacré aux «artisans de la sauvegarde de la République», le document indique que nul, «en Algérie ou à l’étranger n’est habilité à instrumentaliser les blessures de la tragédie internationale pour porter atteinte» à ses institutions, à ses agents ou à son image. Cette porte fermée aux ingérences internationales, le texte liste les «mesures destinées à consolider la paix»: extinction des poursuites pour les uns, allègements des peines pour les autres, exception faite des auteurs – rarement identifiés – de «massacres collectifs, viols et attentats à l’explosif dans les lieux publics».
Concernant «le dramatique dossier des disparus, (…)le peuple algérien souverain rejette toute allégation visant à faire endosser par l’Etat la responsabilité d’un phénomène délibéré de disparition». L’Etat ne s’en engage pas moins à mettre la main à la poche pour «permettre aux ayants droit des personnes disparues de transcender cette terrible épreuve dans la dignité». Au final, si elle sous-tend une amnistie générale, la Charte ne s’accompagne d’aucun réponse politique aux questions posées par la guerre civile ou par les revendications kabyles. Or les victimes de la répression du «printemps noir», comme celles de la terreur des années quatre-vingt-dix, ne sont pas toutes disposées à accepter des indemnisations financières pour solde de tout compte judiciaire.
Dans son argumentaire, le projet de Charte fait appel aux «valeurs spirituelles et morales séculaires» grâce auxquelles le peuple algérien, «puisant sa force dans son unité» a pu, en particulier, résister à «un siècle d’occupation coloniale». La référence n’est pas secondaire car le texte poursuit sur «la glorieuse révolution du 1er novembre 1954» qui a guidé l’Algérie sur les chemins du développement jusqu’à la funeste décennie quatre-vingt-dix à laquelle elle «a survécu grâce au patriotisme et aux sacrifices des unités de l’Armée nationale populaire, des forces de sécurité et de l’ensemble des patriotes». ALN et miliciens salués par le peuple reconnaissant, «il est vital de transcender définitivement cette tragédie» car «sans le retour de la paix et de la sécurité, nulle démarche de développement politique, économique et social ne peut donner les fruits qu’ils en attendent».
A Tizi Ouzou, Abdelaziz Bouteflika a martelé ce leitmotiv, s’appesantissant sur le fait colonial. «Pour peu que la France reconnaisse ses responsabilités dans les dégâts de la colonisation et de la guerre de libération, nous sommes prêts à signer un traité d'amitié définitif»a-t-il dit, pointant d’un doigt suspicieux «un va-et-vient d'ambassadeurs étrangers» en Kabylie et jugeant utile de préciser : «Il n'y aura pas de retour de l'autre drapeau». La Charte impute le mal-développement au «terrorisme qui a ciblé les biens et les personnes». En attendant que les retombées du pétrole fournissent du travail au 30% de chômeurs officiels, Abdelaziz Bouteflika invite l’électorat kabyle à adopter la Charte pour la paix et à retrousser les manches.
par Monique Mas
Article publié le 20/09/2005 Dernière mise à jour le 20/09/2005 à 15:27 TU