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Tchad – Sénégal

Arrestation d'Hissène Habré

L'ancien président tchadien Hissène Habré à sa sortie de la Cour d'appel de Dakar, le 15 novembre 2005.(Photo : AFP)
L'ancien président tchadien Hissène Habré à sa sortie de la Cour d'appel de Dakar, le 15 novembre 2005.
(Photo : AFP)
L’ancien président tchadien Hissène Habré a été conduit ce mardi pour interrogatoire devant une cour de justice et placé sous mandat de dépôt, au Sénégal, pays où il vit réfugié depuis 1990. L’ancien dictateur est accusé de violations graves des droits de l'homme pendant ses années de présidence, entre 1982 et 1990. Il fait l'objet d'un mandat d'arrêt international de la justice belge, qui demande son extradition.

«C’est un grand jour pour les victimes d’Hissène Habré», s’est félicité Reed Brody, sympathisant de l’organisation américaine Human Rights Watch (HRW). «C'est une réjouissance pour nous car nous avons lutté pendant une décennie pour arriver à ce résultat», ajoute Ismael Hachim, le président de l'Association des victimes de crimes et de la répression politique au Tchad (AVCRP). En effet, l’étau se resserre un peu plus sur l’ancien président tchadien. Il a été conduit ce mardi matin à un tribunal de Dakar, pour un interrogatoire, puis placé dans l’après-midi sous mandat de dépôt. Cela pourrait aboutir à une mise en accusation. Et à terme, une possible extradition vers la Belgique qui a lancé en septembre dernier un mandat d’arrêt international.

Le «Pinochet africain»

Hissène Habré est aujourd’hui âgé de 63 ans. Il en avait 40 quand il est arrivé au pouvoir à N’Djamena. C’était en 1982, un coup d'Etat militaire. Pendant plusieurs années, le Tchad est le théâtre de troubles politiques, d'affrontements armés. Hissène Habré instaure un régime particulièrement autoritaire. L’opposition politique est anéantie, sous les coups de la police politique, la Direction de la documentation et de la sécurité (DDS). D’après une commission d’enquête du ministère tchadien de la Justice, mise en place en 1992 après le départ d’Hissène Habré, il y aurait eu 40 000 assassinats politiques et cas de torture sous l’ère Habré. Hissène Habré est ainsi surnommé le «Pinochet Africain» par l’organisation Human Rights Watch.

L’homme a quitté le pouvoir en 1990, fuyant l’attaque menée par des rebelles conduits par le général Idriss Déby, qui s’installe dans le fauteuil de président, laissé vacant. Après quelques jours au Cameroun, le président déchu Habré s’installe au Sénégal, où il réside depuis.

Une longue procédure judiciaire

Dès la chute d’Hissène Habré, plusieurs de ses victimes ont espéré le traduire en justice. Mais à cette époque, le gouvernement tchadien n’a pas demandé son extradition du Sénégal, ni même engagé de poursuites contre ses complices restés au Tchad. Il faut attendre l’année 2000 pour voir rebondir le dossier. Sept victimes déposent des plaintes devant le tribunal de Dakar. Le juge d’instruction inculpe l’ancien dictateur tchadien pour complicité de crimes contre l’humanité, d’actes de torture et de barbarie, et le place en résidence surveillée. Quelques mois plus tard, la chambre d’accusation déclare que les tribunaux sénégalais ne sont pas compétents pour juger au Sénégal des crimes commis à l’étranger. La procédure contre Hissène Habré est alors annulée. L’homme retrouve la liberté de mouvement. La cour de Cassation confirme même cette décision en mars 2001.

Des familles de victimes se tournent alors vers la Belgique, qui applique partiellement le principe dit de compétence universelle. Cette spécificité permet ainsi les poursuites pénales contre des individus responsables de violations des droits de l’homme, quel que soit le lieu où ces violations ont été commises, et quelle que soit la nationalité des responsables ou des victimes. L’instruction, menée par le juge belge Daniel Fransen, va durer près de cinq ans. En septembre dernier, la procédure aboutit à un mandat d’arrêt international contre Hissène Habré. La demande d’extradition de l’ancien président tchadien, du Sénégal vers la Belgique en est la suite logique.

Ces dernières semaines, les regards se sont alors tournés vers la justice sénégalaise, et vers le président de la République Abdoulaye Wade. Pour qu’Hissène Habré puisse être extradé, il faut d’abord que l’homme soit présenté devant la chambre d’accusation. C’est l’étape franchie ce mardi : Hissène HAbré a été auditionné par le procureur général de la Cour d'appel. Le dossier est transmis au président de la chambre d’accusation de la cour d’appel de Dakar. Il faut alors que cette chambre d'accusation donne un avis favorable d’extradition. Et qu’enfin le chef de l’Etat signe le décret ordonnant cette extradition. Sur ce dernier point, plusieurs associations de défense des Droits de l’homme espèrent qu’Abdoulaye Wade restera fidèle à ses propos d’il y a quelques années. Il avait laissé entendre qu’il ne s’opposerait pas à une extradition d’Hissène Habré, si toutefois il avait la garantie qu’un procès «équitable» serait organisé. «Nous demandons qu'il y ait un procès équitable », a précisé Ismael Hachim, de l’AVCRP, qui explique que «cela servira tous les pays africains pour qu'il n'y ait plus jamais de répression politique».

Hissène Habré est ressorti dans l’après-midi de mardi de la Cour d’appel de Dakar, sous escorte policière, pour être placé sous mandat de dépôt. D’après le ministre sénégalais de la Justice, Cheikh Tidiane Sy, «la Chambre d'accusation (de la Cour d'Appel) doit se prononcer sous huit jours, mais il n'y a pas de délai, elle peut même se prononcer demain».


par Olivier  Péguy

Article publié le 15/11/2005 Dernière mise à jour le 15/11/2005 à 17:19 TU