Etats-Unis - UE
«Prisons volantes»: Washington ne dément pas
(Photo : AFP/RFI)
«Les Etats-Unis réalisent que ce sujet inquiète l’opinion publique et les parlements en Europe et que ce sont des questions auxquelles il faudra répondre de la manière la plus complète et franche possible», a déclaré le porte-parole du département d’Etat, Sean McCormack. Le changement d’attitude est intervenu après une rencontre à Washington entre le chef de la diplomatie américaine, Condoleeza Rice, et le nouveau ministre allemand des Affaires étrangères, Frank-Walter Steinmeier.
En février dernier, deux hebdomadaires américains, Newsweek et le New Yorker, révélaient pour la première fois que la CIA (Central Intelligence Agency) avait affrété des avions civils pour transporter illégalement des prisonniers présumés terroristes vers des pays pratiquant la torture, tels que l’Egypte, la Jordanie, la Syrie ou le Maroc. Les journalistes américains affirmaient également qu’il s’agissait de vols avec escale sur des aéroports civils ou des bases militaires en Europe. Premier pays incriminé, l’Espagne où l’on avait observé des allers-retours à Palma de Majorque. Scénario similaire à Bucarest (Roumanie), à Skopje (Macédoine) ou encore à Shannon (Irlande). Début novembre, le Washington Post reprenait ces révélations, au sujet desquelles l’administration du président George W. Bush avait gardé un silence prudent, s’abstenant de confirmer ou de nier l’existence de prisons secrètes.
Hier, mercredi 30 novembre, le quotidien britannique The Guardian affirmait que plus de 300 avions utilisés par la CIA ont atterri en Europe. Assertion fondée sur des données fournies par les autorités américaines de l’aviation civile (FAA).
La lettre de l’UE à Condi Rice
Le ministre britannique des Affaires étrangères Jack Straw, dont le pays préside l’UE jusqu’à la fin de l’année, a précisé que la décision d’écrire à Mme Rice avait été prise, lundi, lors du conseil des ministres européens des Affaires étrangères qui se tenait à Berlin. Londres subit également la pression de l’association britannique de défense des libertés civiques Liberty. The Guardian rapporte dans son édition de mercredi les accusations de cette association selon lesquelles des avions civils utilisés par la CIA pour des opérations secrètes auraient survolé le territoire britannique ou fait escale en Grande-Bretagne à plus de 210 reprises depuis le 11 septembre 2001. Si les informations qui circulent «sont correctes, alors cela signifie que des crimes ont lieu sur le sol britannique», a déclaré à la BBC Shami Chakrabarti, directrice de Liberty.
Jack Straw, déjà interrogé par les députés sur ces vols américains, a affirmé «n’avoir pas connaissance de l’utilisation du territoire ou de l’espace aérien britanniques». Mêmes dénégations en Allemagne, au Portugal et dans la plupart des Etats membres de l’Union, toujours sur le mode du «pas vu, pas pris». Côté français, deux escales auraient été enregistrées. A l’utilisation d’aéroports européens viennent s’ajouter des accusations concernant l’existence de prisons secrètes en Europe de l’Est, notamment en Pologne et en Roumanie, ce que les deux pays contestent.
Bruxelles attend des «preuves»
Tout Etat membre convaincu de complicité implicite dans l’affaire des prisons volantes de la CIA sera sévèrement sanctionné. Le commissaire européen à la Justice Franco Frattini a indiqué, hier mercredi, que la Commission avait «un devoir institutionnel et un devoir moral de découvrir la vérité», tout en précisant qu’aucune accusation ne fera l’objet de sanctions en absence de preuves. L’autorisation de ces prisons par des Etats membres ou des pays candidats à l’UE serait, selon lui, passible de poursuites devant la Cour pénale internationale. Lundi, à Berlin, M. Frattini avait déjà menacé les Etats de l’Union de leur retirer leur droit de vote au Conseil européen.
Les socialistes européens pressent également la Commission d’agir. «L’existence de telles prisons constituerait une violation flagrante des droits de l’Homme et des critères de l’UE. Toute prison de ce type devrait être fermée immédiatement. Il est inacceptable que des dirigeants européens ne fassent rien alors que les informations continuent de circuler sur l’existence de camps de prisonniers et l’utilisation d’aéroports européens», s’est écrié Martin Schulz, président du groupe socialiste au Parlement européen.
Le directeur de l’Agence centrale de renseignement américaine, Porter Goss, n’a pas démenti, mardi, l’existence de prisons secrètes de la CIA en diverses parties du monde où seraient détenus des individus suspectés de terrorisme. Il a par contre formellement nié que les Etats-Unis, et donc la CIA, aient recours à la torture. La chaîne de télévision américaine ABC a diffusé un document sur les méthodes employées par les interrogateurs de la CIA pour faire parler les suspects : privation de sommeil, exposition au froid et même suffocation sont monnaie courante. Porter Goss a refusé de se «livrer à des commentaires sur des techniques individuelles qui ont été évoquées par certains (…)»
Les révélations de la presse ont suscité indignation et réprobation en Europe où il sera demandé à Condoleeza Rice de faire toute la lumière sur cet épineux dossier fort préjudiciable aux relations transatlantiques.
par Françoise Dentinger
Article publié le 01/12/2005 Dernière mise à jour le 06/12/2005 à 15:46 TU