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Tchad

Embarras tchadiens à la veille du sommet de l'UA

Le président Deby paraît aux abois.(Photo : AFP)
Le président Deby paraît aux abois.
(Photo : AFP)

Le sommet de Khartoum est toujours à l’ordre du jour du 23 au 26 janvier prochain sur le site de l’Union africaine (UA). Le président tchadien, Idriss Deby, multiplie pourtant les accusations, les appels du pied et les préalables pour déranger le projet de consécration, à la tête de l’institution panafricaine, du président soudanais, Omar al-Bachir. Après avoir dénoncé la main de Khartoum derrière les déserteurs tchadiens qui opèrent à l’Est du Tchad, Idriss Deby somme le Soudan de les désarmer. A défaut d’avoir pu convaincre ses pairs de renoncer à Khartoum, le président tchadien s’efforce de jouer des inimitiés régionales et de prendre l’UA à témoin.


Le 4 janvier dernier, Idriss Deby n’a pas reçu le soutien espéré de la Communauté économique et monétaire des Etats de l'Afrique centrale (Cémac). Il l’avait pourtant conviée à N'Djamena, toutes affaires cessantes, entraînant de ce fait le report d’un mini-sommet africain prévu à Tripoli pour une tentative de conciliation avec son adversaire soudanais Omar al-Bachir, à l’invitation du président Kadhafi, sous l’égide du président en exercice de l’UA, le Nigérian Olusegun Obasanjo, et en présence des présidents centrafricain François Bozizé et érythréen Issaias Afeworki. La Cemac s’étant contentée, à N'Djamena, de renvoyer prudemment la querelle tchado-soudanaise à l’UA, c’est finalement sur le registre des sommations que le président tchadien a fait samedi le voyage de Tripoli, où il a rencontré Mouammar Khadafi, en présence de François Bozizé et du président de la Commission de l’UA, le Malien Alpha Oumar Konaré.

«S'agissant d'une prochaine rencontre impliquant le Soudan, le président Idriss Deby a soumis quatre préalables», indique le porte-parole du gouvernement tchadien, Hourmadji Moussa Doumgor, en énumérant une série d’injonctions. Le Soudan «doit désarmer les déserteurs de l'armée tchadienne et les autres groupes armés sur son territoire», dit-il, en ajoutant que Khartoum «doit remettre les déserteurs armés à la disposition du Haut commissariat aux réfugiés», mais en outre, le Soudan «doit mettre fin aux incursions criminelles des milices soudanaises en territoire tchadien et il doit dédommager les 614 victimes tchadiennes des différentes attaques des milices soudanaises et des milliers de têtes de bétail razziés», a-t-il poursuivi, dans le silence assourdissant de Khartoum qui nie tout, en bloc.

Etat de belligérance

Depuis le 23 décembre dernier, N'Djamena s'est déclaré «en état de belligérance» avec son voisin, accusé d’avoir fomenté quelques jours plus tôt une attaque de la rébellion tchadienne contre la ville frontalière d'Adré. Le président Deby s’était alors prévalu d’un droit de poursuite pour faire une incursion militaire au Soudan. Vendredi dernier, il accusait à nouveau Khartoum d’avoir lancé ses milices arabes djandjawid à l’assaut de trois localités de l'est du Tchad. Aujourd’hui, le porte-parole tchadien estime que N’Djamena «s’est expliqué preuves à l'appui quant à l'agression du Soudan et a mis l'UA face à ses responsabilités». Il compte cette fois sur la Libye, la Centrafrique et l’Erythrée en affirmant qu’à Tripoli, «toutes les délégations se sont accordées à reconnaître que la persistance des tensions entre le Soudan et ses voisins et la non résolution de la crise du Darfour posent des problèmes auxquels le président al-Bachir devrait préalablement répondre».

Pour sa part, le président al-Bachir continue ostensiblement à lancer les invitations au sommet de Khartoum. La dernière en date a été officiellement reçue par son pair pétrolier de Guinée-Equatoriale, Teodoro Obiang Nguema, qui s’était fait très diplomatiquement représenter à N’Djamena début décembre, au sommet de la Cemac, laissant jusqu’à présent Idriss Deby remettre seul en cause la présidence de l’UA promise à al-Bachir et taisant son idée de garder le sommet à Abuja. Pour faire bonne mesure, un responsable militaire soudanais accusait ce week-end des Tchadiens d’avoir tué un casque blanc de l’UA et d’en avoir blessé plusieurs autres au cours d’un accrochage au Darfour, près de la frontière tchadienne. Cette fois, le démenti est tombé de l’un des groupes rebelles qui combattent au Darfour et que Khartoum accuse tout ou partie de l’armée tchadienne de soutenir. Entre le Tchad et le Soudan, c’est toujours parole contre parole.

Le capharnaüm militarisé du Darfour avait déjà révélé ses capacités de nuisance lorsque, en juillet 2004, l’UA avait décidé de confier, l’année suivante, sa présidence tournante au Soudan. Khartoum refermait alors sa longue page de guerre avec les Sudistes de John Garang. Concernant le Darfour, où le Conseil de paix et de sécurité de l’UA ne voyait pas d’épuration ethnique, un cahier de recommandations devait suffire. Mais entre-temps, l’organisation panafricaine a décidé de tenir chaque année deux sommets au lieu d’un. Son président en exercice, Olusegun Obasanjo inaugurant donc à Abuja, les 30 et 31 janvier 2005, le premier de ces sommets «à mi-parcours» et se préparant à passer le relais à Omar al-Bachir, non plus en juillet 2005, mais en janvier 2006.

Appels à la conciliation

Depuis juillet 2004, la situation s’est détériorée au Darfour où l’UA entretient désormais quelque 6 000 casques blancs. Elle s’est encore plus détériorée à la frontière tchado-soudanaise, où les deux pays s’accusent mutuellement d’intervenir militairement. Aujourd’hui, Idriss Deby refuse d’aller à Khartoum pour le sommet de l’UA, sauf à ce que Omar al-Bachir obtempère officiellement à ses injonctions, c’est-à-dire, de fait, qu’il reconnaisse ce qu’il a toujours nié. Idriss Deby n’a guère de raisons de croire à semblable retournement de situation. Mais il est visiblement aux abois. Si l’on en croit les observateurs, un mouvement de rassemblement des différentes rébellions tchadiennes serait en cours. Et, quoi qu’il en soit, le régime Deby est fragilisé par la vague de désertion qui effrite son propre clan.

Jusqu’à présent, en réponse à sa campagne diplomatique, le président tchadien n’a pas obtenu le soutien international franc et massif qu’il espérait, plutôt des appels à la conciliation. Il s’est même mis en froid avec la Banque mondiale, en faisant valoir ses soucis économiques et sécuritaires pour consommer les subsides pétroliers voués aux «générations futures». Dans le camp adverse, le Soudan est un enjeu pétrolier international que la Chine dispute aux Occidentaux. En Afrique, il ne manque pas non plus de moyens pour convaincre. De son côté, l’UA a maintes raisons économiques et diplomatiques de songer surtout à éviter que le conflit tchado-soudanais fasse de trop grosses vagues dans ses rangs. En la matière, Olusegun Obasanjo ne manque ni d’expérience, ni d’entregent.


par Monique  Mas

Article publié le 09/01/2006 Dernière mise à jour le 10/01/2006 à 18:51 TU