Photographie
Le paradis perdu de Sebastião Salgado
Brésil 1986.
(Photo : Sebastião Salgado)
On pourrait opposer quelques photos deux par deux : par exemple celle d’une queue de baleine qui surgit au centre de la photo comme un papillon posé entre ciel et mer (Baleine franche australe, Péninsule Valdès, Patagonie, Argentine, 2004), et celle d’une colonne de fourmis humaines agrippées au rocher dans une sorte d'enfer de Dante : les hommes, par centaines, creusent toujours plus profond pour trouver de l’or (Vue générale de la Mine d’or de Serra Pelada, Etat de Para, Brésil, 1986) ; on pourrait aussi mettre en perspective celle qui montre des otaries se prélassant à l’ombre de rochers géants érodés pendant des millénaires (Otaries sur l’île de Santiago, Archipel des Galapagos, Equateur, 2004) et celle d’un ouvrier échoué dans la boue comme un oiseau mazouté parce qu’un souffle de gaz échappé du puits lui a fait perdre connaissance (Gisement de pétrole du Grand Burhan, Koweit, 1991).
Derrière chaque photo, un discours. Le propos central du photographe est de raconter en noir et blanc -sa grammaire photographique préférée- combien l’homme a perdu son harmonie originelle avec la nature. S’il reste encore 46% de la planète qui ne sont pas abîmés, donner à voir les vastes territoires encore épargnés peut favoriser la prise de conscience et nourrir la réflexion sur la dictature du soi-disant progrès. Genesis est le nom de baptême du projet sur lequel travaille actuellement Sebastião Salgado, un titre emprunté au grec genesis (« naissance »). S’appliquant depuis plus de trente ans à démontrer la corrélation qui existe entre les dégradations de la condition humaine et les dégradations environnementales, Sebastião Salgado déclare que, avec ce projet, il est « en train de refermer un cycle avec une dimension philosophique énorme ».
« Si j’arrive à montrer la dignité de la nature, j’aurai atteint mon but »
Economiste de formation, Sebastião Salgado laisse parler les photos pour dénoncer, de manière militante, les effets pervers de la recherche du profit : les déforestations, les exploitations acharnées et anarchiques des richesses du sol déséquilibrent l’écosystème et chassent les hommes de leurs lieux de vie originels. Les mégalopoles poussent comme des champignons et les hommes du prolétariat urbain sont contraints à vivre de manière inhumaine dans des enchevêtrements de poteaux de fer, de tuyaux et de béton (Istanbul, Turquie, 1999) ; les familles, menacées par les guerres et décimées par la famine, sont désintégrées, des bébés sont parfois abandonnés (Quartier de Pacaembu, São Paulo, Brésil, 1996).
Sebastião Salgado théâtralise de manière esthétique la réalité à laquelle il est confronté, même lorsqu'elle est tragique. Certains lui ont reproché, d’autres lui savent gré, au contraire, d’avoir rendu hommage aux « Damnés de la terre ». Après avoir saisi la condition humaine dans tous ses états de souffrance, d’exil et de désespoir, Sebastião Salgado ne prête désormais plus le flanc à la polémique : il se tourne davantage aujourd’hui vers la nature, la faune, la flore. « Si j’arrive à montrer la dignité de la nature, j’aurai atteint mon but », déclare le photographe.
Si l’objectif s’invite toujours chez les hommes, c’est pour susciter un retour à la conscience de nos origines. Les tribus indiennes Kuikoros, les Kamayuras, les Wauras : Sebastião Salgado part à la rencontre des tribus sédentarisées vivant encore comme il y a quelque 5 000 ans. Vision idyllique: ici, nimbés d’une lumière qui irradie entre les feuillages épais d’une forêt luxuriante, des Indiens partagent une vie préservée de toute civilisation (Etat d’Amazonas, Brésil, 1998); là, paisiblement couché dans l’eau du rivière, un Indien semble en totale harmonie avec la nature matricielle originelle (Village d’Indiens yanomamis, Etat de Roraima, Brésil, 1986). Paradis perdu, mais pas totalement enseveli : « l’exposition explicite ce cheminement jusqu’à ma focalisation sur l’état actuel de la planète ».
par Dominique Raizon
Article publié le 06/01/2006 Dernière mise à jour le 06/01/2006 à 15:07 TU
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RFI
L'exposition de Sebastião Salgado se tient jusqu'au 15 janvier 2006.