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Environnement et santé

Produits chimiques : évaluer le danger

Les composants chimiques utilisés dans les produits de consommation courante peuvent être dangereux pour la santé.(Photo : AFP)
Les composants chimiques utilisés dans les produits de consommation courante peuvent être dangereux pour la santé.
(Photo : AFP)
Analyses de sang, études, rapports, colloques de médecins se multiplient. Des dizaines de milliers de produits chimiques sont utilisés dans le monde, sans que leur absence de dangerosité ait jamais été établie. Bien au contraire : l’extrême toxicité de certaines molécules est prouvée, tandis que beaucoup d’autres sont suspectées par des scientifiques d’être cancérigènes, neurotoxiques, perturbatrices du système hormonal, notamment reproducteur. A partir du 16 novembre à Strasbourg, le Parlement européen se réunit pour examiner en première lecture le projet Reach (Enregistrement, évaluation et autorisation des substances chimiques) devant réglementer ces produits.

On les trouve dans des objets aussi courants que des tétines pour bébés, des déodorants ou les poêles anti-adhésives. Experts, industriels et écologistes s’affrontent sur l’ampleur des études requises et sur la nécessité de remplacer les produits les plus dangereux pour la santé humaine contenus dans ces objets usuels et bien d’autres. Les responsables politiques s’alignent plutôt sur les positions des fabricants qui ont tendance à surévaluer les coûts des tests à faire (à leur charge) et brandissent «l’argument ultime» des pertes d’emplois. En attendant, les populations souffrent de plus en plus de «maladies liées à l’environnement». Et certains médecins, dont des cancérologues, rejoignent les lanceurs d’alerte, scientifiques, professionnels de santé ou militants associatifs (WWF, Greenpeace, MDRGF, etc.). «En trente ans, la recherche a beaucoup avancé, on ne peut pas faire comme si on ne savait rien», soulignait le Dr Claude Lesné, cancérologue, chercheur au CNRS et ancien responsable au ministère français de la Recherche, lors d’une conférence de presse du WWF (Fonds mondial pour la nature) le 6 octobre à Paris. «Combien faudra-t-il de catastrophes, comme celles du plomb et de l’amiante, pour qu’on prenne en compte sérieusement l’impact de tous ces produits sur la santé ?»

Les fœtus déjà contaminés

Plusieurs analyses ont déjà montré que nous avons tous des dizaines de produits chimiques présents, en permanence, dans notre sang. Ne pouvant s’en débarrasser, notre organisme les stocke tout au long de la vie. Le WWF a présenté les résultats de tests sanguins de treize familles européennes sur trois générations : grand-mères, mères et enfants. Illustration de ce que des scientifiques savaient déjà : beaucoup de molécules chimiques ont un effet  persistant, c’est-à-dire qu’elles s’accumulent dans nos tissus – principalement nos graisses, donc notre système nerveux et nos glandes (sein, thyroïde, prostate, testicules…). Pire : les enfants sont contaminés en moyenne par un nombre plus élevé de produits chimiques (59) que leurs mères (49). C’est que celles-ci leur en transmettent déjà durant la grossesse (des analyses de cordon ombilical l’ont montré), puis par l’allaitement – dont on considère que le bénéfice global pour le bébé demeure malgré cela. Le sang des enfants contient des concentrations plus élevées de nouvelles substances comme les retardateurs de flamme bromés, par exemple, utilisés dans les ordinateurs, les télévisions, ou encore les meubles ou les moquettes. Alors que les grand-mères sont davantage contaminées par des produits anciens, dont l’usage est restreint ou interdit depuis des années dans les pays riches, comme les PCB, utilisés dans les équipements électriques, ou le DDT, un pesticide toujours utilisé dans le Tiers Monde.

Explosion des cancers

Le Dr Lesné souligne l’augmentation des cas de cancers depuis le milieu du XXe siècle. Il rappelle que l’ANRS (Agence nationale pour la recherche scientifique) a recensé 150 produits cancérigènes sur 400 examinés à ce jour. Mais qu’en est-il des 100 000 produits chimiques présents sur le marché européen - et mondial -, dont à peine 3 000 ont été évalués ?  Qu’en est-il de leur «seuil de toxicité» : on sait aujourd’hui que de simples traces peuvent être nocives. Une étude rendue publique le 25 octobre, effectuée par l’université d’Ottawa et l’hôpital pour enfants de Cincinatti aux Etats-Unis, conclut qu’il n’existe pas de seuil minimum de sécurité pour des polluants comme le plomb, présent dans l’air, les sols ou l’eau du robinet, ou encore les sous-produits du chlore utilisé pour désinfecter cette même eau. Qu’en est-il enfin des effets cumulés et croisés de ces molécules puisque chaque personne est en contact chaque jour avec plusieurs d’entre elles par l’air, l’eau, les aliments (surtout non biologiques) et d’innombrables objets environnants ?

Des preuves de leur toxicité existent : on assiste par exemple, révèle le Dr Lesné, à une augmentation des cancers du sein chez les populations voisines de la catastrophe chimique de Seveso en Italie il y a près de trente ans (1976). «Il peut donc y avoir des effets à des doses environnementales, celles auxquelles nous sommes tous exposés

Des scientifiques alertent

De fait, des chercheurs accumulent des preuves depuis des années. Une nouvelle étude, réalisée par l’université de Lowell aux Etats-Unis (pays où l’on vient de publier officiellement l’état d’imprégnation de la population à un certain nombre de substances), passe en revue les preuves scientifiques établissant les relations entre expositions environnementales et professionnelles, et certains cancers. «De nombreux cancers sont causés ou co-promus par des expositions involontaires», conclut l’étude. Un rapport anglais de la Commission royale sur la pollution environnementale confirme les risques encourus par l’exposition des riverains aux pesticides déversés dans les champs. En France, une enquête à grande échelle va enfin être menée par la Mutualité sociale agricole sur les liens entre pesticides et cancers. Toujours en France, des médecins viennent de tenir à Rouen un premier congrès national sur les pathologies environnementales. Le Dr Joël Spiroux, l’un des organisateurs, déclare : «Je suis confronté à une multiplication des pathologies allergiques, des bronchites chroniques, de l’asthme, à une hausse colossale des cancers, des cas d’hypofécondité, de stérilité…»

Que s’est-il passé depuis l’Appel de Paris, lancé en mai 2004 à l’Unesco par le Pr Dominique Belpomme ? Pas grand-chose dans les faits, mais peut-être beaucoup dans les esprits : ainsi que le souligne l’un des dirigeants de WWF-France, «des scientifiques commencent à constituer un nouveau pouvoir pour alerter les populations».

L’énorme enjeu de Reach

Proposé en octobre 2003 par la Commission européenne, le projet Reach pourrait traduire dans les faits cette indispensable prise de conscience. Mais quel en sera le texte final, et comment sera-t-il appliqué ? Les lobbies de l’industrie chimique d’Europe et même des Etats-Unis ont tenté de le vider de sa substance : y aura-t-il une «dérogation» pour les molécules produites à moins de 10 tonnes par an – c’est-à-dire 25 000 à 30 000 ? Les groupes politiques restent divisés sur une limitation des autorisations données aux produits, même les plus dangereux. Les tests, prévus pour durer une dizaine d’années, seront-ils tous basés sur l’expérimentation animale ou bien, comme le préconisent certains scientifiques, sur des cultures de cellules permettant d’obtenir des résultats «plus fiables et beaucoup plus rapides» ? Plusieurs ONG de protection de la santé et de l’environnement ont décidé de manifester le 16 novembre devant le Parlement de Strasbourg. Leur slogan : «Nous n’aurons pas de deuxième chance avant longtemps !» Réponse fin 2005, lorsque interviendra le vote final du Parlement européen.


par Henriette  SARRASECA

Article publié le 15/11/2005 Dernière mise à jour le 15/11/2005 à 11:26 TU