Tchad
Guerre à la frontière soudanaise
(DR)
La pomme de discorde frontalière est consommée. Après les échanges diplomatiques musclés engagés depuis la mutinerie de mai 2004 et, surtout, après la vague de désertions d’octobre dernier, N’Djamena montre Khartoum du doigt, pour expliquer la rébellion qui s’organise dans l’Est frontalier du Soudan, en pays zaghawa, la terre d’origine d’Idriss Déby. Ahmat Allami affirme ainsi que les combattants du RDL sont «entretenus et équipés comme une composante de l'armée soudanaise». Leur chef, le capitaine Mahamat Nour, serait même «un familier du président» soudanais Omar al-Bachir. Ce dernier aurait pris ombrage des médiations tchadiennes dans le Darfour soudanais, où les Zaghawa et les Four subissent les foudres des miliciens arabes gouvernementaux, les janjawid. Aujourd’hui, Idriss Deby l’accuse de déstabiliser son pays et de faire «peser une lourde menace sur la paix et la sécurité dans la sous-région».
Casus belli
Vus de N’Djamena, déserteurs et rebelles de l’Est tchadien sont d’autant plus un casus belli avec le Soudan que «le tyran Déby» a des raisons multiples de s’inquiéter. Des lézardes menacent d’écroulement sa maison militaire, désertée par des mécontents en quête d’aventure militaire. Certains se sont engagés au RDL, d’autres au Scud (Socle pour le changement, l’unité nationale et la démocratie). Le vent zaghawa semble tourner pour le chef de l’Etat. Et cela, au moment où lui-même espère sanctuariser ses positions pétrolières en faisant sauter l’article constitutionnel qui lui interdisait de briguer un troisième mandat.
Quelle qu’en soit la teneur triomphale, les nouvelles venues de la lointaine Adré ne sont pas bonnes. Elles sont l’expression d’une montée d’adrénaline belliqueuse qui se répand des deux côtés de la frontière soudanaise, dans une région très fortement militarisée. Selon le général tchadien, Kalifa Weddeye, qui a commandé les opérations du week-end dernier, des troupes du RDL auraient fait une entrée remarquée à Adré dimanche matin, «à bord de 50 véhicules». «Nous les avons repoussés et nous les avons poursuivis sur cinq kilomètres à l'intérieur du Soudan, puis nous sommes rentrés» au Tchad, indique le général, qui assure aussi avoir repoussé une deuxième offensive rebelle, dans l’après-midi du 18 décembre.
Le correspondant de l’Agence France Presse (AFP) affirme avoir vu «une vingtaine de cadavres qui jonchaient le sol et portaient un brassard rouge, signe distinctif des rebelles selon les autorités» militaires qui lui ont fait faire «un tour de la ville», lundi. Pour sa part, le général Kalifa Weddeye revendique 180 morts, plusieurs blessés et une soixantaine de prisonniers côté rebelles. Selon son bilan, la bataille aurait fait sept morts et 17 blessés dans les rangs gouvernementaux. Toujours selon l’AFP, sur la douzaine de prisonniers présentés dès lundi à la presse, deux se sont présentés comme des déserteurs de l'armée tchadienne, quatre comme des rebelles du RDL et les autres comme des Soudanais enrôlés de force.
Nul doute que les désertions de militaires, mais aussi les défections politiques récentes ont affecté le régime Déby. Le dernier camouflet en date remonte à début décembre, lorsque les jumeaux Tom et Timane Erdimi, influents neveux du président ont annoncé leur intention de «faire partir très rapidement Idriss Déby du pouvoir». Visiblement, le traitement «en interne» - habituellement réservé aux convulsions des premiers cercles militaro-politiques du pouvoir - ne suffit plus. N’djamena accuse Khartoum d’être «totalement responsable» des événements d’Adré et qualifie le RDL de «milice utilisée par le gouvernement soudanais». Khartoum s’en défend, bien évidemment. «Nous n'avons jamais soutenu et nous ne soutiendrons jamais les rebelles tchadiens», jure le gouverneur du Darfour du Nord, Osman Youssouf Kibir.
Ces derniers temps, Khartoum avait à plusieurs reprises dénoncé des violations de sa frontière terrestre et de son espace aérien par l'armée tchadienne. N’djamena avait démenti. Aujourd’hui, le Tchad revendique au contraire son incursion dominicale. Et il en promet d’autres. Reste que pour Idriss Deby, l’essentiel se joue dans son propre camp, ou ce qu’il en reste. Or son vivier zaghawa s’effiloche. Pire encore, il menace de passer à d’autres, avec ou sans le concours de Khartoum.
par Monique Mas
Article publié le 20/12/2005 Dernière mise à jour le 20/12/2005 à 18:29 TU