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Koweït

La crainte d’Al Qaïda gagne l’émirat

Les forces de sécurité sont en alerte à Koweit City.(Photo : AFP)
Les forces de sécurité sont en alerte à Koweit City.
(Photo : AFP)
La multiplication des fusillades, tentatives d’attentats et arrestation d’islamistes révèle une dérive inquiétante de cette monarchie parlementaire. Un nouvel engagement armé entre islamistes armés et forces de sécurité, le second en vingt-quatre heures et le quatrième en un mois, a fait plusieurs morts et blessés dans chaque camp, dont un ressortissant saoudien.

Le Koweït est-il en train de subir une évolution à la saoudienne ? Depuis plusieurs mois, l’émirat est secoué par des attentats, des fusillades, des arrestations d’islamistes présumés plus ou moins liés à Al Qaïda.

La situation s’est considérablement dégradée ces trois dernières semaines. Ce lundi, cinq islamistes présumés et quatre autres arrêtés lors d’un affrontement avec les forces de l’ordre, dans la région de Qouraïn, à 25 kilomètres au sud de la capitale. La veille, une autre fusillade avait fait trois morts (un islamiste, un policier, et un ressortissant bahreïnien) à Salmiya, dans la banlieue est de Koweït. Le 10 janvier, des affrontements avaient causé la mort d’un suspect saoudien dans la zone frontalière avec l’Arabie Saoudite. Plusieurs arrestations s’en étaient suivi, le ministre de l’Intérieur, cheikh Nawaf al Ahmad Al Sabah évoquant l’appartenance des suspects à un «groupe organisé», citant expressément Al Qaïda.

Ce lundi, c’est le chef spirituel du groupe, Amr Khalaïf Al Enezi, en fuite depuis plusieurs semaines, qui a été arrêté.

Certes, au cours de sa courte histoire, le Koweït a déjà traversé des vagues terroristes. En 1983, des attentats suicides au camion-piégé, inspirés par l’Iran, visaient à faire payer à l’émirat son soutien financier et politique à l’Irak ; en 1985, l’émir a échappé de justesse à une tentative d’assassinat ayant probablement les mêmes commanditaires. Dans les années précédentes, des attentats attribués à Abou Nidal avaient également visé le Koweït. Enfin, le traumatisme de l’invasion de l’émirat par l’Irak le 2 août 1990 est toujours présent à l’esprit des Koweïtiens, de même que les exactions auxquelles se sont livrées les soldats irakiens durant l’occupation.

Une quinzaine d’officiers arrêtés

Cependant, le terrorisme dont a souffert le Koweït dans le passé, était pour l’essentiel «importé». Le plus inquiétant pour les autorités de l’émirat, qui n’ont pas marchandé leur soutien aux Américains avant, pendant, et après la guerre d’Irak, est que nombre de ces terroristes sont des citoyens koweïtiens parfaitement bien intégrés à la société de l’émirat. Plus inquiétant encore, alors que ces dernières années, quelques incidents isolés avaient impliqué des policiers ou des militaires koweïtiens du rang, rapidement présentés comme des dérangés mentaux, l’arrestation début janvier d’une quinzaine d’officiers impliqués dans la préparation d’attentats anti-américains est particulièrement préoccupante pour les autorités, ainsi que pour leurs alliés américains. Près de 25 000 militaires et 12 000 civils de nationalité américaine sont en effet établis au Koweït.

Ce coup de filet est en effet l’indice que les sympathisants d’Al Qaïda sont infiltrés au cœur même de l’appareil de sécurité du Koweït et qu’il ne s’agit pas seulement d’électrons libres. Autre souci pour le gouvernement, le lien établi entre ces présumés terroristes et des groupes clandestins opérant en Arabie Saoudite et en Irak. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle une étroite coordination s’est nouée entre les forces de sécurité koweïtiennes et saoudiennes, mettant fin à une méfiance ancestrale côté koweïtien à l’encontre des Saoudiens.

La situation du Koweït est de nature à inspirer l’inquiétude dans les autres monarchies du Golfe, qui, à la différence de l’Arabie Saoudite, sont encore préservées du terrorisme d’inspiration islamiste. Le cas de l’émirat est également particulier : contrairement à la plupart des pays arabes qui ont été jusqu’à présent victimes de tels attentats, le régime koweïtien n’est pas répressif. La presse y est libre et ne manque pas de critiquer le pouvoir, y compris les membres de la famille régnante, depuis 1962, avec quelques parenthèses, un parlement élu légifère et contrôle le gouvernement. Les islamistes eux-mêmes, dans leurs différentes tendances, sont largement représentés au Parlement.

Mais la population, qui avait accueilli les Américains en libérateurs en 1991, ne suit pas automatiquement le gouvernement koweïtien qui, depuis lors, colle sans nuances à la politique américaine au Moyen-Orient et l’antiaméricanisme est en croissance rapide au Koweït. Il en va de même, quoique à un échelle nettement plus limitée, d’une certaine sympathie pour la mouvance d’Oussama Ben Laden.


par Olivier  Da Lage

Article publié le 31/01/2005 Dernière mise à jour le 31/01/2005 à 14:38 TU