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Irak

Un pays à fleur de peau

Un Irakien crie sa colère après l'attentat contre la Mosquée d'or, l'un des quatre lieux saints les plus vénérés par les chiites en Irak.(Photo: AFP)
Un Irakien crie sa colère après l'attentat contre la Mosquée d'or, l'un des quatre lieux saints les plus vénérés par les chiites en Irak.
(Photo: AFP)
Mercredi matin à l’aube, un attentat a endommagé un lieu saint chiite à Samarra. L’explosion n’a pas fait de victime, mais les sunnites se retrouvent en position d’accusés. Ce nouvel attentat ressemble à une provocation alors que les chiites, qui ont gagné les élections législatives de décembre dernier, n’ont toujours pas réussi à former le gouvernement.

Le gouverneur adjoint de la province de Salaheddine, où se situe Samarra, a raconté comment les choses se sont passées. A l’aube, des hommes masqués et armés ont pénétré dans la Mosquée d’or après avoir neutralisé les gardes. Le commando a placé des explosifs dans cet édifice religieux où se trouvent les tombeaux de deux imams célèbres. Les explosions ont provoqué l’effondrement du dôme en or mais il n’y a pas eu de victimes.

Ce mausolée dédié aux imams Ali al-Hadi et Hassan al-Askari, son fils, est un chef d’œuvre de l’art islamique du treizième siècle. Pour les chiites, branche minoritaire de la religion musulmane dans le monde, mais communauté majoritaire en Irak, Samarra est un lieu de pèlerinage privilégié. La ville, située à une centaine de kilomètres au nord de Bagdad, possède plusieurs sanctuaires musulmans. C’est donc la Mosquée d’or qui a été touchée. Elle représente l’un des quatre lieux saints les plus importants pour les chiites, en Irak.

Si les dommages sont importants pour le patrimoine irakien, les explosions font surtout vaciller la paix. L’attentat de Samarra n’a pas été revendiqué mais les sunnites sont mis en accusation. Dans les heures qui ont suivi l’annonce de la destruction partielle de la Mosquée d’or, les responsables politiques et religieux ont multiplié les appels au calme. Le chef de l’Etat, Jalal Talabani, a appelé « au sang froid et à l’unité pour mettre en échec les plans ignobles des takfiris (extrémistes sunnites).

Le Premier ministre chiite Ibrahim Djaafari a annoncé un deuil national de trois jours. Le chef du gouvernement intérimaire a par ailleurs annoncé qu’il avait envoyé des émissaires dans la ville sainte pour exhorter la population « à empêcher les terroristes de briser l’unité nationale ». Des habitants de Samarra, ville peuplée majoritairement de sunnites, ont manifesté en scandant des slogans religieux et anti-américains.

Des appels à la retenue

La principale organisation religieuse sunnite a condamné l’attentat comme l’a fait le président Talabani, sunnite d’origine kurde. Il a dénoncé un « crime honteux », commis, de plus, pendant le mois saint du chiisme. Le conseiller à la sécurité nationale, Mouaffak al-Roubaï, voit pour sa part la marque d’Al Qaïda dans cette opération commando. Le responsable estime que ses auteurs cherchent à « provoquer une guerre civile ». Lui aussi, exhorte les Irakiens « sunnites et chiites, à ne pas se laisser entraîner par leurs passions ».

Les dirigeants chiites religieux ont lancé un appel à la retenue. Car peu de temps après la révélation de cet attentat contre la Mosquée d’or, d’autres, appartenant à la communauté sunnite, ont été attaquées par des hommes armés. La porte d’entrée de l’une de ces mosquées, dans le quartier de Ghazalia, a brûlé ; 27 en tout ont été la cible de représailles. Six sunnites dont trois imams ont été tués.

Représailles et manifestations : la démolition partielle d’un symbole religieux fait ressurgir les tensions entres les différentes communautés irakiennes. Les chiites, on le sait, ont gagné les élections législatives de décembre 2005, devant les kurdes puis les sunnites. Cependant le chef du gouvernement n’a pas encore réussi à faire le « montage » entre les trois grandes communautés. Ce dosage doit tout à la fois refléter le résultat des élections et tenir compte de l’implantation géographique des groupes de population.

Le plus radical des imams chiites, Moktada al Sadr, a promis la vengeance. « Nous n’allons pas nous contenter de condamner et de protester, nous allons agir contre ces activistes. Si le gouvernement irakien ne fait pas son travail en défendant le peuple, nous sommes prêts à le faire, nous », a lancé un porte-parole du leader religieux. Ce dernier a écourté son voyage au Liban pour rentrer à Bagdad en raison de « nouveaux troubles qui ont éclaté dans ses zones d’influence en Irak ».

Les Américains ont condamné l’attentat et le chef du gouvernement provisoire a lancé un appel à l’unité. Chacun sait que la période armée n’est pas si ancienne. Et plus le temps passe pour former ce premier gouvernement, plus son équilibre est difficile à trouver. Les Américains pour leur part, commencent à s’impatienter. Il y a tout juste deux jours, l’ambassadeur des Etats-Unis en Irak, Zalman Khalilzad, faisait part de son exaspération à l’occasion d’une conférence de presse à Bagdad.

Les factions rivales n’arrivent pas à s’entendre pour diriger le pays : les Etats-Unis ne vont pas indéfiniment « continuer à dépenser les ressources du peuple américain pour mettre sur pied des forces dirigées par des gens qui sont sectaires ». Avant même cet attentat ravageur,la menace planait déjà sur la poursuite de l’assistance militaire américaine dans ce pays non pacifié.


par Colette  Thomas

Article publié le 22/02/2006 Dernière mise à jour le 22/02/2006 à 16:58 TU

Audio

Nahla Chahal

Sociologue, spécialiste du Moyen-Orient

«C’est une manipulation de la part de l’administration américaine qui est très fâchée des résultats des législatives en Irak.»

[22/02/2006]

Frédérique Misslin

Journaliste à RFI

«Le geste est symbolique. L'attaque a bouleversé la communauté chiite.»

[22/02/2006]

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