Kenya
Le nord livré à la sécheresse et l’insécurité
(Photo : Hilaire Avril/RFI)
De notre envoyé spécial dans le nord du Kenya
Au Kenya, où 80% de la population vit de l’agriculture, c’est la moitié nord du pays qui souffre. Même pour ces plaines « arides et semi-arides », selon la formule consacrée par le ministère kenyan du Développement régional, la sécheresse actuelle est exceptionnelle, peut-être pire que les trois dernières de 1992-93, 1996-97, et 2001.
Pourtant, sur les hauts plateaux tempérés de la moitié sud du Kenya, les pluies ont été particulièrement clémentes cette année. A l’ouest, la récolte de thé atteindrait même un record historique en 2005. Le gouvernement a bien annoncé l’achat de leurs surplus de maïs, pois et céréales, aux fermiers kenyans, pour les redistribuer. Mais ces achats ne seront réglés qu’en avoirs certifiés par le Trésor public, et non pas en argent liquide. La mesure provoque la fureur des agriculteurs, dont certains ont refusé de vendre leurs récoltes.
C’est à partir d’Isiolo, à 300 km au nord de la capitale, que la sécheresse commence à se faire sentir. Dans le grand marché, le prix d’une vache est passé de 12 000 à 5 600 shillings (60 euros) en un an. C’est d’ici que partent la piste du Nord, qui rallie l’Ethiopie, et celle de l’Est, qui finit en Somalie. Ce sont les moins entretenues et le plus dangereuses du pays.
« Bandits en uniformes »
Quelques tonnes de maïs ont déjà été acheminées vers les hangars de la Commission nationale des céréales, à Isiolo, pour distribution plus au nord. Mais la Commission ne couvre pas les frais de transport. C’est donc l’ONG ActionAid qui paie les transporteurs locaux pour livrer les sacs de jute de 90 kilos aux villages les plus affectés.
Une opération périlleuse, dans ces régions difficilement accessibles et faiblement policées. Plusieurs convois ont été intégralement pillés par des nomades lourdement armés. Selon la presse locale, certaines embuscades seraient montées par des « bandits en uniformes de l’armée ». La police administrative est responsable de la protection des convois. Mais la sécurité est chère : 10 euros par soldat, et près de cent euros par véhicule. Des tarifs exorbitants dans ces régions - les plus pauvres du Kenya - dont les autorités font peu de cas : « ces nomades, des bons à rien, des animaux… », ironise un sergent de la police administrative d’Isiolo en faisant claquer une matraque contre sa cuisse.
Pour Aden Girma, le logisticien d’ActionAid à Isiolo, l’insécurité n’est pas surprenante : « avant, les anciens des clans réglaient les disputes. Mais leur autorité a disparu avec l’institution des chefs de villages, nommés par le gouvernement ». Ces chefs administratifs sont une création coloniale, imposée à des tribus traditionnellement dirigées par les assemblées d’anciens. Le Kenya a pourtant retenu cette institution après l’indépendance en 1963.
100 vaches pour un homme, 50 pour une femme
Certains clans ont bien tenté de ré instituer des mécanismes de médiation entre tribus, telle que la Déclaration de Modogashe, signée en 2001 non loin d’Isiolo. Les Anciens se sont engagées à instituer un barème de compensation uniforme, pour mettre fin aux raids incessants entre leurs tribus: la mort d’un homme vaut 100 vaches, celle d’une femme, 50 vaches. « C’était une très bonne idée », affirme Girma, « si c’était appliqué, nous aurions la paix ». Mais ce barème introduit une discrimination entre les hommes et les femmes, dont la Constitution kenyane proclame pourtant l’égalité. De plus, la police n’a jamais fait respecter ce système, resté lettre morte.
Les convois sont donc livrés à eux-mêmes, ce qui limite leur rayon d’action. A Sericho, la ville la plus touchée de la région, il n’y a eu que deux livraisons depuis septembre. Ali Duba, l’instituteur, n’a pas pu rouvrir l’école primaire – pourtant gratuite – pour la rentrée de janvier. « Sur plus de 500 élèves, il n’en reste que 25. Les autres sont partis avec leurs parents chercher des herbages pour leur bétail. » Des huttes de paille démontées, soigneusement pliées puis amarrées en hauteur dans les arbres attestent des nombreux départs.
Le cheptel a commencé à mourir il y a trois mois. Prévoyant sa retraite imminente, Duba a emprunté à la coopérative des instituteurs il y a un an: « 200 000 shillings (plus de 2 000 euros) pour acheter 258 chèvres. Il ne m’en reste que 28, les autres sont mortes de soif. Je ne sais pas comment je vais les rembourser ».
Les habitants qui n’ont pas migré à la recherche de pâturages attendent les prochaines pluies, prévues pour mars. En attendant, ils limitent leur consommation d’eau. Certains ont plus de mal que d’autres, explique le chef administratif de Sericho : « C’est ironique, mais les riches sont plus vulnérables que les pauvres, parce qu’ils n’ont pas de métier leur permettant de survivre quand le bétail meurt ». Et il y a longtemps que l’argent n’a plus cours dans les boutiques vides.
par Hilaire Avril
Article publié le 18/01/2006 Dernière mise à jour le 18/01/2006 à 11:19 TU