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Proche-Orient

Bilan mitigé de la tournée de Condoleezza Rice

Conférence de presse de Condoleezza Rice, secrétaire d'Etat américaine, le 22 février à Ryad (Arabie Saoudite).(Photo: AFP)
Conférence de presse de Condoleezza Rice, secrétaire d'Etat américaine, le 22 février à Ryad (Arabie Saoudite).
(Photo: AFP)
Après les échecs essuyés en Egypte et en Arabie Saoudite, sur la conduite à tenir à l’égard du Hamas, la secrétaire d'Etat Condoleezza Rice a été rattrapée à Abou Dhabi par les préoccupations américaines sur la cession des activités de plusieurs ports américains à une compagnie de Dubaï. Elle obtient enfin un soutien nuancé sur le dossier nucléaire iranien.

La tournée a basculé à mi parcours. Principalement consacrée lors des deux premières escales au dossier palestinien et à la question de l’attitude à adopter vis-à-vis du Hamas, elle a cédé la priorité à d’autres préoccupations. Interrompant le cours de son voyage, peut-être sous l’effet du double échec enregistré au Caire et à Ryad, la chef de la diplomatie américaine a effectué jeudi une visite-éclair au Liban pour y manifester le soutien appuyé de l’administration américaine aux opposants du président Emile Lahoud. Puis Condioleezza Rice s’est rendue à Abou Dhabi, où elle a été rattrapée par la polémique en cours dans son pays sur le rachat des activités de la compagnie P&O par une société régionale, la Dubaï Ports. Elle y a enfin reçu un soutien nuancé sur le dossier nucléaire iranien.

Succès mitigé sur ce dossier, lors de cet ultime rendez-vous fixé par l’agenda de la secrétaire d’Etat américaine. Condoleezza Rice a obtenu des six monarchies du Conseil de coopération du Golfe une déclaration de principe qui «réaffirme la nécessité de garder la région (…) libre de toute arme de destruction massive», formule habituellement utilisée pour évoquer l’arme nucléaire que les Israéliens affirment ne pas détenir. Et l’Iran n’est pas explicitement mentionné dans le texte de la déclaration finale.

Dans la matinée, Condoleezza Rice avait dû affronter à Abou Dhabi les interrogations de ses hôtes sur la levée de boucliers suscitée dans son pays par le transfert des activités de six ports américains, gérés par la compagnie P&O, à une société de Dubaï, la Dubaï Ports. Les inquiétudes des Américains portent sur les questions de sécurité et, dans le contexte du souvenir toujours vif des attentats du 11 septembre, ils manifestent la crainte d’abandonner à une société arabe du Golfe la sûreté de leurs installations portuaires. Mme Rice a trouvé auprès des responsables de la Dubaï Ports des interlocuteurs attentifs et bienveillants qui à la fois ne reviennent pas sur le principe de la transaction, mais acceptent de reporter leur contrôle sur les installations en question tant que de nouvelles discussions n’auront pas abouti.

Emile Lahoud, soigneusement évité

L’escale de Beyrouth, jeudi, fut brève mais riche en rencontres et sans ambiguïté sur les orientations de la Maison Blanche à l’égard du dossier. Evitant soigneusement de croiser le président Lahoud, proche de la Syrie, pendant ses quelques heures de présence dans la capitale libanaise Condoleezza Rice a rencontré l’essentiel de la classe politique libanaise, parmi lesquels le Premier ministre, Fouad Siniora, les deux chefs de la majorité parlementaire anti-syrienne, le député druze Walid Joumblatt et le député Saad Hariri, fils de l'ancien Premier ministre assassiné Rafic Hariri en février 2005, ainsi que le président du Parlement, Nabih Berri. Elle les a exhorté à s’émanciper de la tutelle syrienne, tandis qu’elle invitait le régime syrien à coopérer avec la commission de l’ONU chargée d’enquêter sur l’assassinat M. Hariri, au moment où le nouveau chef des enquêteurs Serge Brammertz se rendait pour la première fois à Damas. Le ministre syrien de l’Information Mohsen Bilal a vivement réagi, accusant la secrétaire d’Etat d’«ingérences».

La tournée de Condoleezza Rice avait débuté mardi. Prenant son bâton de pèlerin, elle est partie tenter de convaincre l’Egypte, l’Arabie Saoudite et peut-être plus largement, pensait-elle alors, les Etats du Golfe de traiter en paria le gouvernement de l’Autorité palestinienne dirigé par le Hamas. L’objectif affiché de Washington est en effet de contraindre le mouvement islamiste à reconnaître le droit à l'existence d'Israël et à renoncer à la violence, voire de provoquer de nouvelles élections en privant le Hamas de tout apport financier et de toutes relations politiques. Au Caire et à Ryad, elle a essuyé un double refus.

Jusqu’à la victoire électorale du Hamas le 25 janvier dernier, l’Autorité palestinienne recevait de l’extérieur environ un milliard de dollars chaque année, sous la forme d’une aide budgétaire directe et de programmes de soutien à des domaines divers. Chaque mois, sous le Fatah, le gouvernement palestinien percevait également une cinquantaine de millions de dollars de taxes douanières, via Israël qui a décidé de ne pas remettre ces subsides au gouvernement «terroriste» du Hamas. Ce dernier est également répertorié comme une «organisation terroriste» aux Etats-Unis et en Europe. La secrétaire d'Etat américaine, Condoleezza Rice avait mission d’étendre le cordon sanitaire à l’Egypte et aux pays du Golfe qui répugnent à afficher une telle position.

Moubarak : «il faut donner du temps au Hamas»

Mercredi, au Caire, le président égyptien, Hosni Moubarak a demandé à l’envoyée de Washington de «donner du temps» au Hamas, pour lui donner vraiment le choix entre «terrorisme et politique», comme l’exigent Américains et Israéliens. Lui-même doit s’envoler dimanche pour une visite de deux jours dans le Golfe, au Qatar, au Koweït et aux Emirats Arabes Unis, où le dossier palestinien sera sans nul doute à nouveau au menu. En attendant, tout en se déclarant d’accord pour tenter d’amener le Hamas à admettre l’existence d’Israël et à entamer des négociations, l’Egypte refuse de le traiter en paria et, ce faisant de mettre les électeurs palestiniens suffisamment à la diète pour qu’ils se ravisent.

Condoleezza Rice n’a pas convaincu le gouvernement Moubarak. Il est vrai qu’au sortir d’un petit déjeuner présidentiel, elle a «exhorté les groupes issus de la société civile à se coordonner, à parler plus fort et à tenir les Américains informés» du retard pris par les avancées démocratiques recommandés par Washington. Mardi, dans une conférence de presse commune avec son homologue égyptien, Ahmed Aboul Gheït, la secrétaire d’Etat américaine a évoqué comme une «déception et un revers» l’avènement des Frères musulmans comme la principale force de l’opposition égyptienne. Leur entrée au Parlement où ils ont emporté 88 sièges sur 454 aux législatives de novembre décembre n’est du reste peut-être pas indifférente à la position du président Moubarak au sujet de leurs frères palestiniens du Hamas.

Lundi, les Frères musulmans égyptiens ont lancé une collecte de fonds en faveur du Hamas, leur chef spirituel, Mohammad Mehdi Akef, estimant que Washington joue des faiblesses des régimes arabes en matière «de réformes politiques, de démocratie et de droits de l'Homme comme moyen de pression» pour les obliger «à arrêter leur aide au peuple palestinien». Au Koweït aussi, les islamistes sont montés au créneau palestinien pendant la tournée de Condoleezza Rice. Au Caire, en même temps qu’elle, se trouvait par ailleurs l’un des responsable du Hamas, Mohammad Nazzal, venu bien sûr pour des raisons diamétralement inverses.

«Plus les Etats-Unis exercent des pressions sur le Hamas, plus le peuple palestinien soutient le Hamas», déclare Mohammad Nazzal, tout en assurant que son mouvement entend gouverner de manière «souple et réaliste». Pour sa part, le chef du parti travailliste israélien, Amir Peretz, qui se trouvait également au Caire, ne veut rien croire sur parole et lance un appel international à «soutenir la demande que le Hamas reconnaisse Israël, adopte les accords conclus et mette un terme au terrorisme».

Ryad : «Nous allons continuer à aider les Palestiniens»

L’Arabie Saoudite non plus ne s’est pas laissée convaincre de couper les vivres au Hamas. Comme l’Egypte, Ryad demande d’abord à juger le gouvernement Hamas sur ses actes. Le ministre saoudien des Affaires étrangères, le prince Saoud Al Fayçal, se justifie toutefois en espérant que «l'aide internationale au peuple palestinien ne sera liée qu'à la nécessité pressante de ce peuple d'un point de vue humanitaire». En clair, Ryad ne donne pas raison aux Etats-Unis quand ils réclament par exemple à l’Autorité palestinienne le remboursement de 50 millions de dollars déjà versés l’année dernière pour la réhabilitation d’infrastructures.

Washington a décidé de geler toute aide (en particulier 234 millions de dollars annoncés avant la défaite électorale du Fatah) ainsi que tous projets tant que le Hamas serait aux commandes. «C’est une erreur de cible et de stratégie, estime le prince Saoud. Supprimer le financement d’un égout, par exemple, dit-il, cela revient à priver les Palestiniens d'aide sanitaire, c’est-à-dire, humanitaire.» «Comment voulez-vous faire la différence entre une aide humanitaire et une aide non-humanitaire», s’est interrogé le chef de la diplomatie saoudienne en concluant: «ils ont besoin des deux, d'infrastructures et d'aide humanitaire. C'est pourquoi nous allons continuer à les aider».

«Chaque pays a sa manière de faire», répond Condoleezza Rice, après ces fins de non-recevoir opposées par deux proches alliés de Washington, en répétant en leitmotiv que «pour les Etats-Unis, le Hamas est une organisation terroriste et que les Américains ne peuvent pas financer une organisation terroriste». Avant de s’envoler pour les Emirats arabes unis, jeudi, la secrétaire d’Etat américaine a évoqué à Ryad sur la vente de six ports américains à un groupe des Emirats qui fait polémique aux Etats-Unis compte-tenu de l’origine de certains terroristes du 11-Septembre. «Les Emirats sont un bon partenaire dans la guerre contre le terrorisme», a-t-elle expliqué en ajoutant que «c'est une opération qui sert les intérêts des Etats-Unis, qui sert nos intérêts sécuritaires et qui sert également nos intérêts commerciaux».

Le secrétaire du Conseil suprême iranien de la sécurité nationale, Ali Larijani, ayant annoncé mercredi que l'Iran allait «aider financièrement le gouvernement [Hamas] afin de faire échec à la cruauté des Etats-Unis envers ce pays», Condoleezza Rice, a fait de la surenchère en estimant, depuis Ryad, que cette assistance ne suffirait pas à assurer «une belle vie» au peuple palestinien en l’absence d’une «coopération avec Israël. C'est un fait», a-t-elle relevé.


Article publié le 24/02/2006 Dernière mise à jour le 24/02/2006 à 19:13 TU