Aide au développement
Taxe sur les billets d’avion: le vif du sujet
(Photo : AFP)
Où trouver l’argent qui financera l’aide au développement et la lutte contre les pandémies dans les pays les plus pauvres de la planète ? Pour atteindre les « Objectifs du millénaire » (OMD) qui visent à diminuer, entre autres, la pauvreté dans le monde de moitié d’ici à 2010 et à améliorer la santé, il s’agit de trouver 70 milliards de dollars chaque année. Aujourd’hui, 850 millions de personnes souffrent de la faim, dont 300 millions d’enfants, et le tiers de l’humanité survit avec moins d’un euro par jour, la moitié avec moins de deux euros. Le sida, le paludisme et la tuberculose dans les pays pauvres font six millions de morts « évitables » par an.
Devant l’urgence de réduire ces chiffres, et pour compléter la traditionnelle aide publique au développement (APU), qui doit être portée à 0,7% du produit national brut des pays développés, rappelle Kofi Annan, le secrétaire général des Nations unies, plusieurs pistes de financements additionnels et innovants sont aujourd’hui discutées par 95 pays et les acteurs du développement.
L’une de ces pistes, sous l’impulsion de Jacques Chirac et lancée par la France en novembre dernier, est de taxer les billets d’avion. Bien qu’il engendre des nuisances environnementales, le secteur aérien est en effet un secteur en croissance rapide et très peu taxé. Cette taxe de solidarité sur les billets, approuvée par le Parlement français en décembre dernier, serait dans un premier temps affectée à la lutte contre les grandes pandémies comme le sida, le paludisme et la tuberculose qui frappent les pays en développement, et faciliterait l’accès aux traitements en diminuant le coût des médicaments (des traitements antirétroviraux par exemple). La taxe irait d’un à dix euros au sein de l’Espace économique européen et de 4 à 40 euros à l’international. Elle aurait un impact négligeable sur les passagers du transport aérien, serait applicable à partir du 1er juillet 2006 et devrait rapporter environ 200 millions d’euros par an.
Prise de conscience de la communauté internationale
Ce devait être l’un des sujets de discussion de la Conférence qui se tient à Paris les 28 février et 1er mars sur les « sources innovantes de financements du développement ». Cette Conférence, organisée par la France et l’OCDE, réunit les ministres et représentants de 95 pays, une soixantaine d’organisations non gouvernementales (ONG), des syndicats, des collectivités territoriales et 17 organisations internationales. Devaient, entre autres, être présents, le Premier ministre camerounais Inoni Ephraim, les ministres marocains des Finances et de la Privatisation, et de la Santé, MM. Fathallah Oualalou et Mohamed Cheikh Biadillah, le président congolais et président de l’Union africaine Denis Sassou Nguesso, le président malien Amadou Toumani Touré et le président brésilien Luiz Inacio Lula da Silva.
Car « le moment est venu de franchir une nouvelle étape », a assuré Jacques Chirac, à l’ouverture de la Conférence, rappelant, en présence de Kofi Annan et du directeur général de l’Organisation mondiale de la Santé, Jonk Wook Lee, que « ces propositions [de financements innovants] étaient jugées irréalistes il y peu… » et « même taboues dans certaines organisations internationales » mais qu’elles étaient « aujourd’hui discutées dans toutes les grandes enceintes multilatérales ». Cette « démarche d’avenir» est « irréversible », a déclaré le président français, sans compter que les sommes collectées sont « infimes au regard des 40 000 milliards de dollars du PNB mondial ou des 8 000 milliards que représente chaque année le commerce international », a rappelé le président français. Un acte de générosité indolore pour les économies des pays développés, en quelque sorte.
Preuve de cette prise de conscience internationale, il ressortait à l’issue du premier jour de la Conférence qu’un « consensus [avait] progressivement émergé sur l’utilité de ces financements comme sur la possibilité technique de les mettre en place », indiquait Jean-Baptiste Mattéi, porte-parole du Ministère des affaires étrangères. Et de noter : « 79 pays ont soutenu la déclaration sur les sources innovantes de financement du développement, adoptée le 14 septembre 2005 aux Nations unies à New York ».
D’autres mécanismes possibles
Restent à savoir quelles sources de financement du développement choisir et comment les mettre en place pour assurer un financement pérenne. L’idée française d’une contribution de solidarité sur les billets d’avion est assurément la mesure phare de ces deux jours de la Conférence. Mais elle suscite le scepticisme de certains pays : les Etats-Unis, par exemple, sont farouchement hostiles à toute idée de taxe, qui plus est dans un secteur fragilisé par la flambée du prix du carburant. Cet impôt s’attire aussi l’opposition des professionnels du secteur de l’aviation, qui estiment qu’elle aura des conséquences négatives sur leur activité et sur l’emploi. Mais à l’instar de la France qui met en vigueur cette taxe dès l’été 2006, le Chili s’est concrètement engagé à le faire, avec une taxation de 4 dollars sur les vols internationaux. Le Brésil, l’Inde, l’Allemagne, Madagascar, la Norvège, la Jordanie ou encore la Thaïlande devraient suivre et taxer les billets d’avion dès l’été prochain. Quant à Londres, elle a déjà promis d’affecter une partie de ses taxes sur les billets d’avion à l’aide au développement.
D’autres assiettes sont aussi privilégiées : l’instauration de prélèvements de solidarité internationaux, la taxation des transactions financières et de l’évasion fiscale et une contribution sur le carburant utilisé par le transport aérien et maritime.
De son côté, le Programme alimentaire mondial (PAM) propose la mise en place d’une « loterie humanitaire », qui permettrait, en vendant des billets à gratter d’un euro à l’échelle mondiale (70% des joueurs se disent prêts à participer à cette loterie, selon une enquête Ipsos de juin 2005), de recueillir 400 millions d’euros par an. Les gagnants du jeu, eux, toucheraient des gains de 20 à 100 euros, voire un voyage pour aller visiter sur le terrain un projet de développement.
Les sommes récoltées financeraient, entre autres, une Facilité internationale d’achat de médicaments (Fiam), proposée par la France et le Brésil. Par ailleurs, la France et Le Royaume-Uni engagent 100 millions de dollars par an sur 20 ans à un projet pilote en matière de facilité financière internationale (IFF) appliqué à la vaccination (IFFim).
Si « les sources de financement novatrices ne doivent pas être considérées comme des substituts des formes traditionnelles d’aide », a rappelé Kofi Annan, la question des financements innovants au développement et à la santé publique dans les pays les plus pauvres du monde commence à susciter la préoccupation de la communauté internationale, notamment les Nations unies, la Banque mondiale, le fonds monétaire international, l’Union européenne et le G8, qui tentent de trouver des solutions de solidarité et de redistribution des fruits de la mondialisation.par Gaëtane de Lansalut
Article publié le 28/02/2006 Dernière mise à jour le 28/02/2006 à 15:05 TU