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Irak

Le spectre d’une guerre civile

La destruction, le 22 février, du mausolée Ali Al-Hadi dite la Mosquée d'or, a déclenché une vague de manifestations et d'assassinats en Irak.(Photo : AFP)
La destruction, le 22 février, du mausolée Ali Al-Hadi dite la Mosquée d'or, a déclenché une vague de manifestations et d'assassinats en Irak.
(Photo : AFP)
Après l’attentat non revendiqué mais attribué à des sunnites d’Al-Qaida détruisant partiellement la mosquée sainte chiite de Samarra, mercredi 22 février au matin, des « ripostes circonstanciées » contre la communauté sunnite et ses mosquées ont eu lieu malgré l’appel au calme d’une partie des chiites. En tout, 130 personnes ont été tuées depuis mercredi soir dans des affrontements interconfessionnels. Avec ces manifestations et ces assassinats à majorité antisunnites, l’Irak risque l’éclatement d’une guerre civile à tout moment. Craignant une rue « incontrôlable », l’exécutif irakien, en pleine formation d’un gouvernement de coalition sous l’égide des Américains, tentait jeudi de s’entretenir avec les partis politiques et les groupes religieux pour œuvrer contre ce danger. Mais des doutes planent en raison de la radicalisation du camp sunnite.

Le pays basculera-t-il dans la guerre civile ? Les relations fratricides entre chiites et sunnites sont explosives depuis 24 heures et pourraient allumer des foyers de guerre civile dans le pays qu’ont bien du mal à calmer les politiques au pouvoir. Le double dynamitage du 22 février, qui a détruit partiellement l’un des quatre lieux saints les plus vénérés des chiites irakiens, la Mosquée d’or de Samarra, située à 125 km au nord de Bagdad, et chef d’œuvre architectural vieux de 1 200 ans, a mis le feu aux poudres en provoquant immédiatement une vive montée de violence communautaire dans le pays. Depuis, représailles de la communauté chiite (60% des Irakiens) et ripostes sunnites (qui entendent représenter l’orthodoxie face au chiisme) alternent mortellement.

Ces affrontements entre groupes activistes rivaux chiites et sunnites ont provoqué une série d’exactions, en majorité contre les mosquées et la communauté sunnite. En tout, 130 personnes ont été assassinées. Quatre vingt corps tués par balle ont été transportés à la morgue de Bagdad mercredi, soit deux fois plus que d’habitude, et 47 ont été retrouvés gisant au bord de la route, à Naharwane, au sud-est de Bagdad. Par ailleurs, jeudi soir 23 février, une explosion à la bombe au centre de Baaqouba, à 60km au nord-est de Bagdad, a fait 16 morts, dont huit civils et 21 blessés. A Bassorah, à 550 km au sud de Bagdad, les exactions ont fait 25 morts dont onze rebelles sunnites Egyptiens et Saoudiens enlevés et tués. Trois mosquées brûlaient encore jeudi à Bagdad.

Les médias sont aussi touchés par cette vague de violence en Irak. Ainsi, Atwar Bahjat, correspondante journaliste d’Al Arabiya, la chaîne de télévision arabophone, qui faisait un reportage sur l’attentat contre le mausolée, a été retrouvée morte, avec deux membres de son équipe qui filmaient les dommages causés par l’attentat de Samarra. L’association Reporters sans frontières (RSF) s’est dit horrifiée par ces enlèvements et ces assassinats, rappelant des chiffres plus qu’alarmants en Irak: 82 professionnels des médias ont trouvé la mort depuis le début de la guerre américaine, qui a débuté en mars 2003.

Un Irak démocratique et unitaire

L’attentat de Samarra a conduit à différentes réactions irakiennes. D’un côté, ceux qui veulent continuer à insuffler une démarche constructive, et, invitant à ne pas tomber dans le piège de la guerre civile, appellent à la retenue, au moment où l’Irak s’apprête à constituer démocratiquement et unitairement son gouvernement composé de sunnites, chiites et kurdes, sous l’égide des Etats-Unis. Le président irakien, Jalal Talabani, qui a accusé les poseurs de bombe de saper l’actuel processus de mise en place du gouvernement d’union nationale, a réuni jeudi matin les principaux dirigeants politiques du pays pour tenter d’infléchir cette spirale de violences sanglantes et trouver un terrain de conciliation entre les différentes confessions.

L’Union internationale des oulémas sunnites, qui a aussi dénoncé l’acte malveillant de Samarra, a mis en garde « les Irakiens, sunnites comme chiites, de tomber dans ce grand piège » de la guerre civile. « Nous craignons que les sunnites ne rendent la pareille (…). Si cette série dangereuse commence, elle ne s’arrêtera pas et elle annoncera une guerre civile ». L’Union assure que les sunnites ne peuvent être les auteurs de l’attaque contre le mausolée « qu’ils ont gardé pendant des siècles » et exhorte tous les dignitaires chiites « en Irak, en Iran et au Liban » à blâmer ceux qui ont attisé les manifestations alors qu’ils savaient « la situation incontrôlable », à lancer des appels au calme à un moment où la rue est devenue « incontrôlable ». Dans des régions à majorité chiite, notamment Bassorah, le chef radical chiite irakien, Moqtada Sadr, d’ailleurs hostile à la présence des Américains dans son pays, a ordonné à ses partisans de « l’Armée du Mehdi » de protéger les lieux saints et de culte sunnite d’éventuelles attaques.

Radicalisation du Front de la concorde

De l’autre côté, il y a les réactions qui bloquent le processus de formation du futur gouvernement ou qui n’atténuent pas les tensions communautaires. La radicalisation du Front de la concorde, principal parti sunnite irakien en fait partie. Il s’est dit irrité par les représailles destructives de plus d’une centaine de mosquées sunnites et la mort de plusieurs membres de la communauté dans « l’indifférence des forces de l’ordre » du gouvernement qu’ils somment de faire respecter la loi. Il a accusé le chef spirituel dominant majoritairement le chiisme irakien, l’ayatollah Ali al-Sistani, qui avait appelé à manifester pacifiquement, d’avoir encouragé les violences de ces dernières 24h, et a décidé de boycotter la réunion pour la formation du gouvernement irakien, rompant tout dialogue avec le mouvement de Moqtada Sadr et l’Alliance unifiée des chiites conservateurs. L’un des membres de cette Alliance, le cheik Mohammad al-Yaacoubi, a défendu à ses fidèles d’aller prier vendredi à Samarra. De leur côté, sept groupes de jihadistes sunnites, dont fait partie la branche irakienne d’Al-Qaïda, menacent de « riposter », après avoir accusé le gouvernement irakien et la milice chiite Badr, en coordination avec l’Iran, d’être derrière les explosions du mausolée de Samarra.

Résultat : épaulées par 130 000 soldats américains, les forces de sécurité irakiennes, qui ont déjà arrêté trois suspects, sont en état d’alerte maximale, mais semblent insuffisantes au Front de la concorde qui demande « la restitution des mosquées » occupées par les chiites aux sunnites. Le couvre-feu est prolongé à Bagdad et dans plusieurs localités.

Appel mondial à la retenue

Ailleurs dans le monde, le spectre d’une guerre civile en Irak fait prendre position. D’abord sur les auteurs de l’attentat de Samarra. Si le coordinateur du département d’Etat américain pour la politique irakienne, l’ambassadeur James Jeffey, a estimé qu’il faut voir, dans l’attentat, la marque du réseau al-Qaïda, le président iranien Mahmoud Ahmadinejad, soutenu par le guide suprême de la République islamique qui a appelé à un deuil national de sept jours, l’ayatollah Ali Khamanei, accuse, lui, « les sionistes et les occupants affaiblis » d’être à l’origine de l’attentat de Samarra, désignant ainsi Israël et l’Amérique. Pour le Premier ministre britannique Tony Blair, l’acte de Samarra est « un acte de désespoir en même temps qu’un acte de profanation », commis « en un moment essentiel et décisif pour l’Irak », ce qui a conduit l’ONU à appeler les Irakiens à « défier les auteurs en faisant preuve de retenue et d’unité ».

D’autres voix tentent de contenir d’autres retombées sanglantes du dynamitage de la Mosquée d’or et de donner de l’espoir dans le processus de création du nouveau gouvernement. La France, condamnant « avec la plus grande vigueur la multiplication des assassinats et des actes meurtriers » appelle les Irakiens à renoncer à la violence et à se mobiliser pour assurer le succès de la transition politique. Le président américain, Georges W. Bush, qui a dénoncé l’attentat comme «acte politique » destiné à semer « la discorde civile», a salué les « voix de la raison » qui avaient appelé au calme. L’ayatollah Ali Khamanei a aussi appelé les chiites à ne pas détruire les mosquées sunnites.

« La lutte en Irak aujourd’hui est la même partout dans le monde », a indiqué Tony Blair, celle de « gens exprimant leur désir de vivre dans la liberté et la démocratie, d’élire leur gouvernement et de ne pas laisser décider une bande d’extrémistes ». Pour la Ligue arabe, si ce « crime terroriste » a « touché tous les musulmans », « les Irakiens doivent avancer sur le chemin de l’entente et former le prochain gouvernement ». « La Ligue appelle le peuple irakien, toutes confessions confondues, à la retenue et à faire face à tous les actes de violence qui ont pour but de porter atteinte à son unité et aux tentatives qui visent à détruire l’indépendance de l’Irak ». C'est également ce que note l'ONU, qui estime que « ces actes sacrilèges et criminels ont été commis dans le but d'enflammer les tensions intercommunautaires et sectaires et de compromettre les perspectives de paix et de stabilité».


par Gaëtane  de Lansalut

Article publié le 23/02/2006 Dernière mise à jour le 23/02/2006 à 12:18 TU

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