Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Chine

Répression dans les campagnes

Paysan chinois de la province de Hubei. Des potentats locaux, loyaux au pouvoir central mais corrompus, sucent l’argent des campagnes.(Photo: AFP)
Paysan chinois de la province de Hubei. Des potentats locaux, loyaux au pouvoir central mais corrompus, sucent l’argent des campagnes.
(Photo: AFP)
Le conflit de Taishi est emblématique des révoltes paysannes qui secouent la Chine depuis quelques années. La recette est classique: des cadres locaux corrompus qui vendent la terre des paysans sans les dédommager, ce qui entraîne des manifestations et des pétitions, suivies d’une répression brutale. Mais le conflit de Taishi est exceptionnel par sa durée: trois mois au total, pendant lesquels les villageois ont tenu tête aux autorités.

Fin juillet, les habitants ont demandé aux autorités locales d’enquêter sur les comptes du village, exigeant de nouvelles élections, comme le permet la loi. Ils veulent alors la démission de Chen Jinsheng, chef du village qui a vendu leurs terres à son propre compte. Ils sont déboutés plusieurs fois. Alors qu’il organisent une pétition, le 16 août, l’un de leurs meneurs est enlevé par des agents en civil, ce qui déclenche une manifestation. 300 policiers dispersent la foule réunie devant le gouvernement local, en blessant des dizaines de gens. Les villageois, furieux et dans leur bon droit, contactent des journalistes et des avocats chinois, à leur tour menacés. Le 31 août: nouvelle manifestation et nouvelle répression policière. Le taxi d’une journaliste de Hong-Kong est attaqué à coups de chaînes de vélo par des hommes de main. Les villageois prennent le contrôle de leur village.

Le 12 septembre, une troupe de plusieurs centaines de policiers charge Taishi avec des canons à eau. De nombreuses personnes sont blessées dont une femme de 90 ans qui a trois côtes cassées. Les policiers ont repris d’assaut la mairie, où les villageois protégeaient les livres de comptes, la preuve de la corruption de leur chef. Guo Feixiong, un avocat soutenant les paysans, «disparaît». Des élections fantoches sont organisées, les candidats représentant les villageois se désistent, suite à des chantages. Les livres de comptes «examinés en haut lieu» sont déclarés propres. Fin septembre, deux avocats venus soutenir les paysans sont tabassés par la milice locale. Taishi est ceinturé par des hommes de main qui bloquent les routes. Plusieurs personnes venues enquêter sont molestées, dont le correspondant de RFI. La pétition est officiellement rejetée. La police laisse les pleins pouvoirs au chef du village et à ses hommes de main mercenaires.

Fonctionnaires loyaux mais corrompus

A l’origine, ce village d’un millier d’habitants, modeste mais pas miséreux, réunissait tous les ingrédients pour prospérer tranquillement. Il est situé au cœur de la région la plus riche du pays, avec de bonnes terres réparties entre toutes les familles produisant des bananes et de la canne à sucre, des connections aux grandes artères commerciales et quelques industries implantées localement. Chen Jinsheng, chef du village, élu par les habitants et soutenu par le secrétaire local du Parti, a commencé, il y a quelques années, à louer les terres des paysans avec leur accord, en regroupant plusieurs lopins. De gros exploitants agricoles et des entreprises sidérurgiques sont alors venues s’installer. Chacun y trouvait son compte. Les paysans, notamment les plus âgés, n’avaient plus besoin de travailler aux champs et se voyaient verser des dividendes chaque année. Les fonctionnaires locaux attiraient les investissements tout en empochant les taxes. Mais tout a basculé lorsque les villageois ont réalisé que l’argent effectivement perçu pour la location de leurs terres ne représente qu’un petite fraction du prix réel, la différence (environ 80%) allant directement dans les poches du chef et de ses protégés.

Ce conflit «dur» de Taishi est un coup dur pour l’image de la démocratie locale en Chine, montrant à quel point les fonctionnaires locaux sont corrompus. C’est la marque que l’Etat chinois peine a faire respecter ses lois en-dessous de l’échelon provincial, préférant laisser le pouvoir à des potentats locaux, loyaux mais corrompus, suçant l’argent des campagnes. La grogne sociale et la vague de manifestations qui agite le pays (74 000 l’an passé de source officielle) ne peuvent pourtant pas être contenues, à long terme, par la répression. Pékin en est bien conscient. C’est pourquoi la réforme sociale est désormais affichée comme priorité du régime. Faute de quoi, il risque de voir son pouvoir s’effriter par la base.


par Abel  Segrétin

Article publié le 08/10/2005 Dernière mise à jour le 08/10/2005 à 11:29 TU