Tchad
Tirs croisés
(Photo : AFP)
Traditionnellement, au Tchad, le politique est hautement militarisé. Nul étonnement donc à ce que des différends aux origines les plus diverses se règlent à coups de fusil. Et cela, que les pommes de discorde soient à proprement parler nationales ou bien qu’il s’agisse de quelque métastase régionale, comme celles qui se sont développées ces dernières années en Centrafrique, et au Soudan. Dans l’immédiat, au plan national, la priorité du régime Déby est double: assurer sa pérennité avec la présidentielle de l’année prochaine et boucler son budget avec l’argent du pétrole réservé aux générations futures. Sur ces deux terrains, il doit encore convaincre son opinion nationale, mais aussi la Banque mondiale, par exemple.
Dans le contexte de frustration générale qui s’exprime de plus en plus fortement depuis que le pétrole a commencé à couler, la grogne, militaire, a déjà secoué par deux fois le carré zaghawa du pouvoir Déby. Ce dernier s’est fortement troublé une première fois en mai 2004, avec une tentative de coup d’Etat, et, depuis octobre dernier, avec des désertions dont il reste toutefois difficile de mesurer l’impact sur le pilier militaire du régime Déby. Et cela, d’autant plus, que ce dernier s’efforce généralement de retourner à son avantage, comme autant de prétextes, chacun des accrocs faits à son autorité. Difficile donc dans ces conditions de tirer au clair les événements de cette fin de week-end.
Selon l’Agence France Presse, les attaques contre les deux camps militaires n’ont pas semblé excéder quelques rafales à l’arme légère. Certains ont peut-être un peu trop rapidement associé ces bruits de balles au mouvement de déserteurs, essentiellement zaghawa, qui aurait conduit plusieurs centaines de soldats et officiers de la Garde républicaine – 86 seulement selon les autorités – à rallier le Socle pour le changement, l'unité nationale et la démocratie (Scud), à l’est du pays. Depuis, le Scud menace de rééditer, à son profit cette fois, la marche sur N’Djaména jadis réussie par Déby, à partir de ses terres zaghawa, à cheval sur le Tchad et le Soudan. Dans cette perspective, le ministre tchadien de la Défense, Bichara Issa Djadallah, avait invoqué le Scud, dès le 2 novembre, comme possible casus belli avec le Soudan où Idriss Déby s’était voulu médiateur, dans le Darfour de tous les dangers.
Les déserteurs, un casus belli avec Khartoum
«Malgré les démarches diplomatiques demandant au gouvernement soudanais de procéder au désarmement des déserteurs, nous déplorons que, sous les yeux bienveillants des autorités locales du Darfour, ceux-ci ont constitué une alliance avec l'opposition armée installée et entretenue par les Soudanais depuis longtemps au Darfour», lançait alors N’Djaména, menaçant de «poursuivre pour les neutraliser» au Soudan les fameux déserteurs. Mais Khartoum lui a rapidement coupé l’herbe sous le pied, annonçant presque en même temps l’arrestation de «deux officiers et de 20 soldats de l'armée tchadienne, qui s'étaient infiltrés dans le Darfour».
«Il ne s'agit que d'un véhicule ayant à son bord deux soldats déserteurs qui a été saisi par les autorités soudanaises, qui n'ont restitué au Tchad que le véhicule en gardant les deux soldats et leurs armes» a riposté le gouvernement tchadien, maintenant ses accusations contre Khartoum et grossissant en même temps un problème de désertion initialement minimisé. Entre ces déclaration et celle du Scud, la question reste à documenter. Il en va de même pour les tirs de lundi, certains évoquant une piste sudiste, d’autres montrant plutôt du doigt les soldats en uniforme centrafricain qui ont assisté le général François Bozizé dans son coup d’Etat à Bangui, le 15 mars 2003.
Encombrants «libérateurs» de Centrafrique
En rupture de ban sous l’étiquette Rassemblement patriotique centrafricain pour le salut et la justice (RPCFJ), créé huit mois plus tôt, ces ex-«Libérateurs» se retournent aujourd’hui contre Idriss Déby. Selon leur porte-parole, Abacar Saboun, les «libérateurs» tchadiens de Centrafrique seraient quelque 400. Des hommes à la nationalité pas toujours vérifiable, nettement moins visibles aujourd’hui qu’hier à N’Djaména, où ils circulaient volontiers en tenue de camouflage centrafricain, fusil à l’épaule. Mais le torchon a brûlé au point où certains d’entre eux se sont retrouvés à la prison du camp des Martyrs, face au palais présidentiel. Pour sa part, Abacar Saboun a pris la poudre d’escampette samedi, s’introduisant dans l’ambassade du Nigeria, pour demander l’asile et poser les revendications de ses compagnons à la face du monde, dit-il.
Quatorze ex-«Libérateurs» étant emprisonnés à Bardaï, dans le Tibesti, d’autres se cachant là où l’inquiétude les a trouvé, Abacar Saboun ne croit plus qu’Idriss Déby ait entrepris la médiation promise, entre eux et Bozizé. Saboun croit plutôt qu’il s’agit de contenir les «libérateurs» et de renvoyer dans les oubliettes de l’histoire régionale des jusque là entretenus par le Tchad. Il est vrai que les «libérateurs» ont très mauvaise presse en Centrafique, où Bozizé s’est empressé de les charger des multiples exactions et autres crimes de guerre dont il n’a nulle envie de porter le chapeau, en tant que chef de guerre. A charge donc pour Idriss Déby de refermer la boîte de Pandore sur un RPCFJ qui affiche désormais des revendications politiques en Centrafrique et se déclare déçu par Bozizé qui leur aurait promis de se retirer sitôt Patassé chassé du pouvoir, alors qu’il a brigué, avec succès, un mandat présidentiel, en mai dernier. Pour sa part, du fond de son ambassade nigériane, Abacar Sanoun ne paraît pas au courant de tirs quelconques émanant de ses hommes, lundi matin.
Ces derniers temps, la vie politique tchadienne oscille entre les cours du pétrole et les stigmates d’une misère qui menace d’éprouver durablement la population. Or, autre motif de mécontentement populaire, sinon militaire, pour boucler son maigre budget, le gouvernement entend utiliser «le fonds des générations futures estimé à 20,8 milliards de francs CFA» (31,7 millions d'euros), sur lequel étaient versés 10% des royalties perçues depuis octobre 2003. Pour s’en justifier, notamment auprès de la Banque mondiale, N’Djaména invoque ses difficultés financières, qui l’empêchent notamment de payer ses fonctionnaires à temps. La grogne a des raisons d’être particulièrement soutenue dans le Sud pétrolier. Mais vu de N’Djaména tout péril annoncé est à double détente, interne et internationale, politique et militaire.
par Monique Mas
Article publié le 14/11/2005 Dernière mise à jour le 14/11/2005 à 17:55 TU