Chine
Les mines de charbon tuent encore
(Photo : AFP)
Il était un peu moins de trois heures de l’après-midi, lundi dernier, lorsqu’un énorme coup de grisou a fait effondrer la mine de Fuxin, dans la province du Liaoning au nord-est du pays. Les ouvriers travaillaient à plein régime pour compenser la baisse de production des autres exploitations, pendant les vacances du nouvel an.
Le bilan officiel est d’au moins 211 morts. C’est le pire accident minier jamais rapporté depuis 1942 dans le pays. C’est surtout le dernier en date d’une série noire de gros accidents : en novembre, 166 mineurs périssaient de la même façon dans la province du Shaanxi, et 148 autres trouvaient la mort un mois après dans la province du Henan.
Sans parler du bilan humain très élevé, ce nouvel accident est alarmant car il met en lumière l’incapacité du gouvernement à instaurer des mesures de sécurité. C’est précisément dans cette mine de Fuxin que le Premier ministre Wen Jiabao était venu présenter ses vœux de nouvel an en 2004. Devant les caméras il avait alors serré les mains des «gueules noires» en leur promettant des «conditions de travail plus sûres» pour éviter que la production se fasse «au prix du sang». Le gouvernement avait ensuite promis de mettre en place des mesures «très strictes» de sécurité. Une promesse qui se répète après chaque grand accident depuis une dizaine d’années, mais sans effet.
Un fonds spécial équivalent à 400 millions d’euros a bien été réuni par les autorités centrales de Pékin depuis quelques années, destiné à prévenir les accidents et à indemniser les victimes, mais les accidents se poursuivent. Il y a cinq ans, une dizaine de milliers de petites exploitations jugées dangereuses ont reçu l’ordre d’arrêter leur production pour raisons de sécurité. Mais une fois les inspecteurs passés, elles ont continué à fonctionner pour la plupart, avec l’appui des autorités locales.
16 morts par jour
Cette mine de Fuxin aujourd’hui sinistrée est l'une des plus grandes de Chine et elle appartient à l’Etat, donc en principe mieux contrôlée. Mais comme pour les petites exploitations privées, les normes de sécurités y sont négligées pour être plus rentables. Car le charbon fournit plus des deux tiers de l'énergie chinoise, et la consommation augmente de 15% chaque année. Le pays a tellement besoin de cette énergie pour nourrir sa croissance que des mines continuent de s’ouvrir partout dans le pays. Le prix humain est très élevé: officiellement, plus de 6 000 personnes décèdent chaque année dans les mines chinoises. Et il ne s’agit là que des accidents déclarés. Selon le China Labour Bulletin (http://www.china-labour.org.hk/) le chiffre réel atteindrait les 20 000 morts annuels. Ce qui fait des mines chinoises les plus dangereuses au monde : pour 35% de la production mondiale de charbon, la Chine totalise 80% des morts liés à cette industrie.
C’est que les quelque 28 000 puits de charbon que compte le pays opèrent dans des conditions rudimentaires : pas ou peu de ventilation, matériel vétuste, horaires épuisants 7 jours sur 7 et douze heures par jour. Comme dans beaucoup de secteurs, la main d’œuvre est abondante et bon marché, et la demande pour travailler est forte en raison de salaires atteignant 1 000 yuans par mois (100 euros), soit deux fois plus que dans le bâtiment. Cette main d’œuvre n’est pas qualifiée, et le travail s’effectue encore manuellement, avec des rendements faibles. D’autre part les mines ne tuent pas seulement lors des accidents : le nombre de mineurs souffrant d’affections pulmonaires graves est estimé à 250 000, sur un total de six millions, et la plupart n’ont pas assez de revenus pour suivre des soins médicaux, qui sont désormais payants.
Dans ces conditions très rudes, les mineurs n’ont aucun recours face à leurs employeurs. Le seul syndicat auquel ils ont le droit d’adhérer est le syndicat officiel, dépendant directement du Parti et chargé de surveiller les ouvriers plutôt que de faire remonter leurs revendications. À chaque fois qu’un conflit fait surface, généralement après un accident, les meneurs sont arrêtés et condamnés à des peines très lourdes. Après cet accident de Fuxin, le bureau local de la propagande a interdit aux médias de se rendre sur place. On rapporte que la police qui accompagne les secours a reçu des consignes pour faire régner l’ordre.par Abel Segrétin
Article publié le 20/02/2005 Dernière mise à jour le 20/02/2005 à 08:19 TU