Irak
Attentats meurtriers anti-chiites
(Photo : AFP)
Depuis les attentats de mars, et surtout ceux de décembre 2004, où l’on avait enregistré 14 morts et 57 blessés, l’attaque suicide de jeudi est la plus meurtrière jamais commise à Kerbala (110 km de Bagdad) et marque incontestablement un virage dangereux dans la résurgence de la violence en Irak.
Au moins une cinquantaine de personnes ont été tuées alors qu’elles s’acquittaient pour la plupart de leur devoir religieux, le pèlerinage dans la ville de Kerbala. « Un kamikaze portant une ceinture de plus de 7 kg d’explosifs et plusieurs grenades s’est fait exploser près d’un groupe de pèlerins », a déclaré Abdel Razzak, le chef de la police locale. Située à 110 km au sud-ouest de Bagdad, Kerbala abrite deux des trois plus hauts lieux saints du chiisme en Irak. C’est, notamment, dans cette cité qu’est inhumé l’iman Hussein, fils de Ali et petit-fils du prophète Mahomet, tué en 680. L’autre ville sainte, Najaf, à 160 km au sud de Bagdad, abrite le mausolée de Ali, premier imam des chiites.
Une journée sanglante et meurtrière
Les attaques auraient fait 120 morts selon l’AFP, 130 morts selon Reuters, et des centaines de blessés. Dès les premières explosions, la télévision publique irakienne a interrompu ses programmes pour diffuser des images des flaques de sang parsemant la chaussée et des corps mutilés. Péniblement, les victimes ont été évacuées dans des ambulances et des charrettes en bois vers les hôpitaux les plus proches, tandis que des appels aux dons du sang étaient lancés à la population.
Au même moment au Sud de la ville, une patrouille américaine subissait une attaque à l’aide de bombes artisanales. Cinq militaires ont péri, portant ainsi à 2 186 le nombre de soldats américains, et assimilés, morts en Irak depuis 2003. La province sunnite rebelle d’Al-Anbar, caractérisée dans des attaques quasi-quotidiennes contre l’armée américaine, a donc encore fait parler d’elle dans la course au carnage. Un attentat perpétré par un « kamikaze portant une veste remplie d’explosifs s’est fait exploser » contre un centre de recrutement de la police dans la ville de Ramadi faisant soixante-sept tués et 105 blessés.
Recrudescence des attaques de la guérilla sunnite
Bagdad n’a pas été épargnée non plus par le vent de violence de ce jeudi. Trois attentats à la voiture piégée ont ébranlé la capitale. Une première voiture a explosé au centre de Bagdad à proximité de l’hôpital de Karrada. Les deux autres, conduites par deux kamikazes, ont été lancées contre une patrouille de la police irakienne faisant « trois blessés ». Au nord de la capitale, quatre policiers irakiens ont par ailleurs été tués par des tirs.
Ces quatre attaques meurtrières de jeudi qui ont fait plus d’une centaine de morts et de blessés - la journée la plus sanglante en Irak depuis le 14 septembre où on avait dénombré plus de 140 morts dans différentes attaques - sont le prolongement de celles commises depuis 24 heures. De fait, dans la journée de mercredi à Kerbala, une voiture piégée avait fait trois blessés. Le même jour, à Moqdadiyah, à une centaine de kilomètres au nord-est de Bagdad, un kamikaze s’est fait sauter en actionnant ses explosifs au milieu d’une foule qui participait à des funérailles chiites, tuant 37 personnes. Accusée à tort ou à raison de pactiser avec les « ennemis », notamment américains, la province de Diyala - où se situe Moqdadiyah - a connu ces dernières semaines une recrudescence des attaques de la guérilla sunnite liée à la branche irakienne d’Al Qaïda, dirigée par le Jordanien Abou Moussab Zarkaoui. Cette guérilla vise la communauté chiite, les Américains et les forces de sécurités irakiennes.
Priorité aux institutions démocratiques, malgré tout
Ces attentats interviennent dans un contexte politique quelque peu crispé par l’attente « d'ici quatre jours » des résultats définitifs des élections législatives du 15 décembre censées désigner le premier Parlement irakien de l’après Saddam Hussein. Les résultats partiels et presque tous les pronostics donnent victorieuse, l’alliance chiite. Mais, Jawal al-Maliki, le numéro deux du parti Dawa du Premier ministre irakien Ibrahim Jaafari, estime que les commanditaires et les auteurs des attentats anti-chiites, qu’il qualifie de « criminels », « cherchent par la pression terroriste à changer ces résultats ».
Pour sa part, le Conseil supérieur de la révolution islamique en Irak (CSRII) d’Abdel Aziz Hakim, tête de liste des chiites conservateurs donnés gagnants du scrutin du 15 décembre, a martelé que « notre peuple ne saura patienter longuement face à ces lâches crimes », avant de dénoncer un « complot visant à exterminer les chiites comme l'a déclaré (Abou Moussab) Zarqaoui ». Des hommes politiques sunnites ont également contesté les résultats partiels des législatives remportées par les chiites. Réagissant toutefois aux attaques anti-chiites, Ali Tamimi, le porte-parole des contestataires, a estimé qu’ « il importe de dénoncer avec la même force le terrorisme et les fraudes ».
« Terrorisme stupide »
Selon Kofi Annan, secrétaire général de l’ONU, les attaques en Irak sont « un crime affreux contre les civils innocents sans aucun respect pour la vie et la dignité humaine ». De son côté, le patron de la diplomatie britannique, Jack Straw, les a qualifié de « terrorisme stupide ». A Washington, George Bush a convoqué une réunion de ses conseillers en l’élargissant aux anciens responsables de la politique américaine, dans le but de faire « un tour d'horizon consacré à la crise » en Irak.
En dépit de cette flambée de violence, le président irakien Jalal Talabani a assuré que les attentats meurtriers n'empêcheraient pas le pays de se consacrer à « la formation d'un gouvernement d'union nationale » et à la mise en place des 275 députés de la future assemblée nationale.
par Muhamed Junior Ouattara
Article publié le 05/01/2006 Dernière mise à jour le 05/01/2006 à 19:19 TU