Liban
Le gouvernement veut démanteler les bases palestiniennes
(Photo : AFP)
De notre correspondant à Beyrouth
Le gouvernement libanais semble décidé à aller de l’avant dans la mise en œuvre de la résolution 1559 du Conseil de sécurité des Nations unies qui réclame, en plus du retrait des troupes syriennes déjà achevé, le «désarmement des milices libanaises et non-libanaises». Certes, le Premier ministre Fouad Siniora n’inscrit pas sa décision dans le cadre de cette résolution controversée, rejetée par une partie des Libanais. N’empêche qu’en affirmant sa détermination à se pencher sur le dossier de l’armement palestinien, il répond à une des principales exigences de la communauté internationale.
Cette affaire a surgi sur le devant de la scène après des informations faisant état de l’infiltration de Syrie vers la plaine orientale de la Békaa de plusieurs dizaines de militants palestiniens. Devant la multiplication de ces infiltrations, l’armée libanaise a fermé à l’aide de remblais de terre une quarantaine de points de passage illégaux entre les deux pays et a resserré son étau autour des positions palestiniennes. Celles-ci relèvent d’organisations pro-syriennes basées à Damas comme le Front populaire de libération de la Palestine-Commandement général (FPLP-CG d’Ahmed Jibril), le Fatah-Intifada (une scission du Fatah fondé par Yasser Arafat et conduite par Abou Moussa) et al-Saïka (l’aile palestinienne du parti Baas au pouvoir en Syrie). L’armée a arrêté plusieurs combattants palestiniens dont des officiers et a saisi leurs armes et leurs munitions avant de les libérer.
Parallèlement aux mesures prises par l’armée, une polémique a éclaté entre des représentants de ces organisations, qui soupçonnent le gouvernement de céder «aux exigences américano-israéliennes», et des responsables libanais qui accusent la Syrie de vouloir intrumentaliser les Palestiniens dans le but de déstabiliser le Liban. Pour faire tomber la tension, Fouad Siniora a reçu samedi 8 octobre deux délégations palestiniennes, la première regroupant les organisations proches de la Syrie et la seconde celles qui sont membres de l’OLP. Le Premier ministre a fait preuve de fermeté en affirmant à ses interlocuteurs que «la présence armée palestinienne à l’extérieur des camps (de réfugiés) est inacceptable. Le port des armes dans les camps devra, quant à lui, être réglementé».
Une commission conjointe a été formée pour poursuivre le dialogue, assurer le suivi et trouver des solutions à cette question. Pendant ce temps, sur le terrain, l’armée maintient sa pression.
Vingt mille combattants
Plus de 60% des 350 000 réfugiés palestiniens du Liban vivent dans douze camps répartis sur l’ensemble du territoire. La police et l’armée libanaises ne pénètrent sous aucun prétexte dans ces camps où la sécurité relève exclusivement des Palestiniens, conformément à des accords passés avec le gouvernement libanais. Selon des sources bien renseignées, les Palestiniens, qui disposent d’un arsenal impressionnant d’armes légères et moyennes, peuvent mobiliser jusqu’à vingt mille combattants. Dans les quatre camps du Liban-Sud qui abritent quelque cent mille réfugiés, le Fatah, fidèle à l’Autorité palestinienne, est la plus puissante organisation. Dans les camps de Beyrouth (Sabra et Chatila), du Liban-Nord (Bared et Baddaoui) et de la Bekaa (Wavel), les pro-syriens ont une influence significative. Ils sont aussi présents dans une douzaine de bases dispersées dans la plaine de Bekaa et dans la localité côtière de Nahmé, à 15 kilomètres au sud de Beyrouth.
Le désarmement complet et immédiat des Palestiniens pourrait briser le consensus national autour de cette question. Car une partie des Libanais, notamment le Hezbollah et ses alliés, pourraient l’interpréter comme une concession répondant aux exigences de la résolution 1559. Aussi, Fouad Siniora a-t-il décidé d’aborder ce dossier par étape. D’abord, le démantèlement des bases situées à l’extérieur des camps qui «n’ont plus aucune raison d’être». Il existe un quasi-consensus inter-libanais autour de cette question, et même le Hezbollah a du mal à justifier le déploiement armé palestinien à l’extérieur des camps. Deuxième étape, la réglementation des armes palestiniennes à l’intérieur des rassemblements de réfugiés officiellement reconnus par l’Etat et l’Unrwa (l’Office des Nations unies pour les réfugiés palestiniens).
Mais chacune des deux étapes pourrait s’étaler sur de nombreuses semaines, voire plusieurs mois. Et rien ne dit que tout se passera dans le calme.
Il y a trois décennies, c’étaient les chrétiens qui réclamaient le désarmement des Palestiniens, accusés de vouloir créer un État dans l’État. Cela s’est terminé par de profondes divisions entre les Libanais et par une guerre civile qui a duré quinze ans. Aujourd’hui, ce sont les sunnites (l’écrasante majorité des réfugiés palestiniens appartiennent à cette communauté), avec à leur tête le Premier ministre, qui reprennent à leur compte cette revendication. Les temps ont bien changé au Liban.
par Paul Khalifeh
Article publié le 11/10/2005 Dernière mise à jour le 11/10/2005 à 15:08 TU