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Irak

Crise politique déclarée

La manifestation pacifique du mouvement Maram pour protester contre le résultat des élections du 15 décembre aurait rassemblé, selon l'AFP, entre 5 000 et 10 000 personnes à Bagdad, le 27 décembre 2005.(Photo : AFP)
La manifestation pacifique du mouvement Maram pour protester contre le résultat des élections du 15 décembre aurait rassemblé, selon l'AFP, entre 5 000 et 10 000 personnes à Bagdad, le 27 décembre 2005.
(Photo : AFP)
La période de relative accalmie qui a prévalu avant et après les élections législatives du 15 décembre, qualifiées d’historiques par les Irakiens eux-mêmes, n’est plus qu’un souvenir. Le pays a replongé dans la violence. En cinq jours, une centaine de personnes au moins ont été tuées dans des attaques menées par la rébellion et des dizaines d’autres, en majorité des civils, ont été blessées. Cette dégradation de la situation sécuritaire intervient alors que l’Irak traverse une crise politique qui, à en croire l’ancien secrétaire d’Etat américain Colin Powell, pourrait bien mener à une guerre civile. Les résultats partiels des législatives, qui donnent la liste chiite conservatrice en tête, sont en effet vigoureusement dénoncés par une quarantaine de mouvements. Et la contestation s’est depuis quelques jours déplacée dans la rue.

Le pire serait-il en train de se produire en Irak ? Le pays qui, non sans peine et après trente années de dictature du parti Baas, est parvenu à se doter d’une Constitution et à organiser des élections législatives auxquelles ont participé toutes les communautés de la mosaïque ethnique qui le compose, traverse en tout cas une grave crise politique. Une crise qui, si elle n’est pas rapidement résolue, pourrait bien réduire à néant le processus entamé depuis la chute du régime de Saddam Hussein. Avant même leur proclamation officielle, les résultats des législatives du 15 décembre, qui donnent la liste chiite conservatrice largement en tête, font en effet l’objet de violentes critiques émanant aussi bien de formations politiques sunnites que de mouvements laïcs. Cantonnée aux états-majors des partis, cette contestation s’est depuis la fin de la semaine dernière déplacée dans la rue où des milliers de personnes sont descendues pour dénoncer de supposées fraudes alors que des contre-manifestations, organisées par la communauté chiite, ont au contraire salué le bon déroulement du scrutin. Cette situation n’est pas sans inquiéter les Etats-Unis dont le représentant en Irak, Zalmay Khalilzad, multiplie les contacts pour tenter de dénouer la crise.

Les contestataires, qui se sont rassemblés mercredi dernier au sein du mouvement Maram –initiales en arabe pour Congrès du refus d’élections falsifiées– ont appelé à une manifestation pacifique à Bagdad mardi pour protester contre le déroulement des élections du 15 décembre. Plusieurs milliers de personnes –entre 5 000 et 10 000 selon un décompte de l’AFP– ont répondu à l’appel. La marche qui s’est déroulée sous très haute sécurité a été l’occasion pour certains responsables de plaider pour un gouvernement d’union nationale. «Votre manifestation est un message adressé à toutes les parties pour qu'elles revoient les résultats et s'allient pour former un cabinet d'union nationale», a ainsi déclaré à la foule Saleh Motlak, qui dirige l’une des listes sunnites, le Front irakien pour le dialogue, particulièrement active ces derniers jours. Alors que la Commission électorale indépendante n’a retenu que 37 plaintes pour fraude sur les 5 000 qu’elle a enregistrées, défendant de facto l’idée que le scrutin s’est globalement bien déroulé –une position partagée par le département d’Etat américain–, quelque 42 mouvements remettent en cause son impartialité. Et si la protestation a pris de l’ampleur, c’est sans doute parce qu’elle n’émane pas uniquement des sunnites qui, depuis la chute du régime de Saddam Hussein, s’estiment lésés. L’ancien Premier ministre Iyad Allaoui, un chiite laïc qui a rassemblé autour de lui des personnalités sunnites libérales mais aussi des communistes, a largement contribué à donner du poids à cette contestation.

Sistani sort de son silence

La situation a en tout cas été jugée suffisamment sérieuse pour que le président irakien, le Kurde Jalal Talabani, entreprenne dès mercredi dernier –jour de la constitution du Maram– des consultations auprès des différents mouvements politiques pour tenter de dénouer la crise. Son souhait, parvenir à mettre en place un gouvernement d’union nationale. «Je vais faire tout ce qui est en mon pouvoir pour aboutir à la formation d'un gouvernement d'union nationale», avait-il affirmé vendredi, en précisant que les Etats-Unis soutenaient ses efforts. Dimanche, à l’issue justement d’une rencontre avec l’ambassadeur américain en Irak Zalmay Khalilzad, il a une nouvelle fois vigoureusement défendu sa position en affirmant notamment : «sans les partis sunnites, il n'y aura pas de gouvernement de consensus et sans gouvernement de consensus, il n'y aura pas d'unité, il n'y aura pas de paix». Le chef de l’Etat irakien doit à ce sujet rencontrer mercredi à Souleimaniyah, dans le Kurdistan, la tête de liste des chiites conservateurs aux législatives du 15 décembre, Abdel Aziz Hakim, également chef du puissant Conseil suprême de la révolution en Irak pour le convaincre d’adhérer à l’idée d’un gouvernement d’union nationale.

Jalal Talabani a d’ailleurs reçu samedi dernier un soutien de poids en la personne du grand ayatollah Ali Sistani. Le plus prestigieux des chefs religieux chiites est en effet sorti de son silence pour appeler de ces vœux la constitution d’un gouvernement d’union nationale. Selon le conseiller à la Sécurité nationale, Mouaffak al-Roubaye, qui l’a rencontré dans sa modeste maison de Najaf, le grand ayatollah «a appelé à l'unité du peuple irakien et souhaité voir les listes gagnantes prendre les choses avec sagesse et ne pas recourir à la violence». Le vieux sage –âgé aujourd’hui de 74 ans–­­ a également exhorté la liste chiite à «travailler avec les autres composantes du peuple irakien pour former un gouvernement d'union nationale représentant toutes les principales familles (politiques) du pays». L’intervention d’Ali Sistani, qui n’a donné aucune consigne de vote pour les législatives du 15 décembre, en dit long sur l’inquiétude qui prévaut aujourd’hui en Irak. Le reclus de Najaf, ardent défenseur de la séparation du politique et du religieux et qui rechigne à se mêler des affaires publiques, détient aujourd’hui le plus précieux des pouvoirs. «Il est notre antidote contre la guerre civile. Nous devons tout faire pour le protéger», n’hésite pas à dire de lui le conseiller à la Sécurité nationale Mouaffak al-Roubaye.


par Mounia  Daoudi

Article publié le 27/12/2005 Dernière mise à jour le 27/12/2005 à 18:13 TU

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Frank Weil-Rabaud

Journaliste à RFI

«Au-delà du partage du pouvoir politique, il s’agit également du partage des ressources de l’Irak.»

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