Koweit
Le Cheikh Sabah, nouvel émir

(Photo : AFP)
L’actuel Premier ministre, le Cheikh Sabah al-Ahmad al-Sabah, devrait être nommé mercredi émir par un vote du Parlement après avoir été désigné par son gouvernement. Celui qui dirige de facto depuis plusieurs années le pays étant donné la santé défaillante du Cheikh Jaber décédé le 15 janvier, a pesé de tout son poids pour la destitution du Cheikh Saad Al-Abdallah Al-Sabah survenue le 24 janvier.
Homme fort, le Cheikh Sabah est considéré par tous et depuis longtemps comme le véritable dirigeant du pays. Présenté comme réformiste, tant sur les plans politique et économique, l’homme est populaire dans son pays. La grande majorité des membres de la famille régnante le soutient. Il a l’appui sans réserve de son gouvernement. C’est en toute logique qu’il a choisi par son gouvernement et devrait l’être mercredi par le Parlement. Cette décision brise la tradition de partage du pouvoir entre deux branches de la famille royale depuis deux siècles.
Mais une question demeure : comment le Cheikh Sabah, qui a, somme toute, 76 ans et n’est pas à l’abri de problèmes de santé, deviendrait prince héritier en demeurant Premier ministre ?
En attendant la succession de la succession dans ce riche émirat arabe pétrolier qui détient 10 % des réserves mondiales, les prérogatives de l’émir avaient été, pour un moment, provisoirement transférées au gouvernement koweïtien. C’est ce que la loi de ce pays stipule : «En l'absence d'un prince héritier, le conseil des ministres exerce les prérogatives de chef de l'Etat dans l'attente du choix d'un émir en vertu de l'article 4 de la Constitution et de l'article 4 de la loi sur la succession», avait indiqué le président du Parlement.
Emir grabataire destitué
La succession a été difficile, après la destitution par le Parlement du prince héritier. Le Cheikh Saad Al-Abdallah Al-Sabah, 75 ans, était monté sur le trône du Koweït depuis le 15 janvier. Il avait succédé naturellement à son cousin, le Cheikh Jaber al-Ahmad al-Sabah, officiellement âgé de 79 ans et mort le 15 janvier après 28 ans de règne des suites de longues maladies, victime d’une hémorragie cérébrale survenue en septembre 2001. Cette alternance du pouvoir se pratiquait dans ce pays depuis deux siècles au sein de la famille de l’émir, la dynastie al-Sabah, la règle voulant que les deux branches de cette lignée royale, les Jaber et les Salem, alternent consensuellement au pouvoir.
Mais le Cheikh au pouvoir éphémère, 10 jours, très âgé, était presque aussi malade que celui qu’il remplaçait. Sa santé se détériorait rapidement depuis un cancer du colon découvert en 1997, le paralysant en partie après une hémorragie interne. Nommé dans l’espoir d’éviter des dissensions au sein de la famille régnante et pour rassurer les investisseurs sur la stabilité de l’émirat, mais de santé fragile, il inspirait l’appréhension de la presse arabe qui ne voyait pas cet homme grabataire prêter serment. Or le serment est la condition nécessaire pour qu’un émir assume ses fonctions. Du coup, sentant son heure venir et peut-être pour anticiper la décision du Parlement, l’émir a eu la tentation de prendre tout le monde de vitesse, en voulant prêter serment d’urgence.
Cette insistance du Cheikh à vouloir gouverner malgré une santé défaillante a plongé le Koweït dans une crise politique sans précédent, ce qui a retardé le traitement des dossiers importants. Le débat sur un projet d’investissement pétrolier pour un montant de 8,5 milliards de dollars, en partenariat avec des compagnies étrangères, était en souffrance depuis le 15 janvier.
Pour sortir de cette crise, le Parlement a invoqué publiquement l’incapacité de l’émir à gouverner. Du jamais vu dans l’histoire du pays : en dépit de la résistance du Cheikh Saad, les parlementaires ont prononcé sa destitution, après une session extraordinaire reportée à deux reprises. Motif : les informations en provenance du Gouvernement affirmant avoir les preuves que « Sa majesté n’a plus les facultés pour exercer ses prérogatives constitutionnelles». Pour la première fois dans l’histoire de l’émirat, le gouvernement venait d’affirmer publiquement que l’émir n’était pas en état de gouverner. Ce verdict du conseil des ministres avait été émis à la suite d’un accord des 12 clans rivaux de la famille régnante, regroupés autour du Cheikh Sabah, l’actuel Premier ministre, afin que celui-ci succède à l’invalide prince qui n’aura régné que dix jours.
Cette décision pesait depuis quelques jours sur l’issue des évènements, conduisant le Cheikh à abdiquer, sous la menace d’une destitution du Parlement, en application de la loi koweïtienne sur la succession.
Le délai supplémentaire réclamé par le Cheikh Saad n’aura pas suffit : le Parlement l’a bel et bien destitué pour raisons de santé. "Comme cette lettre d'abdication n'est pas arrivée, le Parlement a donné lecture (...) au rapport médical sur la maladie de son Excellence l'émir et après s'en être assuré, il a pris la décision" de le destituer, a déclaré M. Khorafi, président du Parlement. La lettre d’abdication est arrivée après la destitution, a-t-il ajouté.
Limites du modèle politique koweïtien?
Cette destitution d’un émir est une première au Koweït et la première d’un souverain d’une monarchie constitutionnelle dans cette région. La crise politique koweïtienne pourrait donc être l’occasion de redéfinir la séparation des pouvoirs entre le Parlement, le gouvernement et la famille régnante. Les deux branches principales de la famille princière et ses cinq clans ou sous-familles sont importantes dans les choix politiques de ce pays.
Il n’y a ni crise politique, ni de crise de régime au Koweït. L’opinion publique est calme. Dans cette région, l’émirat est doté d’un modèle original : le mandat accordé par les élites à la famille régnante exige l’aval du Parlement sur tous les dossiers, même s’il s’agit de compromis.
par Gaëtane de Lansalut
Article publié le 24/01/2006 Dernière mise à jour le 25/01/2006 à 10:18 TU