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Exposition

Amiens célèbre Puvis de Chavannes

<EM>Le travail</EM>.(Photo : H.Maertens)
Le travail.
(Photo : H.Maertens)
Pierre Puvis de Chavannes (1824-1898) est certainement un des peintres français les plus originaux de la seconde moitié du XIXe siècle. Son nom semble encore trop accroché de manière réductrice à une étiquette de peintre muraliste. C’est oublier la subtile grammaire picturale qu’il utilisa, et qui en fit un des pères du modernisme. Le directeur des musées de Picardie Matthieu Pinette, commissaire de l’exposition, a mis en valeur la place que ce peintre occupa au sein de la création de son temps. Entretien.

RFI : De Puvis de Chavannes on connaît majoritairement les grandes fresques murales épiques et décoratives qui ornent, par exemple, les murs de la Sorbonne, du Panthéon et de l’Hôtel de ville à Paris ou bien encore l’Hôtel de ville de Poitiers. Sa notoriété est surtout attachée à des grands formats. Comment a-t-il été matériellement possible de lui consacrer une exposition ?

Matthieu Pinette : Puvis de Chavannes n’a pas réalisé que des peintures murales même si ce sont elles, il est vrai, qui ont contribué à sa notoriété. Effectivement, étant donné la dimension des œuvres murales, il n’était pas concevable de déplacer celles qui sont marouflées. J’ai contourné l’obstacle, et imaginé de rendre hommage au peintre autrement. Mon objectif a été de  mettre en perspective son œuvre à la fois  avec les travaux influents de ses prédécesseurs, et avec la création de ses contemporains. Dans cette exposition intitulée «Puvis de Chavannes, une voie singulière au siècle de l’impressionnisme», Pierre Puvis de Chavannes est présenté au centre d’un parcours qui comprend quelque 300 œuvres (peintures, dessins, estampes et sculptures). La moitié d’entre-elles sont de lui et s’ajoutent aux quatorze toiles qui ornent, en permanence, l’escalier d’honneur et la galerie du musée, dont Concordia et Bellum acquises par l’Etat en 1861 pour orner le musée Napoléon (actuel musée de Picardie). La collection a été complétée en 1863 par le Travail et le Repos, puis en 1865 par Ave Picardia Nutrix. L’ensemble de l’exposition vise à montrer combien ce peintre occupa en fait une place particulière dans l’histoire de la peinture, et l'étude de cet aspect est largement abordé dans le catalogue qui l'accompagne (sortie prévue fin novembre).

RFI : Quel rapport entretenait-il avec ses contemporains ? Etait-ce un marginal qui entretenait le mythe de l’artiste maudit ?

M.P. : Pas du tout ! Ce n’était pas un artiste maudit. Il n’était pas en disgrâce, mais comme par ailleurs il n’avait pas besoin de vendre pour vivre, il ne s’est jamais laissé dicter ce qu’il devait faire. Il a beaucoup fréquenté ses contemporains. Il a connu Mallarmé, Debussy aussi avec lequel il partageait ce goût pour les univers oniriques et vaporeux -l’un l’exprime dans sa musique, l’autre dans sa peinture. Il était très proche de Degas. Il a failli épouser la peintre impressionniste Berthe Morisot. Mais, sans être révolutionnaire le moins du monde, il a tracé un chemin très particulier dans la manière de s’approprier la tradition et le classicisme, une manière de peindre qui influencera les modernistes. Il a beaucoup regardé, il s’est beaucoup imprégné, mais il n’a appartenu à aucun courant, aucune chapelle. Il a toujours travaillé seul, sans appartenir au sérail.

Concordia.
(Photo : H.Maertens)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

RFI : Et techniquement, en quoi sa peinture est-elle singulière ?

M.P. : Un exemple, Puvis a beaucoup regardé et étudié la manière de peindre de Jean-Dominique Ingres, par exemple, et on retrouve décliné dans de nombreux tableaux, un nu de femme vue de dos typiquement emprunté à ce peintre, mais transformé. Puvis a en fait beaucoup travaillé la manière de poser un personnage dans un paysage, en cernant les corps et les figures. Ce qui le caractérise ce sont ces aplats de peinture qui réduisent le modelé, les absences de profondeur qui donnent une impression de collage et qui contribuent à donner cette impression de temps suspendu. La matière est rugueuse et mate: on a l’impression en regardant ses toiles que la couleur a été patinée avant d’exister, comme si elle était éteinte. Il n’y a jamais de couleur franche. Les rouges sont orangés, les verts sont bleus, les oranges sont ocrés etc… Une autre caractéristique réside dans le procédé du «marcottage pictural»: quand un sujet lui semble abouti, il le répète dans une autre toile. Rodin faisait cela en sculpture.

RFI : Fut-il bien accueilli par la critique ?

M.P. : Ce qui a parfois dérangé la critique, c’est que ses œuvres sont impossibles à situer, ni dans le temps ni dans l’espace. Les thèmes traités semblent appartenir à une sorte de grand occident flottant, comme en lévitation. Si l’on se réfère à Allégorie de la paix: le moissonneur et la fileuse, et Allégorie de la guerre: le triomphe et le désespoir, en fait on se retrouve devant des tableaux dépourvus de sujet; ils ne racontent rien. Ce sont simplement des thèmes. On lui a d’ailleurs reproché assez fréquemment de ne pas être assez engagé dans son époque, et de préférer ce monde rêvé où règne une sorte de permanence de la félicité et du rêve.

 RFI : Pouvez-vous nous inviter à découvrir le parcours de l’exposition que vous avez conçue, et qui est ouverte au public jusqu'au 12 mars 2006?

M.P. : Il est simple et complexe à la fois, organisé en trois temps. Simple parce qu’il est pédagogique, complexe parce qu’il est constitué de chassés-croisés qui demandent au visiteur de faire un petit effort pour comparer les œuvres présentées. La première salle est consacrée à des peintres romantiques, des orientalistes et des réalistes qui ont permis l’éclosion de Puvis de Chavannes. Puis j’ai mis l’accent sur l’initiation italienne et les multiples influences qui ont marqué son œuvre. Et, en guise d’épilogue, le peintre est installé comme l’un des précurseurs des avant-gardes.

RFI : Peut-on revenir sur le contenu de chaque étape de l’exposition ?

M.P. : Disons que la première salle est principalement consacrée à Géricault, Delacroix, Chassériau, Ingres, des maîtres qui lui ont ouvert la voie des grandes peintures décoratives; consacrée également aux peintres de l’école de Barbizon, comme Daumier ou Millet, qui l’ont marqué en évoquant de manière réaliste la vie quotidienne des campagnes. Dans la deuxième partie, j’ai voulu montrer comment le travail de Puvis se déployait entre impressionnisme et éclectisme. Puvis appartenait à son siècle, et connaissait les travaux de Manet, de Gustave Moreau ou bien encore de Rodin. Dans la dernière partie j’ai tenu à lui rendre ses lettres de noblesse car trop souvent encore on a l’impression que ce n’était qu’un peintre décoratif faisant presque du papier peint alors qu’il a en fait terriblement fait évoluer discrètement la peinture. Il était très admiré de Van Gogh, il inspira également Gauguin. Il a beaucoup marqué l’œuvre de Picasso (les Deux baigneuses, 1921) et Matisse (la Danse, 1930). Les Nabis (comme Maurice Denis, Bonnard, Sérusier, Vallotton) ont retenu chez lui l’espace à deux dimensions dans lequel s’agencent des motifs colorés si typiques de son art décoratif.

Pro patria ludus (détail).
(Photo : H.Maertens)

 

 

 

 

 

 

 

RFI : Puvis de Chavannes a été très apprécié de son vivant aux Etats-Unis puisque, à la toute fin de sa vie, on lui demanda de décorer la bibliothèque publique de Boston. Connut-il le même succès en Europe ?

M.P. : Son influence a incontestablement été large et importante, du sud au nord de l’Europe, de l’Italie à la Finlande, on peut citer Le Norvégien Munch («Danse sur la plage»,1904, Oslo), le Suisse Hodler («Communion avec l’infini», 1892, Bâle), les Finlandais Gallen-Kallela, et Enckell, les Italiens Segantini et Carrà, qui sont autant de peintres chez lesquels on retrouve son empreinte; il faudraitt également mentionner la Russie, et la Grande Bretagne avec Burne-Jones…

RFI : En 2002, le Palazzo Grassi a présenté une grande rétrospective de l’œuvre de Pierre Puvis de Chavannes. Pourquoi l’Italie ? Avait-il de son vivant entretenu des liens privilégiés avec ce pays?

M.P. : Le succès qui a couronné cette exposition en 2002 n’est pas étonnant : les Italiens ont reconnu quelque part un des leurs. Puvis de Chavannes a découvert avec admiration Giotto et Piero della Francesca lors d’un voyage qu’il effectua en Italie en 1846. Il a également admiré les peintres du Trecento et du Quattrocento, ainsi que l’école vénitienne du XVIe siècle, en particulier Le Titien et Véronèse. Puis vers 1850, probablement très inspiré par cette grande tradition italienne, Puvis s’essaiera à son tour à pratiquer un art déjà largement en vigueur en France. Il le fera dans la maison familiale de son frère. Le Retour de chasse, dérivé d’un des panneaux, évoque cet épisode charnière en Bourgogne. Le succès qui couronna l’exposition à Venise en 2002 n’est donc pas étonnant: les Italiens ont reconnu sans conteste un des leurs. J’ai eu à cœur, de mon côté, à le faire redécouvrir aux Français. L’occasion m’en a été donnée avec la célébration de l’année Jules Vernes. Les deux hommes se connaissaient bien. Jules Vernes encouragea Puvis à enrichir les collections du Palais des Beaux-Arts d’Amiens.


par Dominique  Raizon

Article publié le 23/11/2005 Dernière mise à jour le 23/11/2005 à 11:28 TU