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Kenya

Un référendum lourd de conséquences

Le Kenya.(Carte: SB/RFI)
Le Kenya.
(Carte: SB/RFI)
Depuis son indépendance en 1963, l’ancienne colonie britannique a connu une seule charte fondamentale et deux règnes autoritaires, celui du père de la Nation, Jomo Kenyatta, mort en 1978, et celui de Daniel Arap Moi, qui a dû céder le fauteuil présidentiel à Mwai Kibaki, en décembre 2002. Cette victoire, Mwai Kibaki l’avait emportée grâce à une vaste coalition de l’opposition, l’Alliance nationale arc-en-ciel (Narc). L’ancien parti unique, l’Union nationale africaine du Kenya (Kanu) battue, le régime arc-en-ciel avait institué une Commission de révision de la Constitution du Kenya (CKRC) composée de ministres, de députés et de représentants de la société civile. Le 23 mars 2004, la Commission a rendu un projet organisé autour d’un Premier ministre, avant de réviser sa copie en faveur d’un régime présidentiel fort, le 21 juillet dernier. Depuis le débat s’est mué en déchirure politique.

«Farce», selon la Prix Nobel de la Paix 2004 et secrétaire d'Etat à l'Environnement, Wangari Maathai, «menace sur la paix civile», selon quatre ministres parmi lesquels celui des Infrastructures routières, Raila Odinga, du Parti libéral démocratique (LDP), le nouvel habit constitutionnel sied surtout au Parti de l'alliance nationale du Kenya (NAK) de Mwai Kibaki. Mais le ton continue de monter et, pour avoir dit que l’adoption de la nouvelle Constitution exposerait le pays à un coup d’Etat, Raila Odinga et le ministre de l’Environnement, Kalonzo Musyoka, sont menacés de poursuites pour haute-trahison. Mwai Kibaki n’en a pas fini avec eux pour autant. En attendant de tirer toutes les conséquences politiques des résultats du scrutin, il n’a pas ménagé ses efforts pendant la sanglante campagne électorale (au moins neuf morts) pour soutenir la dernière mouture du projet.

A la différence du texte précédent, finalement remisé dans les tiroirs, le projet soumis au référendum du 21 novembre n’entame plus les prérogatives du chef de l’Etat. Le président disposera du double pouvoir de nommer et de limoger le Premier ministre, ce qui ramène à de plus modestes prétentions cette fonction, nouvelle au Kénya. Et cela, d’autant plus que l’essentiel des attributions du Premier ministre ressortissent de la défense de la politique gouvernementale devant le Parlement. En outre, le président pourra désormais choisir 20% des ministres en dehors du Parlement alors que, jusqu’à présent, le cabinet devait être entièrement composé d’élus du peuple. En revanche, pour démettre le chef de l’Etat, il faudra rassembler 75% des députés, contre 65% auparavant.

Régime présidentiel

S’il adopte ce projet, le Kenya conservera donc le régime présidentiel fort dont il était censé se débarrasser en tournant la page de la Kanu. Cela ne fait pas du tout l’affaire de certains membres de la coalition arc-en-ciel. Le bras de fer entre le LDP d’Odinga et le NAK de Kibaki la menace d’explosion. Mais cela ne surprend personne. En effet, cette alliance de circonstance conclue en 2002 avait pour objectif immédiat de sortir Arap Moi du jeu politique. Reste qu’en la concluant, Raila Odinga escomptait un fauteuil de Premier ministre d’une toute autre importance que celui qui se profile dans un proche horizon. S’il a perdu une bataille interne au régime composite qui se déchire sur le référendum, Raila Odinga ne désespère pas complètement d’infliger un camouflet à Kibaki dans ce référendum à l’issue incertaine. En attendant, les récalcitrants du gouvernement scrutent avec satisfaction les nombreuses inquiétudes que soulèvent certains autres points du projets constitutionnel.

Les tribunaux confessionnels (chrétiens, musulmans et hindous) prévus pour réglementer mariages, divorces ou successions, l’égalité des droits de succession indépendamment des sexes, l’assouplissement de l’interdiction de l’avortement, le mariage homosexuel ou la double nationalité font en effet débat. Mais c’est surtout la nouvelle approche constitutionnelle du droit foncier qui provoque des réactions dans ce Kenya agraire de 582 680 kilomètres carrés où près de 32 millions d’habitants se disputent les 17% de terres arables mais assoiffées. Dans ce contexte, les titres de propriété sont un atout politique majeur.

Pendant la campagne, Mwai Kibaki a distribué 12 000 titres de propriété foncière à la minorité forestière ogiek, des chasseurs-cueilleurs des monts Mau qui surplombent la vallée kenyane du Rift. Le chef de l’Etat a aussi restitué aux Masai le célèbre parc d'Amboseli, au pied du Kilimandjaro, au grand dam de nombreuses associations de défense de l'Environnement. Déplacés à l’époque coloniale sur des terres moins fertiles, les pasteurs Masai réclament une nouvelle répartition des terres arables. 50% des surfaces cultivables appartiennent en effet à 20% des Kényans et la bataille foncière tue régulièrement.

Le nouveau texte constitutionnel prévoit de faire passer les baux de propriété de 999 à 99 ans et de créer une Commission nationale composée d'experts pour envisager une réforme du droit foncier. L’objectif serait de dépolitiser le sujet. En attendant, si elle est adoptée, la nouvelle Constitution devrait retirer au président Kibaki la haute main sur les terres, «un changement majeur», selon le président de la Commission nationale kényane des droits de l'Homme, Maina Kiai. Mais le véritable problème, c’est la pression foncière. Aujourd’hui, à défaut d’indemnités, les chômeurs retournent à la terre. En quarante ans, la population a quintuplé et à défaut de terres arables, l’avenir agricole des Kényans se rétrécit comme peau de chagrin. Dans ces conditions, les aspects politiques du débat constitutionnel passent largement au-dessus de la tête des citoyens ordinaires.

Querelle de pouvoir

Ce référendum, «c’est un scénario dans lequel une petite clique des deux bords veut imposer son point de vue aux Kényans», dénonce la secrétaire d'Etat à l'Environnement, Wangari Maathai. Elle estime que «le débat n'a pas grand-chose à voir avec le texte constitutionnel, mais beaucoup avec le pouvoir». Pour sa part, Mwai Kibaki sait qu’il devra sans doute encore rompre des lances avec les ministres qu’il menace de poursuites judiciaires. Il n’est même pas assuré des résultats du référendum. Un sondage réalisé le mois dernier donnait le «non» gagnant avec, quand même, une marge de quelque 22% d'indécis. Mwai Kibaki a déjà dit qu’il ne démissionnerait pas si les électeurs repoussaient le projet de Constitution. Dans le cas contraire, nul doute qu’il en fera une victoire personnelle.

Dans le camp Kibaki, le ministre de l'Aménagement du territoire, Amos Kimunya, ne se gêne pas pour menacer les partisans du «Non». «Après notre victoire, nous devrons retirer les vers qui mangent le gouvernement de l'intérieur car ils ne peuvent pas servir sous une Constitution qu'ils ont rejetée», lance-t-il. Les lendemains de résultats s’annoncent plus qu’ombrageux. D’autant que dans la prochaine joute, celle des élections générales de 2007, les anciens partenaires de 2002 se battront sous leurs étiquettes respectives. D’ores et déjà, la coalition arc-en-ciel est morte. Le référendum lui tiendra lieu d’enterrement.


par Monique  Mas

Article publié le 21/11/2005 Dernière mise à jour le 21/11/2005 à 10:11 TU