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Religion

Caricatures de Mahomet : la tension monte

Les manifestations contre la publication des caricatures de Mahomet dans la presse occidentale se multiplient dans le monde arabo-musulman. Au Pakistan, ce jeudi 2 février, l’effigie du Premier ministre danois a été brûlée.(Photo : AFP)
Les manifestations contre la publication des caricatures de Mahomet dans la presse occidentale se multiplient dans le monde arabo-musulman. Au Pakistan, ce jeudi 2 février, l’effigie du Premier ministre danois a été brûlée.
(Photo : AFP)
Dans l’affaire des caricatures du prophète, les menaces de certains groupes arabo-musulmans se sont faites plus violentes, jeudi. La tension est montée d’un cran après la publication des dessins incriminés par «France-Soir», dans son édition de mercredi. Alors que d’autres journaux européens ont également publié les caricatures, des appels à l’auto-critique émergent dans plusieurs pays arabes.

L’« affaire des caricatures » n’en finit pas de rebondir. Publiés le 30 septembre 2005 dans l’un des plus grands quotidiens danois, Jyllands-Posten, 12 dessins et caricatures du prophète Mahomet, repris le 10 janvier dans le quotidien norvégien Magazinet, ont soulevé une vague d’indignation dans le monde arabo-musulman. Après des réactions officielles scandalisées, des manifestations populaires et des appels au boycott des produits scandinaves, l’histoire a pris une tournure plus violente, jeudi, après la publication, mercredi matin, à Paris, des caricatures dans le journal France-Soir. Les menaces se sont faites plus inquiétantes. En effet, jeudi matin, par le biais d’un communiqué, deux groupes armés palestiniens (les Comités de la résistance populaire et le commandement commun des Brigades des martyrs d’Al-Aqsa) ont menacé de « prendre pour cible » tout Français, Danois et Norvégien à Gaza et en Cisjordanie. Un de leur porte-parole a confirmé que cette menace devait être prise au sérieux et qu’elle serait élargie à tous les pays dont la presse publierait ces caricatures.

De fait, le gouvernement norvégien a annoncé rapidement la fermeture au public de sa représentation en Cisjordanie, « jusqu’à nouvel ordre, pendant que nous réfléchissons aux questions de sécurité ». Plus tard dans la matinée, une vingtaine d'hommes armés du Fatah et du Jihad islamique ont tagué les mots « fermé jusqu'à nouvel ordre » sur la porte d'entrée du siège de l’Union européenne (UE) à Gaza. Dans un tract, ils donnent aux gouvernements danois, français et norvégien « 48 heures pour présenter des excuses ». Il ont appelé « les ressortissants français à évacuer la bande de Gaza » et menacé de « bombarder le siège de l'UE, les autres bureaux européens et les églises » si les « provocations » contre l'islam se poursuivent. A Copenhague, une alerte à la bombe mercredi soir, la deuxième en deux jours, a entraîné une nouvelle fois l’évacuation des locaux de Jyllands-Posten. Une alerte à la bombe a également conduit à l’évacuation de l’ambassade danoise à Damas, en Syrie.

Les caricaturistes se rebiffent

En France, la publication des dessins a été dénoncée par le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié des peuples (Mrap) et Dalil Boubakeur, le recteur de la Mosquée de Paris, qui a reçu jeudi matin l’ambassadeur du Danemark, « dans un but d’apaisement ». Le directeur de publication du journal, Jacques Lefranc, a été limogé par le propriétaire du titre, l’homme d’affaires franco-égyptien Raymond Lakah. Celui-ci a par ailleurs présenté ses « regrets » à la communauté musulmane et à toutes les personnes ayant été choquées par la parution. Le Maroc a interdit l’entrée du journal français sur son territoire et il a été saisi à Tunis. Pourtant, France-Soir remet le couvert jeudi avec sa une titrée ainsi : « Au secours Voltaire, ils sont devenus fous ! ». Rappelant qu’en Europe, « une dizaine de quotidiens ont déjà fait paraître toutes ou une partie des caricatures » : le quotidien populaire suisse Blick, les italiens Il Corriere della Sera et La Stampa, les espagnols El Periodico et ABC, le néerlandais De Volkskrant ou encore le tchèque Dnes. En Allemagne, Die Welt en a fait sa une, écrivant dans son éditorial : « On prendrait les protestations musulmanes plus au sérieux si elles étaient moins hypocrites. Quand la télévision syrienne a diffusé en prime-time des drames documentaires montrant des rabbins en cannibales, les imams se sont tus ». Selon France-Soir, La Tribune de Genève compte publier les caricatures dans son édition de jeudi.

D’autres journaux évoquent jeudi la polémique en faisant appel… à des caricaturistes ! En Suisse, le dessinateur Chapatte se représente lui-même en une du quotidien Le Temps, tenant une feuille blanche sur laquelle il a écrit : « Mahomet avec un gros nez ». Dans une bulle, il précise, l’air embêté : « Je ne l’ai pas dessiné ». Le Soir, en Belgique, affiche un tableau vide avec une légende pastichant Magritte : « Ceci n’est pas Mahomet ». Quant au Français Plantu, il illustre Le Monde d’un calligramme représentant le prophète à l’aide de la phrase « je ne dois pas dessiner Mahomet ». De son stylo, sort un religieux musulman qui scrute le calligramme à la loupe… Dans ce quotidien, plusieurs dessinateurs de presse réagissent, notamment Cabu, auteur en 2002 d’un crayonné dans Charlie Hebdo représentant Mahomet en mafieux, un verre de cognac à la main et parrain de l’élection de « Miss sac à patates »… « Je pense qu’il n’y a pas de délit de blasphème contre la religion en France. Je suis athée. On peut critiquer toutes les religions. Pour moi, toute religion est débile. Je suis par ailleurs frappé de voir, en ce qui concerne les musulmans, à quel point les modérés ne s’expriment pas et laissent faire des choses terribles en leur nom. En tant que dessinateur, il ne faut pas se laisser faire. »

Appels à l’auto-critique

Jeudi, les médias égyptiens, émiratis, qataris ou encore jordaniens ont largement condamné la publication des caricatures en Europe. Mais face à cette déferlante, des appels à l’auto-critique commencent à se faire entendre dans le monde arabe. L’hebdomadaire Shihane, un tabloïd jordanien, a même reproduit trois des caricatures, dont celle qui représente le prophète portant une bombe en guise de turban, « pour que les gens sachent contre quoi ils se révoltent ». Son rédacteur en chef, Jihad Momani, a écrit un éditorial, « Musulmans du monde, soyez raisonnables », dans lequel il s’interroge : « Qu’est-ce-qui porte plus préjudice à l’islam, ces caricatures ou les images d’un preneur d’otage qui égorge sa victime devant les caméras ou encore un kamikaze qui se fait exploser au milieu d’un mariage à Amman ? »

« Les musulmans adoptent, comme les pays européens, une politique de deux-poids, deux-mesures. (…) Si nous refusons toute attaque contre notre religion, nous ne devons pas non plus tolérer des attaques contre d’autres », affirme l’éditorialiste égyptien Saad Hagras dans les colonnes du quotidien indépendant Nahdet Masr. Dans Al-Qabas, l’éditorialiste koweïtien Abdel Latif al-Douaij, réagissant à l’appel au boycott du Danemark lancé par des députés islamistes, va encore plus loin : « Devant l’offense commise par un caricaturiste, pourquoi devons-nous punir toute une nation et menacer nos propres intérêts ? (…) J’appelle le monde libre à se ranger du côté du Danemark et à appuyer la liberté d’expression. (…) Je souhaite qu’ils boycottent notre pétrole et nous le fassent boire ».


par Olivia  Marsaud

Article publié le 02/02/2006 Dernière mise à jour le 02/02/2006 à 18:44 TU

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Malek Chebel

Anthropologue et specialiste de l'islam. Il présente son point de vue sur l'affaire des caricatures de Mahomet.

«Je pense que cette histoire est un «cache-sexe» pour beaucoup de régimes peu fréquentables.»

[02/02/2006]

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