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Mali

L’or des multinationales

Contrôle de sécurité à l'entrée de la mine où les Maliens se disputent un emploi volatil.(Photo: Monique Mas/RFI)
Contrôle de sécurité à l'entrée de la mine où les Maliens se disputent un emploi volatil.
(Photo: Monique Mas/RFI)
En 2003, l’or a battu le coton dans le bilan comptable du Mali, en représentant 57% des exportations et 11% du Produit intérieur brut (PIB). Lancée au milieu des années quatre-vingt-dix, avec, en avant-garde, les multinationales basées en Afrique du Sud, AngloGold Ashanti et Randgold Resources, l’exploitation industrielle de l’or a laminé l’orpaillage traditionnel, qui occupe encore quelque 20 000 mineurs patentés et un nombre indéterminé de travailleurs clandestins. La ruée vers l’or a vu des Dogons quitter leurs falaises, des ouvriers qualifiés abandonner leur emploi en ville et des cohortes de chômeurs affluer des quatre coins du Mali. De leur côté, les multinationales passent d’un site à l’autre, exploitant les gisements dans la logique d’un marché où les actionnaires exigent un retour sur investissement rapide. Emploi volatil et retombées volages, villageois et mineurs restent laissés-pour-compte.

De notre envoyée spéciale

Deux multinationales, basées en Afrique du Sud, détiennent chacune 40% du capital de la mine d'or de Morila et l'Etat malien 20%.
(Photo: Monique Mas/RFI)
«Les étrangers ramassent l’or sous nos pieds. Mais ici, c’est pire qu’avant». Samba Mariko est furieux. Président de l’association villageoise de Sanso, il veut que cela se sache. La misère et le chômage n’ont pas reculé depuis l’ouverture, en juillet 2000, de la mine de Morila, à 280 kilomètres au sud-est de Bamako, dans la région de Sikasso, tout près des frontières du Burkina et de la Côte d’Ivoire. Pourtant, se rappelle le vieil homme, quand «ils sont arrivés», un autre Mariko, Djoting de son prénom, le maire de Sanso «avait bien prévenu les étrangers» que son village, qui rassemble 5 000 âmes, mais aussi les trois autres, Domba (2 000 habitants), Morila (400) et Fengola (1 000), comptaient sur l’emploi et le développement local annoncés par les autorités maliennes. Cinq ans plus tard, les tests d’embauche ratés et les emplois non-qualifiés distribués à d’autres, «par favoritisme», selon l’un des vieux pères, «aucun fils n’a été recruté» durablement, à l’issue des gros travaux initiaux.

Dans l’orbite des 250 kilomètres carrés du site minier et de son empilage d’entreprise à raisons sociales diverses, les villageois font leurs comptes. «La vie coûte plus cher», se plaint un troisième Mariko, chef du village de Morila. Les prix ont monté au voisinage des 84 expatriés et sous la pression de la consommation des 688 employés, inscrits dans les registres de Morila SA, avec des contrats de travail à durée plus ou moins déterminée. «Il n’y a plus de place pour les enfants dans les écoles surchargées» par la progéniture des travailleurs qui se sont succédé sur le site, ces cinq dernières années. «Avant Morila SA, il y avait plus de deux mètres d’eau en permanence dans les puits traditionnels», se plaint un autre chef. «Maintenant, ils sont souvent à sec et des fuites de cyanure dans le marigot ont tué des bêtes», accuse-t-il. Entre-temps, des villageois sont allés photographier la mare d’épandage des eaux usées de la mine, chargées de cyanure et d’arsenic, qui s’évaporent au soleil.

Le conflit social s’est aiguisé

Les villageois se plaignent de la pollution des eaux usées chargées de cyanure et d'arsenic, que la mine déverse dans son champ d'épandage.
(Photo: Monique Mas/RFI)
Pour les compagnies minières, «le vrai problème, c’est celui du capital», explique un responsable de la Rand Gold. Sa compagnie, plaide-t-il, a beaucoup investi, en recherche et en forage, avant de tirer profit des premières pépites extraites à Morila. Pour ce faire, une joint-venture associe depuis lors la Rand Gold à l’opérateur AngloGold Ashanti. Chacune des deux compagnies détient 40% du capital de la mine à ciel ouvert de Morila et l’Etat malien, 20%. Pour limiter la mobilisation de son capital propre, Morila SA sous-traite l’exploitation minière à la Société malienne d’exploitation (Somadex), une filiale de la Française Bouygues. La Somadex est le principal employeur des Maliens dans un périmètre minier où la main-d’œuvre est également ghanéenne ou philippine et où les 1 500 créations d’emploi affichées pour les cinq premières années d’exploitation doivent se comprendre comme des emplois tournants, avec un volant trois fois moindre de salariés mis en concurrence. Dans la logique du marché, la Somadex répugne bien sûr à s’engager durablement et multiplie les contrats à durée déterminée. Le gisement sera épuisé plus vite que prévu et les grandes compagnies se déplaceront sur un site plus juteux.

Les prévisions officielles annonçaient à Morila l’extraction de 120 tonnes de métal jaune d’ici 2012. Mais les quatre premières années d’exploitation ont permis de tirer quelque 87,3 tonnes d’or de Morila. Si les chiffres officiels sont exacts, c’est dire que la durée d’exploitation du gisement sera plus courte qu’annoncée. De l’avis des syndicalistes, cela permettrait aux grandes compagnies de profiter à plein du délai de franchise fiscale avant de partir ailleurs. Aux mineurs de suivre, s’ils le peuvent. Une perspective qui affole la plupart des employés de la mine, souvent en retard dans leurs cotisations retraites. En outre, à Morila, les employés de la Somadex réclament des primes de rendement dont ils n’ont pas vu la couleur malgré, disent-ils, «des cadences infernales de douze heures par jour» qui devraient permettre aux exploitants d’en finir avec la mine deux fois plus vite qu’annoncé. D’après leurs calculs, leur manque à gagner serait de 17 milliards de FCFA (un peu plus de 26 millions d’euros). En 2003, une juridiction malienne ad hoc a reconnu leurs droits à la prime de rendement. En vain. Le conflit social s’est aiguisé en janvier 2005 avec l’élection d’un Comité syndical Somadex.

Sous le manguier centenaire, les villageois se désolent : «Aucun fils n'a été recruté par la mine».
(Photo: Monique Mas/RFI)
De 18 à 77 ans, les hommes venus des quatre villages du périmètre minier occupent l’ombre du manguier centenaire. En face, des femmes forment la rangée sévère des épouses de chômeurs. «La mine tue nos enfants», reprend Samba Mariko. «Chercher de l’emploi à la mine, c’est devenu pour eux un travail à plein temps. Ils passent leur temps à se balader entre la mine et le village», fulmine-t-il. Les espoirs locaux noyés dans le mirage de l’or, les villageois sont aujourd’hui le dernier soutien des salariés originaires d’autres régions du Mali et qui ont été licenciés en juillet dernier par la Somadex, pour «abandon de poste», parce qu’ils refusaient, assurent-ils, de signer un nouveau contrat d’embauche à durée déterminée, après trois jours de grève.

Un bilan comptable sur papier glacé

«Nous avons aussi à charge les familles des huit grévistes toujours emprisonnés à Bougouni», ajoute Samba Mariko. La prison est à plus d’une centaine de kilomètres de Morila, par piste et bitume, c’est-à-dire au bout du monde pour les familles. Pour sa part, le secrétaire général du comité syndical est parti se terrer à Bamako. Son numéro deux est en prison. Lui-même a été libéré sous caution. Les syndicalistes ont cotisé. Mais de nouvelles charges ont été lancées contre lui. Les caisses de solidarité syndicales sont vides et la colère est grande. «Je loue une maison à ce vieil homme, s’emporte l’un des grévistes licenciés, je ne peux plus le payer. Je ne suis pas d’ici, mais je ne peux même plus repartir, c’est comme si je l’égorgeais pour lui prendre son argent». Fasséri aura 27 ans cette année. Electricien de métier, il est venu de Bamako. A la mine, dit-il, «on nous traite comme des animaux. Mais si notre gouvernement est complice, qui va nous défendre ?»

«C’est politique, ça se passe entre Maliens», tranche un responsable de la Somadex à propos du conflit social. A charge donc pour l’Etat malien de gérer le désarroi de ses administrés. Les compagnies minières ne sont pas au Mali pour faire du social. A défaut du capital nécessaire pour investir en savoir-faire et en matériel, l’Etat malien perçoit des royalties (1,4 milliard de francs CFA soit 2,15 millions d’euros en 2005) et des patentes (437,77 millions de CFA en 2005 soit environ 675 000 euros). Des miettes, au regard des quelque 292 000 CFA (444,5 euros) l’once d’or fin mis en lingot à Morila, à raison de quelque 3,3 millions d’onces officiellement produites depuis juillet 2000, dont plus d’un million en 2002. Des chiffres dont la validité repose sur la seule confiance mutuelle.

Affichant le montant de ses redevances à l’Etat malien, la joint-venture anglo-sud-africaine revendique aussi sa transparence avec un bilan comptable sur papier glacé. Il indique des «paiements aux compagnies maliennes» auxquelles les partenaires étrangers ont laissé une petite place au soleil (121, 5 milliards de CFA en cinq ans), mais aussi les débours en salaires versés à des Maliens (8,1 milliards de CFA en cinq ans), les redevances sociales (5,2 milliards) ainsi que les investissements en infrastructures et en micro-projets sociaux (548,6 millions de CFA entre 2001 et 2004). Cela ne suffit pas au bonheur des Maliens qui ont commencé à prendre les leçons de la lutte sociale sur le carreau des mines.

Dégoûté de Morila, mais fort d’une spécialité recherchée, Ahmadou a déjà trouvé du travail à l’étranger. Pour sa part, Moussa le taximan a déjà donné. Des mines, il ne veut plus entendre parler, depuis son départ de Sadiola, dans l’Ouest. Avec ses compagnons d’infortune, plus ou moins recyclés, il attend toujours les indemnités de licenciement promises par le juge. A Loulo, au Nord, la colère des mineurs a fait couler le sang ces dernières semaines. La flexibilité pratiquée dans les mines transforme le marché du travail en foire d’empoigne, pour des salaires entre 60 000 et 150 000 CFA (entre 92 et 230 euros) par mois, jusqu’à 600 000 CFA pour une poignée d’élus.

Les multinationales de l’or ont fait, en quelque sorte, du Mali leur obligé. Elles estiment n’avoir aucun autre compte à rendre aux Maliens que ceux qu’elles affichent en quadrichromie dans les prospectus destinés aux visiteurs. Leurs résultats ont hissé le Mali au quatrième rang des producteurs africains d’or jaune. Ils n’ont pas pour autant fait grimper au Mali le moindre échelon du commerce mondial. L’essentiel des recettes aurifères alimentent des comptes en banque privés, à l’étranger. A charge en revanche, pour les autorités maliennes, de contenir la crise sociale.


par Monique  Mas

Article publié le 13/12/2005 Dernière mise à jour le 13/12/2005 à 17:24 TU