Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

États-Unis

Katrina, la catastrophe annoncée

Devant une digue, dans le sud des Etats-Unis, la maison n'a pas résisté au passage du cyclone. Pour Ivor Van Heerden, «<i>l’administration Bush a marginalisé les scientifiques</i>». (Photo: Manu Pochez/RFI)
Devant une digue, dans le sud des Etats-Unis, la maison n'a pas résisté au passage du cyclone. Pour Ivor Van Heerden, «l’administration Bush a marginalisé les scientifiques».
(Photo: Manu Pochez/RFI)
C’est un constat accablant que dresse le directeur du centre de recherche sur les conséquences des cyclones sur la santé publique de l’université d’État de Louisiane, Ivor Van Heerden. De nombreuses vies auraient pu être sauvées si Washington et les responsables de la Louisiane avaient écouté les avertissements des chercheurs et surtout si tout avait été fait dans les règles dans un État tristement connu pour être corrompu.

De nos envoyés spéciaux en Louisiane

Voir le reportage de Manu Pochez sur les digues de La Nouvelle-Orléans.
(Photo: Manu Pochez/RFI)
RFI: D’après votre centre de recherche, la catastrophe causée par le passage de Katrina était prévisible et vous aviez d’ailleurs à plusieurs reprises déjà tiré la sonnette d’alarme…
Ivor Van Heerden: Dès 1999, nous avons lancé un programme de recherche pour évaluer les effets d’une catastrophe d’une telle ampleur. On avait fait des sondages à La Nouvelle-Orléans et on savait qui évacuerait la ville ou pas, on savait qu’il y avait 125 000 personnes sans moyen de transport et qu’environ 100 000 personnes avaient des difficultés physiques pour se déplacer ou étaient sans abri et donc n’avaient pas les moyen de quitter la ville. De même, 100 000 personnes pouvaient potentiellement refuser l’évacuation. On savait donc que 300 000 personnes environ ne s’en iraient pas de la ville, même en cas d’ordre d’évacuation. On savait également qu’en cas de cyclone force 4, les eaux seraient contaminées. On avait enfin imaginé que les digues pourraient céder, mais nous n’avons jamais eu accès aux informations nécessaires pour mener à bien nos recherches sur ce sujet.
Quoi qu’il en soit, nous avons à plusieurs reprises averti les autorités qu’en cas de catastrophe de ce genre, elles devaient se préparer à accueillir 800 000 personnes déplacées. Mais malheureusement, le gouvernement fédéral, même si nous avons participé à des exercices de simulation avec lui, n’a pas semblé nous entendre. S’ils l’avaient fait, cela ne nous aurait pas pris cinq jours pour venir en aide aux gens…

RFI: Pour quelles raisons le gouvernement n’a-t-il pas écouté vos avertissements ?
IVH: La principale raison est que l’agence fédérale qui aurait dû s’en occuper, la Fema (Ndlr: L’agence fédérale de gestion des crises) a perdu beaucoup de son personnel technique depuis l’élection du président Bush. De nombreuses personnes qui n’avaient aucune expérience dans le domaine de la gestion des crises ont été nommées uniquement pour raison politique. C’est l’une des raisons; une autre est que l’administration Bush a marginalisé les scientifiques et qu’elle ne les écoute plus dans de nombreuses circonstances. Par exemple, cela a été le cas lors de la conférence de Kyoto lorsque Washington a refusé de signer le traité. À cela il faut ajouter l’arrogance du pouvoir qui a refusé de nous écouter. Et on en voit malheureusement aujourd’hui les conséquences.

RFI: Vous avez essayez de comprendre pourquoi le système de digue qui protégeait La Nouvelle Orléans n’avait pas tenu, qu’est-ce qu’ont montré vos recherches ?
IVH: Nous avons découvert que le niveau de l’eau que nous avions mesuré, comparé à nos modèles sur ordinateur, ne correspondait pas à la version que nous donnait le génie militaire qui disait que les digues avaient été submergées et que c’est cela qui les avait endommagées et ensuite provoqué leur rupture. Certaines de nos données récoltées sur le terrain par nos équipes montrent clairement que les digues n’ont pas été submergées et que donc, si elles ont cédé c’est parce qu’il y a dû y avoir des problèmes au moment de la construction ou de la conception. Il y a aussi visiblement un problème avec le sol qui n’est pas stable. Nous avons examiné tous les documents que nous avons pu trouver et nous avons des preuves que le génie militaire a été informé en 1994 par l’un des responsables de chantier qu’il y avait des problèmes avec le sol et les fondations. Mais apparemment le génie militaire a décidé de ne pas en tenir compte. En fait, certains segments de ce mur n’ont pas été construits de façon conforme, mais le génie a laissé faire. Le résultat est que les murs de la digue ont cédé et que cela a eu des conséquences catastrophiques pour La Nouvelle-Orléans.

RFI: S'il y a eu des rapports montrant qu’il y avait des défaut dès 1994, comment expliquez-vous que rien a été fait alors ?
IVH: Je ne peux vraiment pas l’expliquer. Tout ce que je peux dire c’est que le génie militaire est comme une monarchie qui peut faire ce qu’elle veut, sans réel contrôle extérieur.

RFI: Cela signifie-t-il qu’il y a eu corruption (on sait que La Nouvelle-Orléans est une ville très corrompue), ou y a-t-il eu incompétence ? Que s’est-il passé d’après vous ?
IVH: Il est trop tôt pour se prononcer. Ce que je sais, c’est qu’il y a de nombreuses enquêtes en cours et nous devons en attendre les résultats.

RFI: Le génie est en train de mener ses propres enquêtes, mais ce sont peut-être lui qui, à la base, a mal conçu le système de digues… Peut-on se fier à ses enquêtes ?
IVH: En tant qu’institution privée, cela me préoccupe évidemment qu’ils fassent eux-mêmes ce type d’enquête, mais en même temps, d’autres recherches sont menées par le Congrès américain et les médias veillent. Si je peux donner un conseil au génie militaire, c'est de ravaler sa fierté et aller de l’avant et permettre une réelle enquête indépendante pour qu’il n’y ait plus de problème à l’avenir.

RFI: Une fois que les digues avaient cédé, était-il encore possible de sauver des gens ?
IVH: Ce qui est malheureux, c’est que les agences fédérales n’ont pas averti la population. Apparemment, elles savaient que les digues avaient cédé, mais personne n’a été prévenu. Donc en fait, ce qui s’est passé, c’est que les gens sont allés se coucher lundi soir au coucher du soleil car il n’y avait pas de lumière, pas d’électricité. A ce moment-là, il n’y avait pas d’eau partout et les gens pensaient qu’ils avaient échappé au cyclone car Katrina était déjà passé au nord de la ville. Et soudainement, ils se sont réveillés au milieu de la nuit, de l’eau salée dans leurs lits. Beaucoup se sont alors réfugiés dans leur grenier et c’est là que la plupart sont morts noyés, car vu comme l’on construit les toits ici, Il est impossible de faire une ouverture dans la toiture si on a pas une hache… Un simple marteau ne suffit pas. Si l’agence fédérale avait fait circuler l’information que les digues avaient cédé, les médias auraient pu prévenir les gens qu’ils devaient quitter leur maison, qu’ils devaient se réfugier sur les ponts , sur l’autoroute, qu’ils devaient prendre de l’eau et de la nourriture. Mais personne ne savait et quand les gens se sont réveillés ils n’ont pu que se réfugier dans leur grenier.

RFI: Le projet est actuellement de reconstruire les digues comme elles étaient avant le passage de Katrina, or elles se sont montrées inefficaces… Pourquoi avoir décidé de les reconstruire à l’identique au lieu de construire tout de suite des digues plus solides ?
IVH: En fait, en ce moment, ils essayent juste de reboucher les trous aussi vite qu’ils le peuvent ! Et ils sont liés au contrat qu’on leur a donné. Pour moi, c’est scandaleux de doter une ville comme La Nouvelle-Orléans uniquement d’une protection contre les cyclones de force 2. C’est scandaleux car tout le monde sait que la Nouvelle-Orléans a déjà été frappée par plusieurs cyclone de force 3 et qu’il y a même eu il y a 40 ans un cyclone de force 5: en 1969, le cyclone Betsy avait déjà provoqué de graves inondations. Donc, on sait que La Nouvelle-Orléans est sur le passage des cyclones et c’est tout simplement scandaleux de ne pas la protéger correctement. A mon avis, l’avenir de La Nouvelle-Orléans est très incertain, très très incertain...

Propos recueillis par Catherine Monnet


Article publié le 05/10/2005 Dernière mise à jour le 05/10/2005 à 17:36 TU