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Commerce international

Sucre : facture salée pour les pays ACP

La réforme du sucre décidée à Bruxelles risque de pénaliser notamment l’économie mauricienne.(Photo : AFP)
La réforme du sucre décidée à Bruxelles risque de pénaliser notamment l’économie mauricienne.
(Photo : AFP)

Les Ministres de l’agriculture de l’Union européenne ont trouvé ce jeudi un accord sur la réforme du régime sucrier communautaire. Le compromis est le fruit de négociations marathon. Cette réforme prévoit de diminuer la production européenne notamment en baissant les prix du sucre de 36% sur quatre ans. Cela suscite beaucoup d’inquiétudes chez les pays ACP (Afrique Caraïbe Pacifique), dont les économies vont se trouver pénalisées par cette nouvelle donne.


Il aura fallu deux jours et deux nuits de négociations à Bruxelles pour parvenir à un accord sur le dossier du sucre. Les ministres de l’agriculture des vingt-cinq pays membres se sont entendus pour réformer le régime sucrier communautaire. Au terme de cet accord, le prix garanti baissera de 36%. Une baisse étalée sur quatre ans, afin de permettre aux producteurs de s’adapter. Le texte initialement présenté par la Commission envisageait une baisse de 39% sur deux ans. Cette réforme est «historique», selon Margaret Becket, ministre britannique de l’Agriculture, dont le pays assure actuellement la présidence de l’Union européenne. C’est la première fois depuis quarante ans que le secteur sucrier européen connaît une telle modification. Cette réforme était réclamée par plusieurs pays et organisations internationales.

Actuellement, la tonne de sucre dans l’Union européenne (UE) s’échange à 631 euros, soit un niveau trois fois plus élevé que les cours mondiaux. Le sucre européen est en fait «subventionné», c’est-à-dire maintenu à un prix élevé grâce à des aides spécifiques. Ce niveau élevé du prix garanti favorise la surproduction. Autrement dit, l’Europe produit plus de sucre qu’elle n’en consomme. Et elle est donc obligée de déverser ses surplus sur le marché mondial. Mais cela irrite depuis longtemps d’autres grands pays producteurs comme le Brésil, la Thaïlande ou l’Australie, qui dénoncent une concurrence déloyale. L’an dernier, ces pays ont porté plainte auprès de l’Organisation mondial du commerce (OMC), contre les pratiques européennes. L’OMC a ainsi invité l’UE à réformer son régime sucrier. Ce qui vient d’être fait à Bruxelles, lors de la réunion des ministres de l’Agriculture. Le texte doit encore être voté par le Parlement, probablement début 2006.En adoptant cette réforme assez radicale, l’Union européenne pense pouvoir se présenter en position de force lors des prochaines négociations ministérielles de l’OMC, prévues du 13 au 18 décembre à Hong-Kong.

L’«amère déception» des pays ACP

Cette question de la réforme du secteur sucrier est suivie de très près par les pays ACP, notamment ceux qui produisent et exportent du sucre. Les accords de partenariat entre l’Europe et ces pays ACP (Accords dits de Lomé, puis de Cotonou) ont institué depuis des années, un régime spécial qui garantit aux producteurs du sud, des conditions préférentielles pour accéder au marché européen. Le prix garanti au sucre ACP importé dans l’Union européenne étant quasiment le triple des cours mondiaux, ces pays ACP y ont naturellement trouvé leur compte.

Or, la baisse de 36% des prix, que viennent de décider les ministres de l’Agriculture européens, va considérablement réduire les bénéfices des pays ACP producteurs de sucre. Ces pays avaient tenté d’infléchir les négociations de Bruxelles, en demandant, ces derniers jours, que la baisse des prix ne soit que de 19%. Cette proposition n’a pas été suivie par les Vingt-cinq. D’après un expert, la réforme radicale du régime du sucre va représenter une perte d’environ 300 millions d’euros par an pour les pays ACP.

L’Ile Maurice, fer de lance des petits producteurs, risque d’être profondément affectée par cette décision européenne. Le sucre constitue un de piliers de l’économie mauricienne. A ce jour, Port-Louis exporte son sucre vers l’Europe à un prix garanti de 523 euros la tonne. A l’avenir, ce sera presque un tiers de moins. Ce manque à gagner se chiffrerait à 115 millions d’euros et se traduirait par la perte d’un tiers des emplois directs dans l’industrie sucrière, soit 7000 postes. Sentant venir une telle réforme à Bruxelles, le secrétaire général de la Chambre d’agriculture mauricienne faisait part dès mercredi, de son «amère déception» et prédisait une situation «insurmontable pour l’industrie sucrière et l’économie mauricienne en général».

Dans leur revendication, les pays ACP reçoivent l’aide de quelques organisations non-gouvernementales. Ainsi l’ONG britannique Oxfam dénonce une réforme contraire aux «intérêts des plus pauvres».

Dans la réforme sucrière adoptée ce jeudi, les ministres de l’Agriculture des Vingt-cinq ont confirmé l’accès préférentiel de leur marché pour les pays en développement, et ils se sont engagés à aider ces pays à surmonter la baisse des prix du sucre. L'UE leur offrira 40 millions d'euros d'aide à la restructuration en 2006. Les aides ultérieures ne seront décidées qu'après un accord sur le futur budget européen 2007-2013. Mais cela ne suffira peut être pas à apaiser la colère des pays ACP. Porte-parole de ces pays, Navin Ramgoolam, Premier ministre mauricien, doit rencontrer les chefs d’Etat français et britannique dans les prochains jours.


par Olivier  Péguy

Article publié le 24/11/2005 Dernière mise à jour le 24/11/2005 à 17:41 TU