Kenya
Echec référendaire pour le président Kibaki
(Photo: Hilaire Avril)
Les 2,5 millions de votes favorables au texte (42% des suffrages) étaient insuffisants pour renverser l’avance des partisans du «non», alors qu’il ne restait plus qu’un demi million de bulletins à dépouiller. Six des huit provinces du Kenya ont ainsi voté contre ce projet, incitant la majorité présidentielle à concéder son écrasante défaite. Mwai Kibaki a ainsi appelé tous les Kenyans à respecter la sentence des urnes.
Cet échec représente un désaveu sévère pour le gouvernement Kibaki, qui avait promis un nouveau Kenya lors de son élection en 2002, à l’issue de 24 ans de pouvoir de Daniel Arap Moi. Le verdict est sans appel : non seulement les Kenyans ne veulent pas d’un président plus fort, mais ils désapprouvent le bilan du gouvernement actuel.
Selon Uhuru Kenyatta, chef de l’opposition et l’un des adversaires les plus farouches de cette Loi fondamentale, «les Kenyans ont choisi de ne pas être soumis à la monstruosité que serait une dictature légalisée».
Le Kenya est aujourd’hui encore plus pauvre, bien plus inégalitaire, et tout aussi miné par la corruption qu’il y a trois ans. Un constat qui explique que le camp «orange» (opposé au texte et à la majorité présidentielle) l’ait emporté avec une marge aussi importante, malgré un taux de participation d’environ 55%.
C’est le contenu du projet présidentiel, mais aussi le processus même de révision qui a été contesté. La copie rendue par l’Assemblée constituante convoquée par l’administration Kibaki (dite «Bomas», du nom du country-club où elle se réunissait dans la banlieue de Nairobi) a tout simplement été écartée. La majorité présidentielle lui a substitué un projet de texte «révisé», qui, en pratique, sabordait la plupart des réformes.
Le processus de révision constitutionnelle n’est pas mort
Dans cette seconde mouture du texte, sur laquelle les Kenyans votaient, le Premier ministre et le Parlement n’étaient plus que des pions du président, et les dispositions relatives à la décentralisation étaient tout simplement gommées. La publication du projet présidentiel avait d’ailleurs provoqué en août des protestations devant le Parlement que la police avait violemment dispersées.
Au delà du débat constitutionnel, cette victoire du «non» est un camouflet personnel pour le président Kibaki et son gouvernement. Tout au long de la campagne, la faction «banane» (nommée d’après le symbole représentant le «oui» sur les bulletins de vote) a bénéficié des pleines ressources de l’Etat pour mener sa campagne : ministres héliportés par l’armée aux quatre coins du pays, escortes policières, fonds du Trésor Public pour les publicités... Malgré cela, bon nombre de figures de proue du gouvernement, dont le vice-président Moody Awori, ont été défaits dans leur propre circonscription. Ce référendum – transformé en plébiscite par le gouvernement – représente donc un échec particulièrement cuisant.
Le résultat du scrutin semble s’être dessiné selon des lignes d’allégeances tribales. Les disparités de résultat entre régions sont énormes. La province centrale, autour de Nairobi, qui est largement peuplée de Kikuyus (l’ethnie majoritaire et aussi celle du président), a voté en faveur d’un renforcement des pouvoirs de cette administration à près de 90%. A l’est, dans la province qui borde la cote avec l’Océan indien, où les Kikuyus sont moins représentés, le «oui» n’a remporté que près de 20% des suffrages.
Pourtant, malgré les violences qui ont émaillé la campagne et fait huit morts, dont deux écoliers, le scrutin s’est déroulé dans le calme. De rares incidents isolés n’ont pas entaché la crédibilité des résultats. Le président de la Commission électorale, Samuel Kivuitu, a félicité les Kenyans, et appelé de ses vœux «une Constitution qui protège la minorité de la puissance de la majorité». Le processus de révision constitutionnelle n’est donc pas mort avec le projet Kibaki.
par Hilaire Avril
Article publié le 22/11/2005 Dernière mise à jour le 22/11/2005 à 17:25 TU