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Maroc

Les enfants de la honte ont un refuge

Les enfants nés d'incestes jouent avec leurs nourrices dans le refuge qui leur est dédié.(Photo :  Gervais Nitcheu)
Les enfants nés d'incestes jouent avec leurs nourrices dans le refuge qui leur est dédié.
(Photo : Gervais Nitcheu)
Le Centre de l’enfance Lalla Amina est installé depuis près de dix ans à Taroudant, une petite localité située à environ 80 kilomètres de la très touristique ville d’Agadir. Il prend en charge, jusqu’à l’âge de 18 ans, des nourrissons abandonnés. Parmi ces pensionnaires, actuellement au nombre de 61, figurent beaucoup d’enfants appelés communément enfants de la honte. Au Maroc, il s’agit des enfants nés des rapports incestueux.

De notre envoyé spécial à Taroudant

Sur le pas de la porte d’entrée, se tiennent deux enfants, l’un sur une trottinette multicolore, et l’autre debout. Ils sont inconsolables. Ils pleurent, ils pleurent encore, ils pleurent toujours. «Ce n’est pas à vous, particulièrement, qu’ils en veulent; ils sont comme ça depuis leur arrivée; cela fait trois mois qu’ils sont ici », rassure une employée du Centre Lalla Amina, les cheveux couverts d’un voile noir. Et de confier, à voix basse : «Quand on les a recueillis, ils étaient dans un état lamentable, presque nus. Ce sont des enfants de la honte».

Au Maroc, les enfants de la honte sont des enfants nés des relations sexuelles entre membres d’une même famille. «Leurs géniteurs n’ont pas le courage d’assumer leur acte incestueux, ils n’ont pas le courage de regarder en face le fruit de leur acte ignominieux», assure un habitant de Taroudant, qui requiert l’anonymat, parce que le sujet est tabou et très sensible. Et ce d’autant plus que dans certains villages environnants, l’inceste a lieu avec l’aval des ascendants des jeunes auteurs. «Généralement, la fille est moins âgée que son frère, et elle est contrainte d’avoir des relations sexuelles avec ce dernier par ses propres parents, qui ne souhaitent pas qu’un étranger soit le premier à profiter du corps encore vierge et naïf de leur fille», explique le responsable d’une association de soutien aux orphelins.

Une vie de profonde tristesse

Il n’y a pas de statistiques officielles disponibles sur l’inceste au Maroc. Mais, selon plusieurs responsables d’associations locales, les rapports incestueux seraient un phénomène en pleine expansion dans la localité de Taroudant et ses environs. Ils en veulent pour preuve l’augmentation du nombre d’enfants de la honte accueillis, ces dernières années, dans le Centre Lalla Amina.

Situé à l’angle gauche d’une rue goudronnée, qui mène tout droit vers des quartiers populaires, cet établissement, vu de l’extérieur, affiche une fière allure. L’immense mur en béton de couleur ocre qui lui sert de clôture est d’une propreté peu ordinaire. A l’entrée, une plaque blanche sur laquelle sont inscrits le nom du centre et celui de la Ligue marocaine pour la protection de l’enfance. En revanche, à l’intérieur du centre, l’atmosphère est plutôt morose. Dans la cour, un silence de mort règne. Les tourniquets, les toboggans, les balançoires, les portiques et le manège qui y sont installés n’attirent personne. Pourtant, cet après-midi, le temps est plutôt ensoleillé, et donc propice aux activités en plein air.

Pour observer les premiers signes de vie humaine, il faut franchir la porte de l’une des trois maisons du Centre; une maison, construite en 1999 par la Fondation belge pour les orphelins du Maroc, dans le cadre d’un projet-pilote réalisé en partenariat avec la Ligue marocaine pour la protection de l’enfance. Dans le grand salon, certains enfants de la honte semblent supporter mieux leur statut. Pas de sanglots. Ils jouent avec un adolescent français en stage dans le centre, dans le cadre d’un programme d’échange avec une structure spécialisée dans l’aide à l’enfance, installée en Bretagne dans l’ouest de la France. Malgré la bienveillante attention que le bénévole leur porte, les enfants ont le visage marqué par la tristesse. Une tristesse qui tranche net avec le grand enthousiasme affiché par le personnel. Les employés du Centre Lalla Amina sont des Marocains, tous originaires de Taroudant. C’est la Fondation belge pour les orphelins du Maroc, qui a financé leur formation, assurée sur place par des enseignants spécialisés venus du Royaume de Belgique.

De l’affection aux enfants de la honte

Le personnel –deux assistantes maternelles, le directeur et son assistante– déploie, à longueur de journée, des trésors d’énergie pour rendre le sourire aux jeunes pensionnaires. Dans la chambre attenante au salon, les assistantes maternelles, en blouse blanche, plient des vêtements propres et secs et les posent sur un lit. Dans le même temps, elles multiplient des gestes d’affection en direction de quatre nourrissons assis autour d’elles: caresses sur les cheveux, sourire chaleureux, regard tendre. «Nous mettons tout en œuvre, pour pallier la carence d’affection dont ces enfants souffrent, du fait de la fuite de leurs parents. Nous essayons de faire en sorte qu’ils soient comme les enfants vivant avec leurs parents», explique une assistante maternelle. Et d’indiquer : «Nous avons été formées pour cela».       

Dans la deuxième et dernière chambre de la maison, des dizaines de berceaux rendent difficile le passage. Mais la pièce exiguë ne manque pas de charme. Une pléthore de jouets –des peluches sous toutes les formes: lapins, tortues, ours– orne les étagères disposées autour des lits. Un nourrisson de quatre semaines est installé dans l’un des berceaux. C’est le pensionnaire le plus récent.  «Nous venons de le récupérer. Il était dans un panier au bord de la route », explique Dafir, le directeur du Centre. Et de s’indigner : «C’est toujours comme ça, hélas! »   

par Gervais  Nitcheu

Article publié le 11/12/2005 Dernière mise à jour le 11/12/2005 à 14:02 TU